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ŒUVRES CHOISIES
DE
N. CHAMFORT
Il a été imprimé, en sus du tirage ordinaire :
5oo exemplaires sur papier de Hollande (n°^ 6i à 56o)
3o — sur papier de Chine (n°^ i à 3o).
3o — sur papier Whatman (n°^ 3i à 60).
56o exemplaires, numérotés.
OEUVRES CHOISIES , ^ ^
DE
N. CHAMFORT ^^
PUBLIEES
AVEC PRÉFACE, NOTES ET TABLES
PAR
M. DE LESCURE
TOME PREMIER
PARIS
LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES
E. FLAMMARION SUCCESSEUR
Rue Racine, 26, près de l'Odéoii
M DCCC XCII
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Q
V
NOTICE
ÉBASTIEN - ROCH -NlCOLAS ChAMFORT
)(^„;;;^^%^|^na(jtn'f_, en 1741^ dans un village voisin
%K^m))M\^^ Ckrmont , en Auvergne.
i^^^^^vQ) Trois ans auparavant ^ le 22 juin
iy38_, à Aigueperse , près de Clermont , dans ce
même paysage bucolique de la Limagne, était né le
futur traducteur des GÉorgiques , Jacques Delille ,
fis naturel comme lui. Le XVIII'-' siècle est aux bâ-
tards célèbres : Delille, Chamfort, et, avant eux,
d'Alembert et M^^^ de l'Espinasse.
Mais Delille, le plus heureux des quatre en cela, fut
reconnu sur les fonts baptismaux par son père,
M. Montanier, avocat au parlement, qui lui laissa
une rente viagère de cent écus.
Conçu dans la honte, enfanté dans le mystère,
Chamfort. — I. a
Vj NOTICE
élevé dans la pauvreté, Chamfort, orphelin d'un père
vivant, ne le connut jamais que de nom, et ne reçut
rien de lui que ce funeste présent d'une naissance
équivoque, qui ouvrit pour lui en même temps que les
sources de la vie celles d'une intarissable amertume.
Que/ était ce père de Chamfort ? A défaut de son
nom, nous savons sa qualité, qui explique son in-
cognito. « Chamfort, dit Kœderer, était fils d'un
chanoine de la Sainte -Chapelle. Il a constamment
fait mystère de sa naissance, excepté à un ou deux
amis. »
La mère de Chamfort, dont il n'a pas été possible
de savoir le nom, était, senible-t-il , dame de com-
pagnie ou institutrice dans la maison où elle connut
son séducteur. Morte en septembre 1784^ à Vâge de
quatre-vingt-cinq ans, elle aurait dû être défendue
par son âge, en 1740^ contre le piège où elle tomba;
mais il y a les erreurs de quarante ans comme celles
de vingt, et à tout âge l'esprit est souvent la dup^
du cœur.
Chamfort , nous insistons sur ce côté de son ca-
ractère et de sa conduite, parce qu'il plaide en
faveur des autres, fut un excellent fils. Il adora sa
mère pendant sa vie, la combla de témoignages de
dévouement ; d la pleura , à sa mort , en homme qui
ne s'était jamais préparé à la perdre ; et son absence
laissa un vide irréparable dans l'existence de cet en-
fant né d'amours tardives, et dont le caractère garda
NOTICE VI j
de son influence , comme il arrive souvent en pareil
caSj une indélébile empreinte.
Admis fort jeune et élevé, sous le nom de Nicolas,
au collège des Grassins , en qualité de boursier,
Chamfort y fut renmrqué de bonne heure pour ses
talents et sa malice. Soumis à l'entraînement habi-
tuel quand il s'agit de pousser un élève pauvre, ca-
pable de faire honneur à la maison, il y compta des
succès éclatants, et y fut, comme Andrieux le disait
de Colin d'Harleville, son ami, et eût pu le dire
de lui-même, un grand remporteur de prix. //
obtint notamment les cinq premiers prix de sa
rhétorique, qu'on lui avait fait doubler, sous peine de
perdre sa bourse, parce que Vannée précédente il en
avait manqué un.
Au sortir des Grassins, il fallut aviser ci se faire un
sort. Chamfort ne pouvait être ni d'épée ni de robe,
et il ne se sentait pas la vocation de l'Église. Après
avoir été , dit-on, clerc de procureur, précepteur, il
semble avoir ( car toutes les vicissitudes de ses débuts
sont demeurées obscures) pris même un instant le petit
collet, qui n'engageait à rien, et qui permettait, dans
un noviciat tout profane et mondain, l'espérance du
bénéfice. C'est dans ces conditions précaires qu'il se
trouva, Cl vingt ans, lancé sur le pavé de Paris, avec
beaucoup d'esprit , une figure charmante , un habit
d'abbé qui ne le gênait pas, et l'espoir de trouver
maternelle cette capitale intelligente qui, comme Ma-
viij NOTICE
zarin le disait de Konie , ne se montre marâtre
qu'aux sots. .
Que faire ? La plupart des débutants provinciaux
ou parisiens, au sortir du collège ou du séminaire,
allaient trouver Voltaire (mais le patriarche de la
littérature j exilé de Paris, ne devait y rentrer que
bien des années plus tard, et pour y mourir),
ou d' Alembert , ou Diderot, ou J. J. Rousseau.
Chamfort ne fit pas comme tout le monde. Il n'alla
pas voir ce d'Alembert, faux bonhomme, peu hospi-
talier à Brissot, à Colin d'Harleviile, indulgent seu-
lement à Kivarol, lors de leurs premières démarches à
la recherche d'un protecteur. Il n'essaya pas d'appri-
voiser le farouche Jean-Jacques. Il regarda autour et
au-dessus de lui. Au-dessus, il vit l'Acadéniic fran-
çaise trônant dans une gloire encore rayonnante, et
distribuant aux vainqueurs de ses concours des prix
dont l'honneur pouvait être décisif et dont l'argent
fut la ressource de Marmontel et de La Harpe encore
inconnus. Un succès pour arriver, un peu d'argent
pour vivre, il ne lui manquait précisément que cela.
En attendant, il fit comme Diderot : il tourna la
meule du travail mercenaire et obscur pour quelques
libraires. Il vécut maigrement sur les feuilles du
Vocabulaire français, dont plusieurs volumes sont
de /ui; et il gagna même quelque argent en vendant
des sermons à un camarade plus riche que lui, petit
collet ambitieux qui aspirait et parvint sans doute.
NOTICE IX
SOUS l'cclat de son plumage oratoire emprunté , aux
honneurs ecclésiastiques.
Bientôt il connut la douceur de ces premières fa-
veurs du destin , le charme enivrant de cette première
gloire, belle comme une aube, a dit Vauvenargues.
Son Épitre d'un père a son fils sur la naissance
d'un petit-fils fut couronnée par l'Académie et le
fit connaître (ijGi). Son esprit fut remarqué par tes
hommes; les femmes regardèrent son visage, char-
mant alors de cette beauté fugitive qu'animent la
santé et le bonheur. Il ne devait pas tarder à perdre
l'une et l'autre, et par sa faute. Les succès de la ga-
lanterie, encore plus que ceux de l'esprit, coûtent plus
cher qu'ils ne rapportent. Chamfort, qui se dépensait
sans compter et de façon à entendre faire par sa
première maîtresse, une grande dame de ce nom de
Craon, cher à Vénus, s'il faut en croire les chro-
niques, pendcmt tout le XVIW siècle, l'éloge de sa
vigueur encore plus que celui de sa grâce, ne put
mériter qu'à ses dépens ce sobriquet d'Hercule- Adonis
qui lui avait été décerné. Ces triomphes ne sont pas
exempts de repentirs toujours inutiles, et de mé-
lancoliques économies succèdent à ces prodigalités
sensuelles. Le plaisir a des arrière-goûts amers. Le
voluptueux a l'cime triste. La punition de ceux qui
ont trop aime les femmes de bonne heure, c'est de les
ainier toujours. Chamfort subit successivement toutes
ces sanctions de l'excès précoce. Il n'avait pas de
X NOTICE
beaucoup dépassé vingt ans quand il sentit la néces-
sité d'enrayer, comme le médecin La Martinière le
conseillait à Louis XV, et d'aller se refaire aux eaux
de Spa, de Barèges, de la fatigue de ses campagnes
de Capoue.
Nous n insisterons pas sur les mystères, dont la
nudité veut rester voilée, de cette première , hâtive et
dévorante initiation de Chamfort aux mœurs de son
temps, qu'il ne devait flétrir qu'après les avoir affi-
chées. Une Epitre a un ami, datée de Cologne, 1761 ,
c'est-à-dire du lendemain de son premier triomphe ,
le montre déjà en proie à cette langueur et à cet éner-
vement qui suivent les excès de plaisir et parlant déjà
le langage du désabusé. Très-peu de temps après, son
étude des passions, d'après nature et sur le vif, l'avait
réduit à cet état de marasme physique, intellectuel et
moral que les Anglais appellent spleen, qu'avant eux
les anciens appelaient athumia [défaut d'âme) et
taedium vitee. Chamfort, devenu valétudinaire et hu-
moriste, travaillait peu : la tristesse est stérile ; la santé
de l'âme est liée à celle du corps ; la pureté de l'esprit,
qui fait sa joie, fait aussi sa force. Voyez, parmi les
moralistes, l'exemple de Pascal, de Vauvenargues, de
Joubert. Chamfort, en quatre ans, de 1761 à 1764,
ne trouva le temps et le courage que de quelques essais
dont un seul eut le bonheur du premier. Son Discours
philosophique en vers intitulé l'Homme de lettres
échoua au concours de V Académie. C^ est, croyons-nous,
NOTICE X)
La Harpe qui l'emporta. Son Ode surles Volcans /"uf
repoussée par VAcadémie de Marseille , comme pro-
duite tardivement. Seule la comédie de la Jeune
Indienne (i 764)^ bien que sévèrement traitée dans la
Correspondance littéraire de Grimm, réussit assez
pour ménager à son auteur malade la consolation
de quelque honneur, la ressource de quelque profit.
Sa situation n'en était pas moins des plus précaires,
et il eut besoin, pour ne pas succomber sous le poids
de la misère et de l'isolement, d'être cdlégé de ce far-
deau trop lourd pour ses épaules par le dévouement,
l'appui , les secours de quelques affections délicates.
C'est à ce moment qu'il éprouva à la fois ce que la
vie a de plus dur et ce que l'amitié a de plus doux ,
grâce à des femmes comme M'"^ Saurin , la femme
de V auteur de Spartacus , comme M'"^ Helvétius ; à
des hommes comme l'abbé de Laroche et Chabanon.
De 1769 à lyyo,, son Éloge de Molière fut cou-
ronné par l'Académie française (1769); son Mar-
chand de Smyrne, demeuré au répertoire de la Co-
médie française, y obtint un vif succès (1770); et
son ami Chabanon le força d'accepter, conime en
étant plus digne et en ayant plus besoin que lui, la
cession d'une pension de 1,200 livres sur /e Mercure
dont il jouissait. A ces succès et à ces ressources s'a-
joutèrent bientôt le prix que l'Acadéniie de Marseille
décerna à son Eloge de La Fontaine , prix que la
munificence de Necker, qui l'espérait pour La Harpe,
Xlj NOTICE
son protégé, avait augmenté de cent louis. Chamfort,
qui avait cherché aux sources salutaires de Con-
trexéville la guérison de ses maux , sembla l'avoir
trouvée aux eaux de Barèges, oii l'éclat de sa répu-
tation naissante et les défaillances de sa santé atti-
raient sur lui un double intérêt, fait à la fois d'ad-
miration et de pitié. Ce double sentiment trouva,
surtout chez les femmes, des interprètes éloquents et
flatteurs à ses yeux. La chronique du tenu, les lettres
de iW^ de l'Espinasse, dont la sensibilité a ses ma-
lices, et les propres confidences épistolaires de Cham-
fort, nous le montrent savourant ces témoignages de
sympathie et y répondant par des hommages qui fu-
rent loin d'être mal reçus.
En octobre 1774, il avait trente-cinq ans, et il
arrivait aux faveurs de la cour et aux succès de salon
sous le patronage de femmes aimables et influentes,
comme la duchesse de Grammont , sœur du duc de
Choiseul, la comtesse de Choiseal , les marquises
d'Amblimont et de Koncée.
Ici s'ouvre la seconde phase de la vie de Chamfort.
Il est enfin arrivé à ce montent heureux et dangereux
à la fois, enivré et troublé, où la lumière fait sa
pleine et chaude irruption de midi dans l'existence de
l'écrivain, et ou il partage avec une publicité curieuse
d'abord et bienveillante , bientôt indiscrète et im-
portune, les travaux de son esprit et les secrets de
son cœur. Il est célèbre. On Vêtait en son temps avec
NOTICE XUJ
ntoins qu'il n'en faut aujourd'hui pour être seulement
et à peine connu. Il est en vogue et à la mode. Il
est recherché dans le monde. Il va être accueilli à la
cour, ou il entre sous les auspices d'une mfluence
toujours puissante, Vinfluence féminine , et où sa fa-
veur naissante aura le patronage des Choiseul, à qui
Marie-Antoinette doit son mariage et qui ne la trou-
vent pas ingrate. Nous avons vu ce qu'il a appris à
Vécole de la pauvreté et de l'adversité; il nous reste à
savoir ce qu'il fera de son bonheur, de son succès, et
ce qu'ils feront de lui.
II
De lyyS à 1781 tout devait réussir à Chamfort.
Kien ne manqua à sa fortune... que lui pour en
jouir avec sagesse ou du moins avec prudence en
l'économisant et en s'économisant lui-même. Conip-
tons d'abord, et nous verrons s'd eut lieu de se
plaindre, et si le bilan des avantages positifs qu'il dut
à la faveur du public et à la faveur royale était de
ceux qui devaient aboutir à une banqueroute. Au
point de vue de l'honneur d'abord, il faut enregistrer
le succès de la tragédie de Mustapha et Zéangir,
donnée d'abord au théâtre de la cour à Fontaine-
bleau [le ler et le 7 novembre 1776). A cette tragé-
die de l'amour fraterneU écho affaibli mais encore
b
XlV NOTICE
assez pur de Bajazet et de Zaïre^ Louis XVI pleura
et Marie-Antoinette applaudit. La jeune reine s'était
intéressée au succès dans les termes les plus gracieux
et Us plus flatteurs. Elle s'était ^ pour ainsi dire, mise
de la pièce. Chamfort lui dut ce qu'un triomphe de
ce genre a de plus rare et de plus doux : les compli-
ments attendris d'une jeune reine et les sourires de sa
bienveillance mêlés aux larmes de son émotion. Ap-
pelé dans sa loge, Chamfort, à qui elle avait voulu
annoncer elle-même que le roi lui accordait, à sa
prière, une pension de 1,200 livres sur les Menus, en
sortit pénétré d'une reconnaissance qu'il exprima en
courtisan délicat, en répondcmt à ceux qui lui de-
mandaient des nouvelles de cet entretien si flatteur :
(\ Je ne pourrai jamais ni le répéter ni l'oublier. »
Cette gratitude respire dans la dédicace de sa pièce à
la reine (lyyS), dédicace quon ne retrouve plus dans
les éditions de ses œuvres, d'où les scrupules révolu-
tionnaires l'ont effacée comme de celles de tant d'au-
tres. L'eau va toujours à la rivière. Kien ne réussit,
surtout en France, pays où tout le monde vient au
secours du plus fort, comme le succès. En 1781,
Chamfort entrait sans difficulté, en remplacement de
La Curne de Sainte-Palaye, à cette Académie fran-
çaise qui ne lui avait pas épargné ses couronnes.
Titulaire d'une pension sur le Mercure, d'une
pension sur les Menus, tour à tour secrétaire des
commandements du prince de Condé, lecteur du
NOTICE XV
comte d'Artois [une vraie sinécure, comme celle d'ou-
mônier du régent], secrétaire de Madame Elisabeth,
membre de l'Académie française, arrivé jeune encore
à la célébrité et à Vaisancc, possédant tout, même un
véritable ami dans le comte de Vaudreuil, dont il
était l'hôte et le commensal dans son hôtel de la
rue Bourbon, il semblait que Chamfort n'eût qu'à
se laisser vivre, à se laisser être heureux.
Mais ce n'est pas tout que d'être heureux, il faut
savoir le demeurer. Pour cela, il est essentiel de se
bien porter, physiquement et moralement. Malheureu-
sement Chan-ifort était d'un tempérament nialadif,
d'un caractère irritable, d'un esprit susceptible et
inquiet. Il était de ces spectateurs trop observateurs,
bientôt désabusés, dont M'^'^^ de Créqui disait à Sénac
de Meilhan qu'ils voient trop bien le jeu des ma-
chines, les ressorts de la pièce, pour s'intéresser long-
temps au spectacle. Il y a des gens qui ont l'expérience
douce, lui l'avait amère. Dans les dispositions où il
était, trop soumis à l'influence de la bile et des
nerfs, il ne devait pas tarder à arriver au fond de
la coupe trop rapidement secouée et vidée, à la lie
de son plaisir, ci la fatigue de son succès, à ce dégoût
mélancolique des hommes et des choses qui a fait la
poésie de David et la sagesse de Salomon. Le com-
merce du nionde, auquel il se déroba de bonne heure,
l'effaroucha bientôt. L'intimité des princes ne lui ca-
cha plus assez l'assujettissenient de leur domesticité. Il
XV) NOTICE
ne sentit bienlot plus^ en un mot, de la rose, que
l'épine; la protection lui fit sentir la dépendance, la
foule lui fit regretter la solitude, la lumière Vobscu-
rité^ le bruit le silence, et, importuné même par l'amitié,
il se replia et se réfugia en lui-même. Malheureuse-
ment l'isolement n'est pas toujours la paix; le miel
s'en aigrit vite cjuand on le laisse s'échauffer et fer-
menter. Chamfort, qui avait voulu redevenir libre pour
travcdller et jouir de lui-même, ne produisit plus rien
que ces pensées misanthropiques dont il distilla goutte
à goutte désormais le poison arraché de ses blessures.
Il ne jouit pas de lui, il en souffrit. Un moment
pourtant — l'illusion fut courte — // se félicita de
son parti violent de secouer le joug des hommes : il
n'était pas encore retombé sous le sien. Il aimait en-
core; il aimait sa mère. Il la perdit. Il aimait une
autre femme d'une passion tendre, mais surtout in-
tellectuelle, de cette passion virile et quadragénaire qui
est la dernière, qui a à la fois le ragoût du sentiment
et l'aveu de la raison. Deux ans et demi il eut cette
oasis dans le désert, cette source rafraîchissante dans
ses stérilités. La solitude ne vaut guère les sacrifices
qu'on lui fait quand on y vient seul; mais la solitude
à deux , le travail tranquille au sein de la paix des
champs, avec la compagne choisie., c'est autre chose.
Cette solitude-là ne corrompt point, elle conserve; elle
n'énerve point, elle fortifie. On y peut écouter à la fois
son esprit et son cœur. Celle-là est digne de tous les
NOTICE XVlj
sacrifices, car elle les paye tous au centuple; et ce
n'est pas se tromper que de jeter à la mer par-dessus
bord tout le lest des besoins inutiles et des fausses
richesses, pour aborder à ce havre de grâce de la
pauvreté et du travail dans Vamour. Il faut dire
quelques mots de cette liaison de Chamfort, qu'il
légitima, dit-on, par le mariage, qu'il purifia par
l'abnégation, que la mort vint trop tôt consacrer de
sa majesté douloureuse, et dont la brusque fin dé-
chira une part de son âme.
Chamfort, en brisant avec le monde et en rom-
pant les liens qui l'attachaient au prince de Condé
avec une dignité qui ne parut que de la raideur et
avec un désintéressement qui fut taxé d'ingratitude,
s'étaii retiré à Auteuil pour y cultiver en paix ses
livres et ses amis. Dans une visite qu'il fit à M"^'-' Panc-
koucke, il rencontra chez elle une femme aimable et
distinguée, dont la maturité gardait les traces d'une
beauté autrefois éclatante, maintenant parée de
toutes les grâces et de toutes les poésies de l'automne.
Pour les hommes dans la disposition de Chamfort,
ces beautés au déclin, qui ne se croient plus dispen-
sées de plaire et ne se privent plus des ressources de
l'esprit, ont un charme supérieur à celui, toujours un
peu insolent, des beautés à l'aube. Il faut avoir souf-
fert pour savoir plaindre et consoler. Attiré par le
visage, Chamfort fut retenu par la conversation.
M'"^ B..., élevée à la cour de la duchesse du Maine,
Xvilj NOTICE
et qui avait beaucoup vu et beaucoup retenu, était un
répertoire vivant d'observations et d'anecdotes. Elle
avait, avec plus de grâce, beaucoup de l'esprit d'une
M'"^ de Staal. Chamfort prit plaisir à l'écouter, à
aiguiser son esprit sur le sien. Pour avoir occasion
de la voir plus souvent, il céda à cette nouvelle et
bientôt indispensable amie son appartement d'Auteuil.
Puis ils résolurent de se consacrer uniquement l'un à
l'autre et de s'enfoncer dans quelque solitude agreste.
Ils s'établirent dans un petit manoir champêtre, à
Vaudouleurs, près d'Etampes; et le monde n'enten-
dit plus parler d'eux que par l'aveu qu'ils faisaient
à quelques amis de leur entier bonheur. Ces bonheurs
complets durent peu : ils feraient trop aimer la terre.
La niort se chargea de rappeler l'ingratitude et l'in-
stabilité de la destinée humaine à ceux qui l'avaient
trop oubliée. M'"^ B... mourut, laissant Chamfort
vraiment inconsolable d'une perte qu'il trouva depuis
plus irréparable à mesure que, avec la tenace ob-
stination de nos illusions, il essayait de la réparer.
Il ne parle jamais de ses fidèles regrets qu'avec une
émotion comniunicative et une pénétrcmte éloquence.
Un homnu capable d'écrire ses lettres sur ce triste
sujet à l'abbé Koman et à M'"^ Panckoucke était in-
contestablement généreux , délicat et bon. Chamfort,
cependant, a laissé la réputation d'un homme âpre et
dur. Il l'était en effet, du moins d'apparence, et Sophie
Arnould l'appelait plaisamment , pour peindre la ru~
NOTICE Xix
dessede son abord et le mordant de ses saillies : Don
Biusquin d'Algarade. Mais, c'est Chamfort qui l'a
dit, et il le prouve, la plupart de nos duretés ne sont
que des pudeurs froissées, des tendresses déçues ; c'est
non par défaut , mais par excès de sensibilité et de
susceptibilité, que pécha Chamfort; et il disait avec
raison de bien d'autres, en pensant à lui : « Qui-
conque à quarcmte ans n'est pas devenu misanthrope,
n'a janiais aimé les hommes. » Peut-être était -il,
dans cet amour si vite déçu des hommes, un peu trop
exigeant. Si Von veut continuer de les aimer, il faut
prendre le parti de les aimer tels qu'ils sont. Cham-
fort eut le grand tort , au point de vue de sa tran-
quillité, de les aimer tels qu'ils devraient être. De là
une déception qu'il rencontrait jusque dans ses meil-
leures amitiés, et qu'il exprimait avec une véhémence,
presque une brutalité un peu affectées d'abord, et
bientôt trop sincères. Il convenait volontiers que, dans
les occasions essentielles, il avait trouvé dans le comte
de Vaudreuil ce qu'on peut appeler un véritable ami;
le comte de Choiseul-Gouffîer lui avait permis la
même douce confiance. Deux amis! et Chamfort ne
s'en contentait pas ! Il était bien difficile. La monnaie
d'un seul est encore un fort appréciable présent de la
fortune. Eh bien! Chamfort, loin de sentir son bon^
heur, d'en jouir, l'cmalysait et le chicanait sans cesse.
Il ne tardait pas à découvrir les défauts mêlés aux
qualités. M. de Vaudreuil, M. de Choiseul-Gouffîer,
XX NOTICE
n étaient pas sans avoir les leurs; ils avaient surtout
ceux de leur société , de leur monde, de leur temps.
Eh bien ! c'est en eux précisément que Chamfort
voyait les types de la décadence sociale et morale
qu'il déplorait , et il ne perdait pas assez V occasion
de le leur dire crûment à eux-mênies. C'est du voyage
qu'il fît avec tous deux en Hollande , et oii ils l'a-
vaient entraîné pour le consoler de ses chagrins, le
distraire de ses ennuis, dissiper ses humeurs, réparer
ses forces minées par l'excès corrosif de la bile, que
datent précisément les premiers symptômes , les pre-
miers témoignages de cette misanthropie, qui par
moments dégénéra presque en hypocondrie. C'est à ce
moment qu'il commença à pratiquer cette philosophie
que Kœderer a résumée en quelques niots : « Echap-
per au ridicule, se dérober aux liens du mariage, se
soustraire à l'autorité des gens de fortune , à la do-
mination des gens en puissance, à celle des hautes
naissances, à celle des gens de lettres. »
Deux anecdotes caractéristiques citées par Ka-
derer ■_, et que nous ne pouvons qu'indiquer, trahis-
sent un état de désabusement, de détachement tel qu'il
rend facile à comprendre l'évolution politique qui,
dans la pensée de Chamfort, ne tarda pas à répoiidre
à son philosophique dégoût. Il s'éloigna de plus en
plus des travaux littéraires, dont il répudiait à la fois
1 . Œuvres, t IV, p. 212.
NOTICE XXJ
le profit précaire et l'honneur diffamé. Il renonça à
toutes les pompes et à toutes les œuvres de cet état dé-
cevant, soumis au hasard, et dont les orgueilleuses
apparences ne cachent pas même les humbles sécurités
du métier. Il ne voulut plus écrire que pour lui,
et d'une autre plume que celle des contes licencieux et
des épitres à Ninon qu'il composait jadis pour des
soupers plus philosophiques de mots que d'idées, où
Von embrassait, à travers les fumées de l'ivresse, la
chimère d'une vertu aussi nue et aussi frivole que la
volupté. Il prit à penser le sombre plaisir de celui qui
n'en a plus d'autre, et à penser tout haut le plaisir
amer de celui que la vérité venge. Ce qui excuse ce
diogénisme où s'enferma peu à peu Chamfort , c'est
qu'd fut sincère et désintéressé. Ceux qui lui ont re-
proché son rôle sous la Révolution , ses sarcasmes
contre l'aristocratie , son réquisitoire contre l'Acadé-
mie, n'auraient pas dû oublier que, bien avant la
Kévolution, qu'il avait prédite d'abord, puis souhai-
tée, Chamfort s'était volontairement dépouillé de tout
ce qui pouvait le rattacher au régime à la chute du-
quel il voulait travailler, et avait racheté son indépen-
dance au prix de la pauvreté. Une telle indépendance
n'est pas de l'ingratitude. D'ailleurs, il est à remar-
quer que dans ses critiques, dans ses satires de l'an-
cienne monarchie et de l'ancienne société , Chamfort
n'a jamais attaqué que les choses et épargné les per-
sonnes. Il garda jusqu'au bout des amis dans cette
c
XXlj NOTICE
aristocratie dont les membres intelligents s'étaient mis
à la tête du mouvement de réforme et se flattaient de le
diriger ; et il n'est pas une ligne de lui, croyons-nous,
même dans ses Tableaux des Journées révolution-
naires, qui, par leur date et leur but, ne pouvaient
que se ressentir des ardeurs et des entraînements de la
lutte, qui vise directement le roi et la reine dont il
avait éprouvé les bontés. Il n'en est pas moins certain
qu'un tel revirement, si ménagé qu'il fût , ne pouvait
paraître que brusque à ceux dont il froissait les idées
ou critiquait la conduite^ que Chamfort devait sem-
bler injuste quand il n'était que logique, et ingrat
quand il n'était que fidèle à lui-même.
III
Nous avons fait la part, dans l'évolution morale,
des circonstances qui l'expliquent sans la justifier en-
tièrement : déclin physique, aridité intellectuelle , dé-
ceptions d'ambition et d'affection, pertes irréparables,
dégoilt de soi-même et des autres; il est juste, dans
l'évolution politique, de reconnaître l'influence décisive
d'une liaison où Chamfort donna beaucoup, non
sans recevoir beaucoup aussi, et qui acheva de le
mettre non seulement d'une opinion, mais d'un parti,
et de le ranger non seulement parmi les adversaires
de l'ancien régime, mais parmi les partisans actifs
NOTICE XXllj
du nouveau. Nous faisons allusion à cette liaison
intime avec Mirabeau dont un volume de Correspon-
dance, où ne figurent malheureusement que les lettres
de celui-ci, et où manquent celles de Chamfort, est
Vincomplet monument. Elle correspond chronologi-
quement et logiquement avec l'intimité dans la maison
Panckoucke et la collaboration au Mercure, parti-
culièrement consacrée à l'analyse des ouvrages les plus
faits pour discréditer la monarchie : les Mémoires
SECRETS (je Duclos et les Mémoires et la Vie privée
du maréchal de Richelieu.
Tout Chamfort, comme écrivain, jusqu'en 1791,
est dans cette collaboration au Mercure , très
différente de celle de Mallet-Du Pan , et bientôt
suivie d'une collaboration plus accentuée encore à la
Feuille villageoise, avec Ginguenè. Tout Cham-
fort, comme homme, est dans ces relations avec Mi-
rabeau et Sieyès, qui nous le montrent sous un aspect
original et nouveau : celui de conseiller intime, de
secrétaire, de souffleur des deux hommes qui , Vun
par V éloquence , Vautre par la logique, ont le plus
fait pour le succès et les excès de la Révolution.
La vie entière de Mirabeau nous le montre entouré
de conseillers, de collaborateurs, aussi fécond et
aussi prodigue de lui-même en aniitié qu'en amour,
d'une force supérieure à son activité, esprit confus
autant que puissant, génie d'orage qui avait besoin
que l'étincelle électrique, partie d'un esprit initiateur.
XXIV NOTICE
soulevât ses nuées et éveillât son tonnerre. Ces im-
menses nécessités d'esprit et de cœur expliquent ses
relations avec Brissot, avec Chamfort, avec tant
d'autres. Chamfort fut un de ses premiers amis sti-
mulateurs, de ses premiers accoucheurs d'idées.
Chamfort écrivit pour Mirabeau les Considéra-
tions SUR l'ordre de CmciNNATVS, et ce fanieux dis-
cours sur ou plutôt contre les académies que le
grand tribun n'eut pas le temps de prononcer. Il fut
retrouvé dans ses papiers et publié par Chamfort
lui-même, qui, devant l'effet produit par ce factum,
en atténua la portée par des rectifications, malheu-
reusement tardives, ou il ne défendait plus que le
principe qui l'avait inspiré. Ce principe lui-même,
empreint du faux stoïcisme du temps, n'était pas entiè-
rement pur, et ne pouvait pas du moins le paraître;
et c'est d'une autre main que celle d'un académicien
que l'Académie devait attendre le trait qu'on a dit,
d'ailleurs à tort, parricide. Chamfort l'a blessée,
mais non tuée. Elle ne pouvait survivre à la ruine de
l'ancienne société, et la Révolution, acharnée contre
les corps mêmes d'où elle était sortie, fut encore
moins ingrate en la supprimant qu'en supprimant les
parlements.
Cependant la Kévolution commençait. Chamfort
s'y jeta avec une sorte de fièvre héroïque, d'enthou-
siasme sombre, d'espérance désespérée. Il consacra,
c'est Garât qui l'a révélé, aux frais de propagande
NOTICE XXV
de la cause qu'il avait embrassée les quelques milliers
de francs d'économies qui formaient toute sa for-
tune. Il voua sa vie à l'apostolat démocratique, souf-
flant la fournaise où Mirabeau chauffait ses foudres
oratoires j fourbissant et aiguisant au point de la rendre
incisive la dialectique un peu froide du fameux rap-
port de Vévêque d'Autun^, fournissant au dogmatisme
abstrait de Sieyès une de ces définitions qui vcdent un
livre, une de ces formules qui donnent aux aspirations
d'un peuple l'élan décisif, l'irrésistible étincelle ^; alimen-
tant toutes les conversations du feu de la sienne, y pro-
diguant les mots qui peignent, les mots qui éclairent
et aussi les mots qui brûlent ; prêtant enfin aux passions
populaires l'esprit que Kivarol prêtait aux passions
aristocratiques, et égalant, dans une lutte encore d'épi-
grammes, la verve de l'attaque à celle de la défense.
...Chamfort fut bientôt désenchanté par les excès
de la Révolution, comme il l'avait été par les abus
de l'ancien régime. Il était trop honnête pour ne pas
le dire. Il ne put pas se taire, et réduire, comme tant
d'autres, tout son talent à l'art de savoir vivre. Il
parla, il reprit l'émission de ces bons mots, frappés
au coin de la plus pure ironie, qui faisaient d'autant
1. Dont il était le coloriste, dit Baudin.
2. Au témoignage de Lauraguais, c'est Chamfort qui
dicta à Sieyès la fameuse formule : Qu'est-ce que le turs
état? Tout. QLi'a-t-il? Rien.
XXVJ NOTICE
mieux ressortir le mauvais aloi de la monnaie des
déclamations révolutionnaires.
Celui qui avait trouvé la plupart des formules du
mouvement à son début, quand aucune réalité trop
sanglante ne démentait trop brutalement ses pro-
messes (Qu'est-ce que le tiers état? Tout. Qu'a-
t-il? Rien. — Guerre aux châteaux, paix aux
chaumières! etc.); celui qui avait célébré, de la prise
de la Bastille à la prise des Tuileries, les journées
révolutionnaires; celui dont le patriotisme superbe
affectait non seulement de ne pas redouter, mais
même de ne pas voir l'hostilité de l'Europe, et qui
disait en goguenardant dédaigneusement, à un dîner
chez le ministre Le Brun : « Ah ! oui, on dit qu'il y
a des Prussiens ' » ; celui-là fournit à l'opposition des
modérés contre les violents, à la Fronde des mécon-
tents de la Révolution honnête, ses épigrammes les
plus acérées, ses armes les plus redoutables.
On n'en finirait pas si l'on voulait compter tous
les mots de Chamfort désabusé, vengeant la perte de
sa chimère, l'affront fait à son idéal, par ces loyaux
et amers reproches, par ces volées de flèches satiriques,
frappant de ridicule les excès de la tyrannie révolu-
tionnaire aussi sûrement, aussi implacablement
I. Rœderer, qui cite le mot, l'explique aussi en le défen-
dant contre l'interprétation trop sévère de Baudin (^Œuvres,
t. IV, p. 555).
NOTICE XXVij
qu'elles avaient frappé jadis les abus du bon plaisir
royal et le pusillanime égoïsme des privilégies. Mais
que peut l'esprit contre la force? La lutte est par trop
inégale entre la hache et la lyre, la plume et le sabre!
Chamfort, incapable de prendre le parti de Mar-
montel se retirant à la campagne pour y pleurer ses
pensions dans Vobscurité, ou celui de Morellet, le
gras sinécuriste, réduisant sa patiente rancune à la
guerre sourde du pamphlet anonyme et désarmant la
persécution à force de la cajoler, ou celui de Laura-
guais échappant au découragement par le scepti-
cisme, et riant de tout pour ne pleurer de rien ; Cham-
fort, incapable des platitudes et des palinodies d'un
Cubièrcs ou d'un Pons de Verdun, devait périr de la
mort de Brissot, de Chénier ou de celle de Condorcet.
C'est celle-là qu'il choisit. «Je me pendrai», avait-il
dit à Lauraguais, qui lui dessillait les yeux et nar-
guait sa confiance dans l'avenir de la Révolution, ses
conquêtes sans armes et son triomphe sans larmes. Il
ne devait pas tarder à tenir parole.
o // affectait, raconte Kœderer, un profond mé-
pris pour les chiens, parce qu'il les trouvait servilcs
et rampants, et beaucoup d'estime pour les chats,
parce qu'il leur trouvait un caractère plus libre et
non moins d'attachement. Un jour, pendant qu'il
discouroit sur ce sujet, son chat saute sur les genoux
de la personne à qui il parlait, et cette personne s'a-
perçoit que le chat a les ongles rognés jusqu'au vif :
XXviij NOTICE
c^était une précaution de Chanifort contre la liberté
des griffes. )> // est des hommes qui sont chiens, il en
est d'autres qui sont chais. Chamfort avait négligé
de rogner les griffes d'un de ces derniers, employé
cauteleux qui le flattait et le trahissait. C'était un
nommé Tohiesen Duhy, employé à la Bibliothèque,
connu plus tard par quelques travaux numisma-
tiques. Les délations intéressées de ce misérable, im-
patient d'avancer., entraînèrent l'arrestation et l'em-
prisonnement aux Madelonnettes de Chamfort, du
vénérable Barthélémy, de son neveu Courçay et de
deux autres employés supérieurs de la Bibliothèque.
Barthélémy fut relâché dès le lendemain; Chamfort
ne tarda pas lui-même à être élargi, grâce aux démar-
ches de ses amis; mais il demeura en surveillance,
obligé d'entretenir auprès de lui à ses frais un de ce:
gendarmes garnisaires que Souques, Vami de Brissot,
appelait plaisamment sa bonne. // avait donné sa
démission de la place qui lui coûtait si cher et que
refusa noblement son ami Ducis, mais il avait encore
gardé son logement à la Bibliothèque. Il avait obtenu de
partager les frais de la surveillance de ce garde avec
deux oft trois compagnons de suspicion, avec lesquels
il vivait. Par une concession qui était un hommage à
l'égalité en même temps qu'une marque flatteuse de
confiance, nos imprudents amis faisaient manger
leur garde avec eux et ne ménageaient pas plus leurs
propos que s'il eût été absent. Sans doute le garde.
NOTICE XXIX
scandalisé, fît son rapport ; peut-être un redoublement
dans les ombrages de la tyrannie régnante provoqua-
t-il seul une recrudescence de rigueur ; toujours est-il
quun jour, à Vissue du repas, le garde annonça
brusquement aux convives qu'ils eussent à faire leurs
paquets, qu'il avait ordre de les ramener à l'instant
même dans une maison d'arrêt.
Chamfort avait trop souffert, moralement et phy-
siquement, de son séjour aux incommodes et mal-
saines Madelonnettes, pour affronter l'épreuve d'une
seconde détention. En un instant son parti fut pris.
Retiré dans son cabinet sous prétexte de faire ses
préparatifs, il s'y enferma, et, tour à tour, avec un
pistolet et un rasoir, il chercha à s'ôter la vie et ne
réussit quà se mutiler. Un cri que lui arracha le
dernier de ces coups désespérés, éperdus, par lesquels,
comme il le disait plus tard avec une triste jovialité,
il cherchait à s'achever et ne parvenait quà se
charcuter; le sang qui coulait sous la porte, ré-
vélèrent la sinistre résolution qu'il n'avait pu consom-
mer. On accourut, on enfonça la porte, on s'empressa
à ce spectacle imprévu d'horreur et de pitié. Trans-
porté sanglant sur son lit, entouré de médecins et
d'officiers de police requis à la hâte, Chamfort ne
reprit ses sens que pour dicter, d'une voix ranimée à
force d'énergie, la fière déclaration suivante en réponse
aux questions qu'on lui posait sur les raisons qui
l'avaient déterminé à attenter à sa vie : « Moi,
d
XXX NOTICE
Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort, déclare avoir
voulu mourir en homme libre, plutôt que d'être
reconduit en esclave dans une maison d'arrêt; dé-
clare que, si, par violence, on s'obstinait à m'y
traîner dans l'état où je suis, il me reste assez de
force pour achever ce que j'ai commencé. Je suis
un homme libre; jamais on ne me fera rentrer
vivant dans une prison. »
Et il signa cette déclaration cornélienne, scellée de
traces de sang.
Nous n'insisterons pas sur les détails de cette ten-
tative et de la longue agonie qui la suivit. Nos lec-
teurs en trouveront à /'Appendice le récit touchant,
dû à la plume de Ginguené, l'ami et Véditeur de
Chamfort. Nous dirons seulenunt qu'abandonné à
lui-même par la haine décemvirale obligée de lâcher
sa proie, Chamfort reçut, sans reprendre goût à la
vie, qu'il méprisait définitivement, mais avec la con-
solation de n'avoir plus du nioins à douter de l'ami-
tié, dont il recevait tant de courageux témoignages,
des soins habiles et dévoués^ qui firent concevoir l'es-
poir de le conserver. Obligé de quitter son logement
de la Bibliothèque, Chamfort s'établit dans une
chambre à l'entresol, rue de Chabanais, avec ce qui
lui demeurait de livres, servi simplement, vu la mo-
destie de ses ressources, par une femme de ménage.
Là, ses amis venaient le voir; Use faisait aussi conduire
chez eux et se laissait gagner à l'attrait de projets
NOTICE XXX)
littéraires communs. C'est dans ces entretiens que fut
conçu le plan du journal la Décade philosophique.
Ses forces revenaient peu à peu, son humeur s'était
adoucie. Comme il arrive souvent après les grandes
secousses physiques et morales, la santé de son esprit
et celle de son corps s'étaient de nouveau t qudibrées,
rassérénées. « Je me trouve, disait-il, plus vivace que
jamais; c'est bien donimage que je ne me soucie plus
de vivre. » Ce vœu funèbre était un pressentiment. La
fermeture de ses plaies ne pouvait être favorable à
son entier rétablissement qu'à la condition d'ouvrir
aux humeurs l'exutoire préservateur d'un cautère.
Cette précaution fut négligée,' on s'en aperçut trop
tard en présence des rapides effets d'une révolution
séreuse irréparable. Chamfort expira /e 24 germinal
de l'an II de la République (i3 avril 1794), v/cf/me
des déceptions et des amertumes d'une existence ren-
due publique par la célébrité, et qui peut-être eût été
heureuse si elle eut pu, suivant le vœu de sa devise,
rester cachée ' .
// avait cinquante-trois ans.
Si maintenant , avant de nous séparer de l'homme
1. « Un homme de lettres (M. de Chamfort) a pris cette
devise : Une tortue ayant la tête hors de son écaille et
étant atteinte d'une flèche qui la lui perce, et pour âme
des mots latins dont le sens est : Heureuse si elle eût été
entièrement cachée. » [Mémoires de Mm de Genlis, t. IX,
p. 144.) •
XXXlj NOTICE
pour ne plus nous occuper que de l'œuvre, nous vou-
lons garder, d'après un portrait de maître, et non
d'après des esquisses faibles ou malignes comme celles
de l'abbé Morellet, M'"^ Vigée-Le Brun, Arnault,
M'"^ de Genlis, l'impression de la physionomie de
Chamfort au monunt de la Kévolution, nous n'avons
qu'à lire ces quelques lignes de Chateaubriand :
Chamfort était d'une taille au-dessus de la médiocre, un
peu courbé, d'une figure pâle, d'un teint maladif. Son œil
bleu, souvent froid et couvert dans le repos, lançait l'éclair
quand il venait à s'animer. Des narines un peu ouvertes
donnaient à sa physionomie l'expression de la sensibilité et
de l'énergie. Sa voix était flexible; ses modulations sui-
vaient les mouvements de son âme ; mais dans les derniers
temps de mon séjour à Paris elle avait pris de l'aspérité,
et on y démêlait l'accent agité et impérieux des factions.
Je me suis toujours étonné qu'un homme qui avait tant de
connaissance des hommes eût pu épouser si chaudement
une cause quelconque.
Ce qui étonne Chateaubriand loue Chamfort.
Vécrivain digne de ce nom n'est pas seulement un
artiste, uniquement préoccupé de l'effet de ses phrases,
du sort de ses mots, et indifférent à tout le reste.
Chamfort se faisait des devoirs de l'homme de lettres,
non seulement envers son art , mais envers la société
et son temps, un idéal supérieur à celui des succès de
cour et d'académie , des triomphes de salon et de
boudoir, de l'inscription au livre des pensions et des
spéculations de librairie. Il avait la fierté de carac-
tère qui accompagne et révèle la probité de l'esprit.
NOTICE XXXllj
Amoureux de la raison, ami du progrès, ennemi des
abus, il devait être séduit par les côtés généreux de la
cause qu'il embrassa. S'il mourut du désespoir de la
croire perdue , ce n'est pas à lui qu'il convient d'en
faire un reproche, ni à elle; c'est aux hommes, dont
les passions gâtent les plus belles idées, et que la mi-
santhropie de Chamfort , comme celle de Rousseau,
n'avait pris en haine que parce qu'ils ne veulent pas
■s' aimer. •
IV
Par une ironie du destin des œuvres de l'esprit qui
n'est pas sans exemples, Chamfort, célèbre pendant sa
vie par ses ouvrages légers dans le goût du temps, ses
épitres, ses épigrammes , ses contes, ses éloges, ses
pièces, ne l'est aujourd'hui que par son oeuvre testa-
mentaire posthume , et il n'arrivera à la postérité que
par ces petits feuillets déchirés de ses tablettes, frères
cadets des cartes à jouer de Pascal, sur lesquels son
stylet de méditation a buriné, dans un style lapidaire,
les réflexions et les souvenirs, les caractères , les por-
traits, les anecdotes que lui suggérait le spectacle des
hommes et des choses, et dont il essayait et aiguisait
l'effet dans ses conversations. Chez Kivarol la paresse
d'un esprit brillant, chez Chamfort la lassitude d'un
esprit attristé, avaient trouvé commode, de bonne
heure, de préférer aux lents succès du travail littéraire
XXXIV NOTICE
les faciles bonnes fortunes de l'improvisation de salon.
Tous deux, après les premiers triomphes académiques,
ont parlé leur vie, pensé tout haut, et presque cessé
d'écrire. Tous deux n'ont laissé que des fragments
des ouvrages qu'ils préparaient, l'un sur la philoso-
Sophie de la langue française , la théorie du goiit et
l'histoire critique du siècle ; l'autre sur l'étude de
Vhomme et la philosophie de la civilisation et de la
société. Trop tôt détournés de la méditation far l'ac--
tion,de la littérature par la politique ; trop tôt arrêtés
par une mort précoce, il ne reste rien d'eux que quel-
ques fragments de projets supérieurs peut-être à leurs
forces et qui exigeaient des vies plus longues et des
esprits de plus robuste haleine. Tous ces feux d'artifice
de conversation, d'éloquence, de malice, qui ont ébloui
les contemporains , qui leur ont laissé du jovial Ki-
varol une admiration gaie comme ses saillies, du
morose Chamfort une admiration triste comme ses
satires, ne sont plus représentés pour nous que par
quelques débris du décor de féerie et quelques ba-
guettes noircies du feu d'artifice. Mais les mots de
Kivarol , qui excellait à railler les ridicules , ne font
guère qu'amuser^ les mots de Chamfort, qui obser-
vait à fond et perçait à jour les travers, les vices et les
abus de la société de son temps, font plus penser que
sourire, et le fer chaud de son ironie en grave profon-
dément et cruellement la leçon dans l'esprit. Tous deux,
d'ailleurs, sont des moralistes de décadence, dont
NOTICE XXXV
l'amertume corrompue n'est pas toujours sans quelque
reste du poison d'une expérience recueillie à travers
leurs propres fautes. Nous sommes loin ici de la sa-
gesse mélancolique et tendre de Vauvenargues, faite
moins encore des profits de l'observation que des di-
vinations de la vertu. Kivarol, Sénac de Meilhan,
Chamfort, n'ont que la philosophie égoïste et amère
du désabusement. Leur sagesse n'est point pure; elle
garde la trace des voluptés dont ils sont rassasiés plus
encore que revenus.
Kœdcrer a dit bien justement à ce propos :
Il y a , dans Chamfort , une foule de mots très fins et
très justes qui ne peuvent être entendus que par des gens
corrompus; une foule de figures qui, pour des hommes
vertueux, ne seraient que des contresens.
Kcederer a aussi heureusement caractérisé l'accent
à la fois très humain et très moderne, le souffle d'es-
prit tout français, qui font que Chamfort, dans lequel
d y a beaucoup de sous-entendus, de réticences, de
nuances , de mots à facettes , est à la fois pour nous
d'une saveur si agréable et si piquante^ et d'une intel-
ligence si difficile pour les étrangers.
Il faudrait un livre pour expliquer à un Américain
homme d'esprit tout le sens d'une épigramme de Chamfort;
encore ne parviendrait-on qu'à l'expliquer, et jamais à la
faire sentir.
On a parfois reproché à Chamfort d'émietter ses
XXXVJ NOTICE
idées. On a blâmé et regretté cette forme fragmen-
taire quil affecte et affectionne. C'est encore Kœderer
qui nous fournira la réponse :
Nous saisirons cette occasion de diie que les pensées
détachées nous paraissent la meilleure manière d'écrire la
morale, quand on n'en fait pas un traité complet, et même
quand on ne le fait pas avec toute la philosophie de Saint-
Lambert, La Rochefoucauld, Vauvenargues, Pascal, nous
ont épargné par leurs maximes une foule de lieux com-
muns dont ils n'auraient pu se dispenser de faire usage s'ils
avaient voulu lier en système toutes leurs idées. Des longs
ouvrages de préceptes moraux, qu'en fait-on? On en extrait
cinquante pensées, on oublie le reste. Eh bien ! n'aurait-il
pas mieux valu que l'auteur donnât son extrait tout fait?
D'ailleurs, comme dit Sénèque, la morale a plus d'énergie
étant présentée par pensées détachées. — Ces pensées, ajoute
Diderot, son historien, sont autant de clous d'airain qui
s'enfoncent dans l'âme et qu'on n'en arrache point.
Il y a beaucoup de ces clous d'airain par la soli-
dité, d'or par le précieux et l'éclat de la forme, dans
Chamfort.
Nous parlions tout à l'heure de l'accent tout mo-
derne, presque contemporain, de ses idées. On y sent
encore le frémissement de la chose vécue. C'est là li
secret de son charme, de sa force, de son influence,
de plus en plus sensible dans notre littérature, notre
philosophie et notre politique. Le public de Chamfort
s'accroît sans cesse. Il a un mordant qui pénètre
tout. Il est goûté de tous ceux qui n'aiment pas les
fadeurs et ne redoutent pas la pointe des pensées qui
NOTICE XXXvij
ont été en quelque sorte senties et souvent souffertes.
Son commerce a ainsi rendu au public contemporain
le même service qu'il rendit au public de la Révolu-
tion. « Chamfort, dit Kaderer, — que nous ne
nous lassons pas de citer, parce qu'il ne se lasse point
d'avoir raison sur ce sujet délicat du talent, du ca-
ractère et de l'influence de Chamfort, qu'il eut le
courage de défendre dès i'j<)^, — Chamfort impri-
mait sans cesse, mais c'était dans l'esprit de ses amis. »
Il n'a rien laissé d'écrit, mais il n'aura rien dit qui ne le
soit un jour. On le citera longtemps ; on répétera dans
plus d'un bon livre des paroles de lui qui sont l'abrégé ou
le germe d'un bon livre. Ne craignons pas de le dire : on
n'estime pas à sa valeur le service qu'une phrase énergique
peut rendre aux plus grands intérêts. Il est des vérités im-
portantes qui ne servent à rien, parce qu'elles sont noyées
dans de volumineux écrits, ou errantes et confuses dans
l'entendement; elles sont comme un métal précieux en dis-
solution : en cet état, il n'est d'aucun usage ; on ne peut
même apprécier sa valeur. Pour le rendre utile, il faut que
l'artiste le mette en lingot, l'affine, l'essaye et lui imprime
sous le balancier des caractères auxquels tous les yeux
puissent le reconnaître. Il en est de même de la pensée. Il
faut, pour entrer dans la circulation, qu'elle passe sous le
balancier de l'homme éloquent; qu'elle y soit marquée
d'une empreinte ineffaçable. Chamfort n'a cessé de frapper
de ce genre de monnaie, et souvent il a frappé de la mon-
naie d'or...
Les considérations qui précèdent indiquent assez
comment, en principe, nous avons compris nos devoirs
d'éditeur; il nous reste à donner quelques explications
sur la façon dont nous les avons accomplis en détail.
XXXviij NOTICE
Les Œuvres de Chamfort ont été publiées par
Ginguenéj Van III de la République [ij(^5), en
4 vol. m-8° ; — chez Maradan, en 1812^ 2 vol, m-8° ;
— en 1825 (par Auguis) ; en iSbj [par M. Arsène
Homsaye [Adolphe Delahays édit.),en un vol. in-iS
précédé d'une spirituelle Étude; — en iSSjy par
M. Stahl [Hetzel), en i vol. in-iS, avec une longue
et intéressante introduction. Dans aucune de ces édi-
tions, les Maximes et Pensées n'ont été rangées et
classées dans leur ordre logique et méthodique. Nous
avons eu la patience et pris la peine de faire ce classement
de façon à ce que le lecteur puisse lire les unes à la
suite des autres toutes les pensées sur le même sujet.
Nous avons été récompensé de ce soin en voyant
combien il était utile à l'intelligence et même à la
renommée du moraliste : car telle pensée isolée per-
dait de son effet; notre classement a eu pour con-
séquence de rendre à chacune non seulement toute
sa valeur absolue, mais encore tout son éclat relatif.
Il en est des pensées de Chamfort comme du dia-
mant : laissé à l'état brut, il semble terne; débar^
rassé de sa gangue et réuni à d'autres, il compose
un collier ou le rapprochement d'un certain nombre
de pierres semblables augmente le relief de chacune
et multiplie leur éclat par le rayonnement et la ré-
fraction des feux qu'on n'obtient que dans un en-
semble. Grâce à l'obligeante libéralité de M. Feuillet
de Conches, nous avons pu collationner le texte des
NOTICE XXXIX
Pensées sur le manuscrit original de Chamfort qu'il
nous a communiquéj en nous autorisant^ en sa qua-
lité de propriétairCj à faire usage de toutes les
maximes et pensées contenues dans le manuscrit et
déjà publiées, et à en extraire les quelques pensées de-
meurées inédites; ce que nous avons fait sans nous
exagérer l'importance de cette dernière glane.
Enfin, obéissant en cela au vœu du public et à ses
préférences, qui l'ont emporté facilement à nos yeux
sur les scrupules de Vordre chronologique, nous
avons donné les Œuvres de Chamfort, en prenant
pour règle de notre choix non le jugement des con-
temporains, forcément superficiel et passionné, mais
celui de la critique de notre temps. Nous avons
commencé par l'œuvre posthume de Chamfort, celle
qui lui assure une place parmi nos moralistes et nos
classiques de second ordre. Nous voulons parler des
Maximes, Pensées, Portraits^ Caractères^ Anec-
dotes, Dialogues philosophiques. Nous n'avons
donné le surplus, choisi dant ses Éloges, son Théâ-
tre, ses Lettres^ qu'en deuxième ligne^ à titre de
documents complémentaires sur son caractère et son
talent, de matériaux pour servir à l'esquisse défini-
tive de sa physionomie littéraire et morale.
M. de Lescure.
LE SUICIDE ET LA MORT
DE
CHAMFORT-
La maison où ils furent conduits (les Madelonnettes)
était incommode et malsaine. L'auteur du Voyage d'Ana-
charsis n'y resta que jusqu'au lendemain, comme si l'on se
fût contenté d'avoir insulté dans sa personne l'érudition, la
philosophie, la vertu et la vieillesse. Chamfort et les deux
autres en furent aussi retirés quelques jours après; mais il
y avait déjà beaucoup souffert; ses infirmités habituelles
exigeaient des soins, et souvent de la solitude : il n'avait
pu ni se soigner ni être seul un instant. Il conçut dès lors
pour la prison une horreur profonde, et jura de mourir
plutôt que de s'y laisser reconduire. Il n'en était pas sorti
tout à fait libre ; on lui avait donné un gendarme, et,
quoiqu'il fût alors d'usage de ruiner par ce moyen ceux
qui préféraient ce genre de captivité à la réclusion, l'on
avait consenti à partager la surveillance d'un seul garde
I, Extrait de la Notice de Ginguené , en tète de l'édi
tion de i 795.
xlij LE SUICIDE ET LA MORT
entre Chamfort et ses camarades. Ils le payaient et le nour-
rissaient en commun ; ils avaient la simplicité de le faire
manger avec eux, et, dans ces dîners de détenus, Chamfort
parlait tout aussi librement qu'il l'eiàt jamais fait au milieu
des sociétés les plus sûres.
Cela dura plus d'un mois, et pendant ce temps la
tyrannie faisait chaque jour des progrès sanglants; chaque
jour il devenait, pour un honnête homme, plus difficile,
mais aussi plus indifférent de vivre. Un jour, à la fin du
repas, le gendarme dit crûment et sans préparation aux
trois convives qu'ils eussent à faire leurs paquets, et qu'il
avait ordre de les ramener à l'instant même dans une
maison d'arrêt. Chamfort crut que c'était aux Madelon-
nettes qu'on voulait le conduire, et il se souvint de son
serment. Sous prétexte de faire ses préparatifs, il se retire
dans son cabinet, au bout de la galerie où était sa biblio-
thèque; il s'y enferme, charge un pistolet, veut le tirer sur
son front, se fracasse le haut du nez et s'enfonce l'œil droit.
Étonné de vivre, et résolu de mourir, il saisit un rasoir,
essaye de se couper la gorge, y revient à plusieurs fois et se
met en lambeaux toutes les chairs. L'impuissance de sa
main ne change rien aux dispositions de son âme ; il se
porte plusieurs coups vers le cœur, et, commençant à dé-
faillir, il tâche, par un dernier effort, de se couper les deux
jarrets et de s'ouvrir toutes les veines. Enfin, vaincu par la
douleur, il pousse un cri et se jette sur un siège, où il reste
presque sans vie. Le sang coulait à flots sous la porte. Sa
gouvernante entend ce cri, voit ce sang; elle appelle, on
vient; elle frappe à coups redoublés; on enfonce la porte.
Le spectacle qui s'offre aux yeux interdit toute question.
Chacun s'empresse à étancher le sang avec des mouchoirs,
des linges, des bandages. On transporte le mourant sur son
lit. Des gens de l'art et des officiers civils sont appelés :
tandis que les ujis préparent l'appareil nécessaire à tant de
blessures, Chamfort, d'une voix ferme, dicte aux autres une
déclaration ainsi conçue : « Moi, Sébastien-Roch-Nicolas
Chamfort, déclare avoir voulu mourir en homme libre,
plutôt que d'être reconduit en esclave dans une maison
DE CHAMFORT xluj
d'arrêt; déclare que, si, par violence, on s'obstinait à m'y
traîner dans l'état où je suis, il me reste assez de force pour
achever ce que j'ai commencé. Je suis un homme libre;
jamais on ne me fera rentrer vivant dans une prison. »
Il signa cette déclaration romaine et, sans daigner s'aperce-
voir que la pièce voisine du cabinet où était son lit se
remplissait de gens envoyés près de lui par la section, il
continua de s'expliquer librement sur les motifs de l'action
qu'il venait de commettre.
Ma femme, qu'on était venu avertir, accourut chez lui
tout en larmes : « Ma chère amie, lui dit-il dès qu'il
l'aperçut, vous voyez à quoi sont réduits les patriotes. Je
plains votre cher mari, je vous plains. Pour moi, tout est
dit; je n'ai à me reprocher que d'avoir vécu. » J'arrivai
peu de temps après : je n'oublierai jamais ce spectacle. Sa
tête et son col étaient enveloppés de linges sanglants; son
oreiller, ses draps étaient aussi tachés de sang. Le peu qu'on
apercevait de son visage en était encore couvert. Il parlait
avec moins de violence, et commençait à sentir sa faiblesse.
Je restais debout près de lui, muet de saisissement, d'ad-
miration et de douleur. « Mon ami, me dit-il, en me ser-
rant la main, voilà comme on échappe à ces gens-là. Ils
prétendent que je me suis manqué, mais je sens que la
balle est restée dans ma tête ; ils n'iront pas l'y chercher. »
Tout ce qu'il disait avait ce caractère d'énergie et de sim-
plicité. Après un moment de silence, il reprit d'un air tout
à fait calme, et même de ce ton ironique qui lui était assez
familier : « Que voulez-vous ! Voilà ce que c'est que d'être
maladroit de la main : on ne réussit à rien, pas même à se
tuer. » Alors il se mit à me raconter comment il s'était
perforé l'œil et le bas du front au lieu de s'enfoncer le
crâne, puis charcuité le col au lieu de se le couper, et ba-
lafré la poitrine sans parvenir à se percer le coeur : « Enfin,
ajoutait-il, je me suis souvenu de Sénèque, et en l'honneur
de Sénèque j'ai voulu m'ouvrir les veines; mais il était
riche, lui; il avait tout à souhait, un bain bien chaud, enfin
toutes ses aises. Mais je suis un pauvre diable , je n'ai rien
de tout cela. Je me suis fait un mal horrible, et me voilà
xliv LE SUICIDE ET LA MORT
encore. Mais j'ai la balle dans la tête, c'est là le principal.
Un peu plus tôt, un peu plus tard, voilà tout. »
En ce moment le gendarme qui avait conduit ses cama-
rades d'infortune entra dans la pièce voisine. Chamfort re-
connut sa voix et me pria de l'appeler. « Eh bien ! lui dit-il,
où les avez-vous menés? — Au Luxembourg, citoyen. —
Au Luxembourg ! Ah ! ah ! je croyais qu'il fallait retourner
aux Madelonnettes, que j'ai en horreur; si j'avais su que
ce fût au Luxembourg, je ne me serais peut-être pas tué.
Mais, au reste, j'ai toujours eu raison de faire ce que j'ai
fait. »
Cependant les officiers de la section, le juge de paix et
les commissaires avaient fini leurs opérations, et voulaient
placer près du malade quatre sans-culottes qu'il fallait
payer. Chamfort leur dit qu'il ne méritait pas tant d'hon-
neur, que deux seraient assez pour ses besoins et beaucoup
trop pour sa fortune. Alors entra dans la chambre, au mi-
lieu de tout le monde, un homme bizarre, qui passe pour
être fort savant en grec, mais pour ignorer beaucoup
d'autres choses, et pour qui, après la mort funeste de
Carra et la démission de Chamfort^, on avait rétabli la
place unique de bibliothécaire. Il avait appris cet accident
et venait s'assurer du fait. « Mais, dit-il, M. de Cham-
fort n'a donc pas lu mon discours contre le suicide?
C'est un ouvrage qui a eu beaucoup de succès. » Le
voilà qui fait, sans qu'on l'en prie, tout l'extrait de son
discours. Personne ne lui répondant un mot, il partit sans
s'informer de l'état du malade, sans témoigner pour lui le
moindre intérêt. Les personnes qui étaient là se retirèrent.
Chamfort s'était assoupi. Je sortis en le recommandant aux
soins des deux gardes qu'on lui avait laissés, et tâchant de
I. A son retour des Madelonnettes, Chamfort crut apaiser
ses persécuteurs en donnant sa démission. Sa place fut of-
ferte à rhonnête Ducis, qui la refusa quoique pauvre, parce
qu'il trouvait, avec raison, indigne d'un homme de lettres de
l'accepter en de telles circonstances.
DE CHAMFORT xlv
donner à sa gouvernante, qui avait presque perdu la tête,
une espérance que je n'avais pas.
On n'en eut aucune pendant plusieurs jours. Il souffrait
beaucoup de ses plaies, mais sans se plaindre, et soutenait
toujours qu'il n'en reviendrait pas. Les gardes, qui se te-
naient sans cesse auprès de lui, ne l'empêchaient pas de
parler librement. Un de ses amis lui reprochait avec ten-
dresse d'avoir tenté de se donner la mort. « Je pouvais me
tuer en sûreté, répondit-il, je ne risquais pas du moins
d'être jeté à la voirie du Panthéon. » C'était ainsi qu'il
l'appelait depuis l'apothéose de Marat. Il demandait les
nouvelles, se faisait lire les journaux du soir; s'expliquait
sans ménagements sur les événements et sur les séances,
et concluait assez ordinairement de ce qu'il venait d'en-
tendre qu'il avait fort bien fait de se tuer. Mais, la crise de
la suppuration étant passée, le médecin qui le traitait, ré-
pondit de sa vie. En effet, les progrès de la guérison furent
très rapides : quoique son œil blessé fût le moins mauvais
des deux, et qu'il l'eût presque entièrement perdu, il com-
mença bientôt à pouvoir lire et même à faire des vers. Il
s'amusait à traduire des épigrammes de VAnthologie. J'en
ai entendu plusieurs, dont le tour était fort heureux. Il n'y
en avait aucune dans ce que j'ai retrouvé de ses papiers.
Au bout d'une vingtaine de jours, il fut en état de se
lever et même de sortir. Il avait obtenu qu'on lui retirât
un de ses gardes; il parut un soir chez moi avec l'autre.
Prévenus le matin de sa visite, nous avions réuni quelques
amis. « Permettez, dit-il en entrant, que je vous présente
mon sans-culotte, qui est beaucoup moins sans culotte que
moi ! » C'était, effectivement, un grand homme assez bien
vêtu et de fort bonne mine, ayant l'air de quelque ancien
valet de chambre de grand seigneur; mais n'importe, il
était un des sans-culottes de la section Le Peletier, c'est-
à-dire un de ceux que les chefs de la tyrannie populaire
enrôlaient sous ce titre dans chaque section pour aller chez
ce qu'ils appelaient les riches s'établir à ne rien faire que se
chauffer, manger, dormir et recevoir cent sous par jour :
corruption d'un nouveau genre exercée sur la classe active
f
xlvj LE SUICIDE ET LA MORT
du peuple par des gens qui lui promettent sans cesse tous
les biens de la classe oisive, commençant par lui en donner
tous les vices.
Les hommes qui haïssaient le plus Chamfort, les amis les
plus forcenés du régime dont il s'était déclaré si ouverte-
ment l'ennemi, n'auraient pu le voir sans en être touchés,
l'œil couvert d'une bande noire, presque totalement privé
de la vue, les jambes encore affaiblies et douloureuses,
proscrit par ceux qui se disaient les amis du peuple, et por-
tant sur toute sa personne des traces de l'effort courageux
mais inutile qu'il avait fait pour leur échapper. Son ton
était simple, sans jactance ni sans amertume. Les tendres
soins qu'il avait reçus de l'amitié semblaient avoir adouci
l'idée du besoin qu'il en avait eu. Quelqu'un lui exprimait
le plaisir de le voir revenir à la vie. « Ce n'est point à la
vie, répondit-il, que je suis revenu, c'est à mes amis. » Ce
qui se passait alors tous les jours n'autorisait que trop cette
distinction aussi juste que touchante. Il en était profondé-
ment affecté. Il disait au sensible Colchen, qui le félicitait
d'être échappé à ses propres coups : « Ah ! mon ami ! les
horreurs que je vois me donnent à tout moment l'idée de
me recommencer. »
Il n'avait qu'à se louer de l'honnête homme qu'on avait
placé près de lui. « Ils ont voulu, disait-il, me donner un
garde, et c'est un guide qu'ils m'ont donné. » Mais c'était
pour lui une charge très onéreuse; il obtint enfin d'en
être délivré.
Ses forces commençaient à peine à revenir qu'il s'occupa
de quitter son logement de la Bibliothèque. Il en était vi-
vement pressé par son successeur, qui, ayant déjà plus d'ap-
partements qu'il n'en eût fallu à deux hommes de lettres,
convoitait encore celui-là. Chamfort, obligé par la perte
presque totale de ses moyens d'existence et par les frais
considérables de sa détention et de son traitement, à regar-
der de très près à sa dépense, prit un petit entresol composé
d'une seule pièce, rue de Chabanais, où il s'établit, avec ce
qui lui restait de ses livres, seul, sans domestique, et sim-
plement servi par une femme de ménage. Il reprit peu à
DE CHAMFORT xlvij
peu quelques-unes de ses habitudes : la plus douce était
d'aller voir presque chaque jour le très petit nombre d'amis
qui lui avoient témoigné un intérêt constant dans son mal-
heur. Il prit la ferme résolution de renoncer à ce qu'on
appelle la société et de se concentrer dans ce petit cercle.
Il fit avec quelques-uns d'eux des projets de travaux litté-
raires, et ce fut presque uniquement pour l'occuper d'une
manière utile que fut conçu le plan du journal intitulé la
Décade philosophique.
Il éprouvait dans sa santé une révolution heureuse. Il
lui était resté jusqu'alors de fortes traces de ses anciennes
infirmités : une humeur dartreuse se jetait tantôt sur ses
yeux, tantôt sur ses oreilles; il ressentait souvent des
crispations d'estomac et des douleurs de vessie qui venaient
de la même cause, et son teint était habituellement celui
d'un malade. Les plaies cruelles et nombreuses qu'il s'était
faites furent pour cette humeur un cautère violent : tandis
qu'il en resta encore d'ouvertes, il se porta mieux et se sen-
tit plus fort de jour en jour; son teint devint net et coloré;
il prit même une apparence d'embonpoint. « Je me trouve,
disait-il, plus vivace que jamais. C'est bien dommage que
je ne me soucie plus de vivre. » Mais en fermant ses der-
nières plaies on devait lui ouvrir un cautère; on négligea
cette précaution, et il ne tarda pas à s'en ressentir. Il per-
dit tout à coup l'appétit, le sommeil, l'activité; bientôt
l'humeur se porta, comme il arrive toujours, vers la partie
la plus faible : il éprouva des douleurs de vessie si vio-
lentes que , dès le premier jour, il fut hors d'état de mar-
cher. Le lendemain, l'inflammation et la douleur augmen-
tèrent prodigieusement. Ses amis, effrayés, appelèrent l'habile
chirurgien Dessault, qui malheureusement, ne connaissant
point assez son tempérament, se trompa sur la nature du
mal. Il le traita par des topiques et des cataplasmes émol-
lients. Le gonflement et les souffrances allaient toujours
croissant. On se détermina enfin à une opération qui, faite
plus tôt, l'eijt peut-être sauvé. L'humeur sortit en abondance,
et le malade se sentit soulagé ; mais elle remonta dans la
nuit ; il eut un évanouissement très long. Le lendemain
xlviij LE SUICIDE ET LA MORT DE CHAMFORT
matin, une seconde crise, plus longue que la première,
épuisa ses forces, et il expira le 24 germinal de l'an II de
la République, non pas sur un grabat, comme le dit alors
durement un journaliste, mais dans le très modeste asile où
ses malheurs l'avaient relégué ; du reste, ne manquant
d'aucun des objets ni des soins que son état exigeait et en-
touré jusqu'à la fin de quelques fidèles amis.
La tyrannie dont il mourait victime était alors si puis-
sante et la terreur si générale que ce fut un acte de cou-
rage de l'accompagner jusqu'à sa dernière demeure. Un très
petit nombre d'hommes furent jugés dignes d'y être invités :
la plupart s'y rendirent, et, malgré l'usage plus barbare que
philosophique qui privait les funérailles de tout appareil,
cette triste cérémonie ne fut ni sans honneur ni sans
GiNGUENÉ.
MAXIMES ET PENSEES
MORALES
Maximes générales.
^^M,|ES maximes, les axiomes, sont, ainsi
>^==^.çoque les abrégés, l'ouvrage des gens
^v^^J^/^ d'esprit, qui ont travaillé, ce semble.
f^^à l'usage des esprits médiocres ou pa-
resseux. Le paresseux s'accommode d'une maxime
qui le dispense de faire lui-même les observations
qui ont mené l'auteur de la maxime au résultat
dont il fait part à son lecteur. Le paresseux et
l'homme médiocre se croient dispensés d'aller au
delà, et donnent à la maxime une généralité que
l'auteur, à moins qu'il ne soit lui-même médiocre,
ce qui arrive quelquefois, n'a pas prétendu lui
Chamfort. I. i
2 MAXIMES ET PENSEES
donner. L'homme supérieur saisit tout d'un coup
les ressemblances, les différences, qui font que la
maxime est plus ou moins applicable à tel ou tel
cas, ou ne l'est pas du tout. Il en est de cela
comme de l'histoire naturelle, où le désir de sim-
plifier a imaginé les classes et les divisions. Il a
fallu avoir de l'esprit pour les faire, car il a fallu
rapprocher et observer des rapports; mais le grand
naturaliste, l'homme de génie, voit que la nature
prodigue des êtres individuellement différens, et
voit l'insuffisance des divisions et des classes, qui
sont d'un si grand usage aux esprits médiocres ou
paresseux. On peut les associer : c'est souvent la
même chose, c'est souvent la cause et l'effet.
Les maximes générales sont dans la conduite de
la vie ce que les routines sont dans les arts.
Il y a deux classes de moralistes et de politi-
ques : ceux qui n'ont vu la nature humaine que
du côté odieux ou ridicule, et c'est le plus grand
nombre, Lucien, Montaigne, La Bruyère, La Ro-
chefoucauld, Swift, Mandeville, Helvétius, etc.;
ceux qui ne l'ont vue que du beau côté et dans
ses perfections : tels sont Shaftesbury et quel-
ques autres. Les premiers ne connoissent pas le
palais dont ils n'ont vu que les latrines; les seconds
sont des enthousiastes qui détournent leurs yeux
MORALES 3
loin de ce qui les offense et qui n'en existe pas
moins. Est in medio verum.
Veut-on avoir une preuve de la parfaite inutilité
de tous les livres de morale, de sermons, etc.? Il
n'y a qu'à jeter les jeux sur le préjugé de la no-
blesse héréditaire. Y a-t-il un travers contre lequel
les philosophes, les orateurs, les poètes, aient
lancé plus de traits satiriques, qui ait plus exercé
les esprits de toute espèce, qui ait fait naître plus
de sarcasmes ? Cela a-t-il fait tomber les présenta-
tions, la fantaisie de monter dans les carrosses?
cela a-t-il fait supprimer la place de Chérin ?
La plupart des faiseurs de recueils de vers ou
de bons mots ressemblent à ceux qui mangent des
cerises ou des huîtres, choisissant d'abord les
meilleures, et finissant par tout manger.
C'est une belle allégorie, dans la Bible, que cet
arbre de la science du bien et du mal qui produit
la mort. Cet emblème ne veut-il pas dire que,
lorsqu'on a pénétré le fond des choses, la perte
des illusions amène la mort de l'âme, c'est-à-dire
un désintéressement complet sur tout ce qui tou-
che et occupe les autres hommes?
Dans les choses, tout est affaires mêlées; dans
4 MAXIMES ET PENSEES
les hommes, tout est pièces de rapport. Au moral et
au physique, tout est mixte : rien n'est un, rien
n'est pur.
Il y a certains défauts qui préservent de quel-
ques vices épidémiques, comme on voit, dans un
temps de peste, les malades de fièvre quarte échap-
per à la contagion.
Les méchans font quelquefois de bonnes actions.
On diroit qu'ils veulent voir s'il est vrai que cela
fasse autant de plaisir que le prétendent les hon-
nêtes gens.
Le monde physique paroît l'ouvrage d'un être
puissant et bon, qui a été obligé d'abandonner à
un être malfaisant l'exécution d'une partie de son
plan; mais le monde moral paroît être le produit
des caprices d'un diable devenu fou.
Ceux qui ne donnent que leur parole pour ga-
rant d'une assertion qui reçoit sa force de ses
preuves ressemblent à cet homme qui disoit : « J'ai
l'honneur de vous assurer que la terre tourne au-
tour du soleil. »
Dans les grandes choses, les hommes se mon-
MORALES
5
tient comme il leur convient de se montrer; dans
les petites, ils se montrent comme ils sont.
Dans l'ordre naturel comme dans l'ordre social,
il ne faut pas vouloir être plus qu'on ne peut.
La sottise ne seroit pas tout à fait la sottise si
elle ne craignoit pas l'esprit. Le vice ne seroit jias
tout à fait le vice s'il ne haïssoit pas la vertu.
La pensée console de tout et remédie à tout. Si
quelquefois elle vous fait du mal, demandez-lui
le remède du mal qu'elle vous a fait, et elle vous
le donnera.
L'âme, lorsqu'elle est malade, fait précisément
comme le corps : elle se tourmente et s'agite en
tous sens, mais finit par trouver un peu de calme;
elle s'arrête enfin sur le genre de sentimens et
d'idées le plus nécessaire à son repos.
Il y a des hommes à qui les illusions sur les
choses qui les intéressent sont aussi nécessaires que
la vie. Quelquefois cependant ils ont des aperçus
qui feroient croire qu'ils sont près de la vérité ;
mais ils s'en éloignent bien vite, et ressemblent aux
enfans qui courent après un masque et qui s'en-
fuient si le masque vient à se retourner.
b MAXIMES ET PENSEES MORALES
Vivre est une maladie dont le sommeil nous
soulage toutes les seize heures; c'est un palliatif ;
la mort est le remède.
Amour, folie aimable; ambition, sottise sé-
rieuse.
Allé go
ne.
'est une jolie allégorie que celle qui
représente Minerve, la déesse de la
sagesse, rejetant la flûte quand elle
s'aperçoit que cet instrument ne lui
sied pas
* C'est une jolie allégorie que celle qui fait sor-
tir les songes vrais par la porte de corne, et les
songes faux, c'est-à-dire les illusions agréables, par
la porte d'ivoire.
Ambition.
L'ambition prend aux petites âmes plus facilement
qu'aux grandes, comm3 le feu prend plus aisément
à la paille, aux chaumières, qu'aux palais.
L'ambitieux qui a manqué son objet et qui vit
dans le désespoir me rappelle Ixionmis sur la roue
pour avoir embrassé un nuage.
I . L'astérisque joint aux pensées indique qu'elles sonî
inédites.
5 MAXIMES ET PENSEES
Amitié.
L'amitié extrême et délicate est souvent blessée
du repli d'une rose.
Dans de certaines amitiés passionnées, on a le
bonheur des passions, et l'aveu de la raison par-
dessus le marché.
Celui qui déguise la tyrannie, la protection ou
même les bienfaits sous l'air et le nom de l'amitié,
me rappelle ce prêtre scélérat qui empoisonnoit
dans une hostie.
Les nouveaux amis que nous faisons après un
certain âge, et par lesquels nous cherchons à rem-
place.r ceux que nous avons perdus, sont à nos an-
ciens amis ce que les yeux de verre, les dents
postiches et les jambes de bois sont aux véritables
yeux, aux dents naturelles et aux jambes de chair
et d'os.
Il n'y a que l'amitié entière qui développe toutes
les quahtés de l'âme et de l'esprit de certaines
personnes. La société ordinaire ne leur laisse dé-
ployer que quelques agrémens. Ce sont de beaux
fruits qui n'arrivent à leur maturité qu'au soleil, et
MORALES 9
qui dans la serre chaude n'eussent produit que
quelques feuilles agréables et inutiles
Je conserve pour M, de la B... le sentiment
qu'un honnête homme éprouve en passant devant
le tombeau d'un ami.
L'amitié délicate et vraie ne souffre l'alliage
d'aucun autre sentiment. Je regarde comme un
grand bonheur que l'amitié fût déjà parfaite entre
M... et moi avant que j'eusse occasion de lui
rendre le service que je lui ai rendu et que je pou-
vois seul lui rendre. Si tout ce qu'il a fait pour moi
avoit pu être suspect d'avoir été dicté par l'intérêt
de me trouver tel qu'il m'a trouvé dans cette cir-
constance, s'il eût été possible qu'il la prévît, le
bonheur de ma vie étoit empoisonné pour jamais.
Lorsque mon cœur a besoin d'attendrissement,
je me rappelle la perte des amis que je n'ai plus,
des femmes que la mort m'a ravies; j'habite leur
cercueil, j'envoie mon âme errer autour des leurs.
Hélas! je possède trois tombeaux!
On partage avec plaisir l'amitié de ses amis
pour des personnes auxquelles on s'intéresse peu
soi-même; mais la haine, même celle qui est la
plus juste, a de la peine à se faire respecter.
lO MAXIMES ET PENSEES
Il y a peu de vices qui empêchent un homme
d'avoir beaucoup d'amis autant que peuvent le
faire de trop grandes qualités.
Lorsque Montaigne a dit, à propos de la gran-
deur : « Puisque nous ne pouvons y atteindre,
Vengeons-nous à en médire », il a dit une chose
plaisante, souvent vraie, mais scandaleuse, et qui
donne des armes aux sots que la fortune a favo-
nsés. Souvent c'est par petitesse qu'on hait l'égalité
des conditions ; mais un vrai sage et un honnête
homme pourroient la haïr comme la barrière qui
sépare des âmes faites pour se rapprocher. Il est
peu d'hommes d'un caractère distingué qui ne se
soient refusés aux sentimens que leur inspiroit tel
ou tel homme d'un rang supérieur, qui n'aient
repoussé, en s'affligeant eux-mêmes, telle ou telle
amitié qui pouvoit être pour eux une source de
douceurs et de consolations. Chacun d'eux, au lieu
de répéter le mot de Montaigne, peut dire : a Je
hais la grandeur qui m'a fait fuir ce que j'aimois,
ou ce que j'aurois aimé. »
La plupart des liaisons de société, la cama-
raderie, etc., tout cela est à l'amitié ce que le
sigisbéisme est à l'amour.
Le rôle de l'homme prévoyant est assez triste.
MORALES II
Il afflige ses amis en leur annonçant les malheurs
auxquels les expose leur imprudence. On ne le
croit pas, et, quand ces malheurs sont arrivés, ces
mêmes amis lui savent mauvais gré du mal qu'il a
prédit, et leur amour-propre baisse les yeux devanf
l'ami qui devoit être leur consolateur, et qu'ils au-
roient choisi s'ils n'étoient pas humiliés en sa pré-
sence.
La plupart des amitiés sont hérissées de si et de
mais, et aboutissent à de simples liaisons, qui sub-
sistent à force de sous-entendus.
* Un homme d'esprit disoit de M..., son ancien
ami, qui étoit revenu à lui dans la prospérité : « Non-
seulement il veut que ses amis soient heureux, mais
il l'exige. »
Peut-être faut-il avoir senti l'amour pour bien
connoître l'amitié.
Amour.
Quand un homme et une femme ont l'un pour
l'autre une passion violente, il me semble toujours
que, quels que soient les obstacles qui les séparent,
un mari, des parens, etc., les deux amans sont
l'un à l'autre de par la nature; qu'ils s'appar-
12 MAXIMES ET PENSEES
tiennent de droit divin^ malgré les lois et les con-
ventions humaines.
Otez l'amour-propre de l'amour, il en reste trop
peu de chose. Une fois purgé de vanité, c'est un
convalescent affoibli qui peut à peine se traîner.
L'amour, tel qu'il existe dans la société, n'est
que l'échange de deux fantaisies et le contact de
deux épidermes.
On vous dit quelquefois, pour vous engager à
aller chez telle ou telle femme : Elle est très-aima-
ble. Mais si je ne veux pas l'aimer? Il vaudroit
mieux dire : Elle est très-aimante, parce qu'il y a
plus de gens qui veulent être aimés que de gens
qui veulent aimer eux-mêmes.
On dit, en politique, que les sages ne font point
de conquêtes; cela peut s'appliquer aussi à la
galanterie.
Une femme d'esprit m'a dit un jour un mot qui
pourroit bien être le secret de son sexe : c'est que
toute femme, en prenant un amant, tient plus de
compte de la manière dont les autres femmes
voient cet homme que de la manière dont elle le
voit elle-même.
MORALES l3
C'est par notre amour-propre que l'amour nous
séduit. Eh! comment résister à un sentiment qui
embellit à nos yeux ce que nous avons, nous rend
ce que nous avons perdu et nous donne ce que
nous n'avons pas ?
Il j a des redites pour l'oreille et pour l'esprit,
il n'y en a point pour le cœur.
Il semble que l'amour ne cherche pas les perfec-
tions réelles : on diroit qu'il les craint. Il n'aime
que celles qu'il crée, qu'il suppose : il ressemble à
ces rois qui ne reconnoissent de grandeur que
celles qu'ils ont faites
L'amant trop aimé de sa maîtresse semble
l'aimer moins, et vice versa. En seroit-il des senti-
mens du cœur comme des bienfaits? Qiiand on
n'espère plus pouvoir les payer, on tombe dans
l'ingratitude.
En amour, tout est vrai, tout est faux, et c'est
la seule chose sur laquelle on ne puisse pas dire
une absurdité.
Un homme amoureux qui plaint l'homme raison-
nable me paroît ressembler à un homme qui lit
14 MAXIMES ET PENSEES
des contes de fées, et qui raille ceux qui lisent
l'histoire.
L'amour est un sentiment qui, pour paroître
honnête, a besoin de n'être composé que de lui-
même, de ne vivre et de ne subsister que par lui.
Toutes les fois que je vois de l'engouement
dans une femme, ou même dans un homme, je
commence à me défier de sa sensibilité. Cette règle
ne m'a jamais trompé.
En fait de sentimens, ce qui peut être évalué
n'a pas de valeur.
L'amour est comme les maladies épidémiques :
plus on les craint, plus on y est exposé.
Un homme amoureux est un homme qui veut
être plus aimable qu'il ne peut; et voilà pourquoi
presque tous les amoureux sont ridicules.
L'amour est un commerce orageux, qui finit
toujours par une banqueroute, et c'est la personne
à qui l'on fait banqueroute qui est déshonorée.
J'ai vu, dans le monde, quelques hommes et
quelques femmes qui ne demandent pas l'échange
MORALES iS
du sentiment contre le sentiment, mais du procédé
contre le procédé, et qui abandonneroient ce der-
nier marché s'il pouvoit conduire à l'autre.
Un amant de la duchesse d'Olonne, la voyant
faire des coquetteries à son mari, sortit en disant :
« Parbleu! il faut être bien coquine; celui-là est
trop fort. »
M. le dauphin père du roi (Louis XVI) aimoit
passionnément sa première femme, qui étoit rousse
et qui avoit le désagrément attaché à cette couleur.
Il fut longtemps sans aimer la seconde dauphine,
et en donnoit pour raison qu'elle ne sentoit pas la
femme. Il croyoit que cette odeur étoit celle du
sexe.
M. de***, amoureux passionné, après avoir vécu
plusieurs années dans l'indifférence, disoit à ses
amis, qui le plaisantoient sur sa vieillesse préma-
turée : « Vous prenez mal votre temps : j'étois
bien vieux il y a quelques années, mais je suis bien
jeune à présent. »
* Un homme, attaquant une femme sans être
prêt, lui dit : « Madame, s'il vous étoit égal
d'avoir encore un quart d'heure de vertu? »
l6 MAXIMES ET PENSEES
* L'amour, dit Plutarque, fait taire les autres
passions : c'est le dictateur devant qui tous les au-
tres pouvoirs s'évanouissent.
* M..., entendant prêcher contre l'amour moral,
à cause des mauvais effets de l'imagination, disoit :
(( Pour moi, je ne le crains pas. Quand une femme
me convient et qu'elle me rend heureux, je me
livre aux sentimens qu'elle m'inspire, me réservant
de n'être pas sa dupe si elle ne me convient. Mon
imagination est le tapissier que j'envoie meubler
mon appartement quand je vois que j'y serai bien
logé; sinon, je ne lui donne aucun ordr-e, et voilà
les frais d'un mémoire épargnés. »
* M. de L... m'a dit qu'au moment où il apprit
l'infidéHté de M"^^ de B..., il sentit au milieu de
son chagrin qu'il n'aimeroit plus, et sentit que l'a-
mour disparoissoit pour jamais, comme un homme
qui, dans un champ, entend le bruit d'une perdrix
qui lève et qui s'envole.
* Vous vous étonnez que M. de L... voie
M"^ de D...? Mais, Monsieur, M. de L... est
amoureux, je crois, de M"^^ de D..,, et vous savez
qu'une femme a souvent été la nuance intermédiaire
qui associe plutôt qu'elle n'assortit deux couleurs
tranchantes et opposées.
MORALES ly
Bienfaisance , Bienfait, Bienfaiteur.
On dit communément qu'on s'attache par ses
bienfaits. C'est une bonté de la nature. Il est juste
que la récompense de bien faire soit d'aimer.
Un bienfaiteur délicat doit songer qu'il y a dans
le bienfait une partie matérielle dont il faut dérober
l'idée à celui qui est l'objet de sa bienfaisance. Il
faut, pour ainsi dire, que cette idée se perde et
s'enveloppe dans le sentiment qui a produit le
bienfait, comme, entre deux amans, l'idée de la
jouissance s'enveloppe et s'ennoblit dans le charme
^e l'amour qui l'a fait naître.
Le sentiment qu'on a pour la plupart des bien-
faiteurs ressemble à la reconnoissance qu'on a pour
les arracheurs de dents. On se dit qu'ils vous ont
fait du bien, qu'ils vous ont délivré d'un mal; mais
on se rappelle la douleur qu'ils ont causée, et on
ne les aime guère avec tendresse.
Tout bienfait qui n'est pas cher au cœur est
odieux. C'est une relique, ou un os de mort : il
faut l'enchâsser ou le fouler aux pieds.
La plupart des bienfaiteurs qui prétendent être
Chamfort. I. 3
l8 MAXIMES ET PENSEES
cachés, après vous avoir fait du bien s'enfuient
comme la Galatée de Virgile : et se cupit ante
viderL
Il y a peu de bienfaiteurs qui ne disent comme
Satan : Si cadens adoraveris me.
Quand j'ai fait quelque bien et qu'on vient à le
savoir, je me crois puni au lieu de me croire
récompensé.
La plupart des bienfaiteurs ressemblent à ces
généraux maladroits qui prennent la ville et qui lais-
sent la citadelle.
Il y a une sorte de reconnoissance basse.
* On a comparé les bienfaiteurs maladroits à la
chèvre qui se laisse traire et qui, par étourderie,
renverse d'un coup de pied la jatte qu'elle a remplie
de son lait.
Bonheur.
Il faudroit pouvoir unir les contraires : l'amour
de la vertu avec l'indifférence pour l'opinion publi-
que, le goût du travail avec l'indifférence pour la
MORALES I^
gloire, et le soin de sa santé avec l'indifférence
pour la vie.
Il y a deux choses auxquelles il faut se faire,
sous peine de trouver la vie insupportable : ce sont
les injures du temps et les injustices des hommes.
Robinson dans son île, privé de tout et forcé
aux plus pénibles travaux pour assurer sa subsis-
tance journalière, supporte la vie, et même goûte,
de son aveu, plusieurs momens de bonheur. Sup-
posez qu'il soit dans une île enchantée, pourvu
de tout ce qui est agréable à la vie, peut-être le
désœuvrement lui eût-il rendu l'existence insup-
portable.
On est heureux ou malheureux par une foule de
choses qui ne paroissent pas, qu'on ne dit point et
qu'on ne peut dire.
Le plaisir peut s'appuyer sur l'illusion, mais le
bonheur repose sur la vérité. Il n'y a qu'elle qui
puisse nous donner celui dont la nature humaine
est susceptible. L'homme heureux par l'illusion a
sa fortune en agiotage; l'homme heureux par la
vérité a sa fortune en fonds de terre et en bonnes
constitutions.
20 MAXIMES ET PENSEES
Quand on soutient que les gens les moins sen-
sibles sont, à tout prendre, les plus heureux, je me
rappelle le proverbe indien : « Il vaut mieux être
assis que debout, être couché qu'assis; mais il
vaut mieux être mort que tout cela. »
Celui qui veut trop faire dépendre son bonheur
de sa raison, qui le soumet à l'examen, qui chi-
cane, pour ainsi dire, ses jouissances, et n'admet
que des plaisirs délicats, finit par n'en plus avoir.
C'est un homme qui, à force de faire carder son
matelas, le voit diminuer, et finit par coucher sur la
dure.
Le temps diminue chez nous l'intensité des
plaisirs absolus, comme parlent les métaphysiciens;
mais il paroît qu'il accroît les plaisirs relatifs, et
je soupçonne que c'est l'artifice par lequel la na-
ture a su lier les hommes à la vie après la perte
des objets ou des plaisirs qui la rendoient le plus
agréable.
Quand on a été bien tourmenté, bien fatigué
par sa propre sensibilité, on s'aperçoit qu'il faut
vivre au jour le jour, oublier beaucoup, enfin
éponger la vie à mesure qu'elle s'écoule.
Les prétentions sont une source de peines, et
MORALES 21
l'époque du bonheur de la vie commence au mo-
ment où elles finissent. Une femme est-elle encore
jolie au moment où sa beauté baisse, les prétentions
la rendent ou ridicule ou malheureuse : dix ans
après, plus laide et vieille, elle est calme et tran-
quille. Un homme est dans l'âge où l'on peut
réussir ou ne pas réussir auprès des femmes, il
s'expose à des inconvéniens et même à des af-
fronts; il devient nul, dès lors plus d'incertitude,
et il est tranquille. En tout, le mal vient de ce que
les idées ne sont pas fixes et arrêtées : il vaut
mieux être moins et être ce qu'on est incontesta-
blement. L'état des ducs et pairs, bien constaté,
vaut mieux que celui des princes étrangers, qui
ont à lutter sans cesse pour la prééminence. Si
Chapelain eût pris le parti que lui conseilloit Boi-
leau par le fameux hémistiche : Que n'écrit-il en
prose? il se fût épargné bien des tourmens, et se
fût peut-être fait un nom autrement que par le
ridicule.
Il en est du bonheur comme des montres :
les moins compliquées sont celles qui se dérangent
le moins. La montre à répétition est plus sujette
aux variations; si elle marque de plus les secondes,
nouvelle cause d'inégalité; puis celle qui marque
le jour de la semaine et le mois de l'année, tou-
jours plus prête à se détraquer.
22 MAXIMES ET PENSEES
« Le bonheur, disoit M..., n'est pas chose aisée:
il est très-difficile de le trouver en nous, et impos-
sible de le trouver ailleurs. »
Tout est également vain dans les hommes,
leurs joies et leurs chagrins; mais il vaut mieux que
la bulle de savon soit d'or ou d'azur que noire
ou grisâtre.
'^ Son imagination fait naître une illusion au
moment où il vient d'en perdre une, semblable à
ces rosiers qui produisent des roses dans toutes les
saisons.
Bonté.
Un homme sans élévation ne sauroit avoir de
bonté; il ne peut avoir que de la bonhomie.
Calomnie.
Un homme sage en même temps qu'honnête se
doit à lui-même de joindre à la pureté qui satisfait
sa conscience la prudence qui devine et prévient
la calomnie.
La calomnie est comme la guêpe qui vous im-
portune, et contre laquelle il ne faut faire aucun
MORALES 23
mouvement, à moins qu'on ne soit sûr de la tuer,
sans quoi elle revient à la charge plus furieuse que
jamais.
Caractère.
Quiconque n'a pas de caractère n'est pas un
homme : c'est une chose.
On a trouvé le Moi! de Médée sublime; mais
celui qui ne peut pas le dire dans tous les accidens
de la vie est bien peu de chose, ou plutôt n'est
rien.
Quand un homme s'est élevé, par son caractère,
au point de mériter qu'on devine quelle sera sa
conduite dans toutes les occasions qui intéressent
l'honnêteté, non-seulement les fripons, mais les
demi-honnêtes gens, le décrient et l'évitent avec
soin. Il y a plus, les gens honnêtes, persuadés que
par un effet de ses principes ils le trouveront dans
les rencontres où ils auront besoin de lui, se per-
mettent de le négliger, pour s'assurer de ceux sur
lesquels ils ont des doutes.
Un acte de vertu, un sacrifice ou de ses intérêts
ou de soi-même, est le besoin d'une âme noble :
l'amour-propre d'un cœur généreux est en quel-
que sorte l'égoïsme d'un grand caractère.
24 MAXIMES ET PENSEES
Il y a, on ne peut le nier, quelques grands carac-
tères dans l'histoire moderne, et on ne peut com-
prendre comment ils se sont formés : ils y semblent
comme déplacés; ils y sont comme des cariatides
dans un entre-sol.
Un homme d'esprit est perdu s'il ne joint pas à
l'esprit l'énergie de caractère : quand on a la lan-
terne de Diogène, il faut avoir son bâton.
Il faut savoir faire les folies que nous demande
notre caractère.
On anéantit son propre caractère dans la crainte
d'attirer les regards et l'attention, et on se préci-
pite dans la nullité pour échapper au danger d'être
peint.
Il y a quelquefois entre deux hommes de fausses
ressemblances de caractère qui les rapprochent et
qui les unissent pour quelque temps ; mais la mé-
prise cesse par degrés, et ils sont tout étonnés de
se trouver très-écartés l'un de l'autre, et repoussés
en quelque sorte par tous leurs points de contact.
Tel homme a été craint pour ses talens, haï
pour ses vertus, et n'a rassuré que par son carac-
tère. Mais combien de temps s'est passé avant que
justice se fît !
MORALES 25
Les gens foibles sont les troupes légères de l'ar-
mée des méchans. Ils font plus de mal que l'armée
même : ils infestent et ils ravagent.
Il n'est pas rare de voir des âmes foibles qui,
par la fréquentation avec des âmes d'une trempe
plus vigoureuse, veulent s'élever au-dessus de leur
caractère. Cela produit des disparates aussi plai-
santes que les prétentions d'un sot à l'esprit.
L'entêtement représente le caractère à peu près
comme le tempérament représente Vamour.
On s'effraye des partis violens, mais ils convien-
nent aux âmes fortes, et les caractères vigoureux
se reposent dans l'extrême.
Célébrité^ Gloire.
Combien de militaires distingués, combien d'of-
ficiers généraux, sont morts sans avoir transmis leurs
noms à la postérité ! en cela moins heureux que
Bucéphale, et même que le dogue espagnol Bere-
cillo, qui dévoroit les Indiens de Saint-Domingue
et qui avoit la paye de trois soldats!
Il faut qu'un honnête homme ait l'estime publi-
que sans y avoir pensé et pour ainsi dire malgré
lui. Celui qui l'a cherchée donne sa mesure.
4
•id MAXIMES ET PENSEES
Je ne suis pas plus étonné de voir un homme
fatigué de la gloire que je ne le suis d'en voir un
autre importuné du bruit qu'on fait dans son anti-
chambre.
Ce que les poëtes, les orateurs, même quelques
philosophes, nous disent sur l'amour de la gloire,
on nous le disoit au collège pour nous encourager
à avoir les prix. Ce que l'on dit aux enfans pour
les engager à préférera une tartelette les louanges
de leurs bonnes, c'est ce qu'on répète aux hommes
pour leur faire préférer à un intérêt personnel les
éloges de leurs contemporains ou de la postérité.
L'amour de la gloire, une vertu ! Etrange vertu
que celle qui se fait aider par l'action de tous les
vices, qui reçoit pour stimulans l'orgueil, l'ambi-
tion, l'envie, la vanité, quelquefois l'avarice même!
Titus seroit-il Titus s'il avoit eu pour ministres
Séjan, Narcisse et Tigellin?
La gloire met souvent un honnête homme aux
mêmes épreuves que la fortune, c'est-à-dire que
l'une et l'autre l'obligent, avant de le laisser par-
venir jusqu'à elles, à faire ou à souffrir des choses
indignes de son caractère. L'homme intrépidement
vertueux les repousse alors également Pune et
l'autre, et s'enveloppe ou dans l'obscurité ou
MORALES 27
dans l'infortune, et quelquefois dans Tune et dans
l'autre.
L'estime vaut mieux que la célébrité, la consi-
dération vaut mieux que la renommée, et l'hon-
neur vaut mieux que la gloire.
Célébrité : l'avantage d'être connu de ceux que
vous ne connoissez pas.
Il est aisé de réduire à des termes simples la
valeur précise de la célébrité. Celui qui se fait
connoître par quelque talent ou quelque vertu se
dénonce à la bienveillance inactive de quelques
honnêtes gens, et à l'active malveillance de tous
les hommes malhonnêtes. Comptez les deux classes
et pesez les deux forces.
On ne connoît pas du tout l'homme qu'on ne
connoît pas très-bien; mais peu d'hommes méri-
tent qu'on les étudie. De là vient que l'homme
d'un vrai mérite doit avoir en général peu d'em-
pressement d'être connu; il sait que peu de gens
peuvent l'apprécier, que dans ce petit nombre
chacun a ses liaisons, ses intérêts, son amour-pro-
pre, qui l'empêchent d'accorder au mérite l'atten-
tion qu'il faut pour le mettre à sa place. Quant
aux éloges communs et usés qu'on lui accorde
28 MAXIMES ET PENSEES
quand on soupçonne son existence, le mérite ne
sauroit en être flatté.
Confession de Chamfort^.
Ma vie entière est un tissu de contrastes appa-
rens avec mes principes. Je n'aime point les
princes, et je suis attaché à une princesse et à un
prince. On me connoît des maximes républicaines,
et plusieurs de mes amis sont revêtus de décora-
tions monarchiques. J'aime la pauvreté volontaire,
et je vis avec des gens riches. Je fuis les honneurs,
et quelques-uns sont venus à moi. Les lettres sont
presque ma seule consolation, et je ne vois point
de beaux esprits et ne vais point à l'Académie.
Ajoutez que je crois les illusions nécessaires à
l'homme, et je vis sans illusions; que je crois les
passions plus utiles que la raison, et je ne sais plus
ce que c'est que les passions, etc.
Ce que j'ai appris, je ne le sais plus. Le peu
que je sais encore, je l'ai deviné.
Un des grands malheurs de l'homme, c'est que
ses bonnes qualités même lui sont quelquefois inu-
1 . Nous avons donné ce titre à un certain nombre de pen-
sées d'un caractère autobiographique prononcé.
MORALES 29
tiles, et que l'art de s'en servir et de les bien
gouverner n'est souvent qu'un fruit tardif de l'ex-
périence.
L'indécision, l'anxiété, sont à l'esprit et à l'âme
ce que la question est au corps.
Quand j'étois jeune, ayant les besoins des pas-
sions, et attiré par elles dans le monde, forcé de
chercher dans la société et dans les plaisirs quel-
ques distractions à des peines cruelles, on me
prèchoit l'amour de la retraite, du travail, et on
m'assommoit de sermons pédantesques sur ce sujet.
Arrivé à quarante ans, ayant perdu les passions qui
rendent la société supportable, n'en voyant plus
que la misère et la futilité, n'ayant plus besoin du
monde pour échapper à des peines qui n'existoient
plus, le goût de la retraite et du travail est devenu
très-vif chez moi et a remplacé tout le reste ; j'ai
cessé d'aller dans le monde : alors on n'a cessé de
me tourmenter pour que j'y revinsse; j'ai été
accusé d*être misanthrope, etc. Que conclure de
cette bizarre différence? Le besoin que les hommes
ont de tout blâmer.
La célébrité est le châtiment du mérite et la
punition du talent. Le mien, quel qu'il soit, ne me
paroît qu'un délateur, né pour troubler mon repos.
DO MAXIMES ET PENSEES
J'éprouve en le détruisant la joie de triompher
d'un ennemi. Ce sentiment a triomphé chez moi
de l'amour-propre même, et la vanité littéraire a
péri dans la destruction de l'intérêt que je prenois
aux hommes.
En renonçant au monde et à la fortune, j'ai
trouvé le bonheur, le calme, la santé, même la
richesse; et, en dépit du proverbe, je m'aperçois
que qui quitte la partie la gagne.
Je suis honteux de l'opinion que vous avez de
moi; je n'ai pas toujours été aussi Céladon que
vous me voyez. Si je vous contois trois ou quatre
traits de ma jeunesse, vous verriez que cela n'est
pas trop honnête et que cela appartient à la meil-
leure compagnie.
L'espérance n'est qu'un charlatan qui nous
trompe sans cesse, et, pour moi, le bonheur n'a
commencé que lorsque je l'ai eu perdue. Je met-
trois volontiers sur la porte du paradis le vers que
Dante a mis sur celle de l'enfer :
.lasciate ogni speranza voi ch' entrale.
Je n'étudie que ce qui me plaît; je n'occupe
mon esprit que des idées qui m'intéressent. Elles
seront utiles ou inutiles, soit à moi, soit aux autres;
MORALES 3 I
le temps amènera ou n'amènera pas les circon-
stances qui me feront faire de mes acquisitions un
emploi profitable. Dans tous les cas, j'aurai eu
l'avantage inestimable de ne me pas contrarier et
d'avoir obéi à ma pensée et à mon caractère.
J'ai détruit mes passions, à peu près comme un
homme violent tue son cheval, ne pouvant le gou-
verner.
Les premiers sujets de chagrin m'ont servi de
cuirasse contre les autres.
J'ai à me plaindre des choses très-certainement,
et peut-être des hommes; mais je me tais sur
ceux-ci, je ne me plains que des choses, et, si
j'évite les hommes, c'est pour ne pas vivre avec
ceux qui me font porter le poids des choses.
La fortune, pour arriver à moi, passera par les
conditions que lui impose mon caractère.
*M... disoit que ce qu'il aimoit par-dessus tout,
c'étoit paix, silence, obscurité. On lui répondit :
C'est la chambre d'un malade.
Conscience.
Un homme du peuple, un mendiant, peut se
laisser mépriser sans donner l'idée d'un homme
32 MAXIMES ET PENSEES
vil, si le mépris ne paroît s'adresser qu'à son exté-
rieur ; mais ce même mendiant qui laisseroit
insulter sa conscience, fût-ce par le premier souve-
rain de l'Europe, devient alors aussi vil par sa per-
sonne que par son état.
La conviction est la conscience de l'esprit.
Conversation.
Les conversations ressemblent aux voyages qu'on
fait sur l'eau : on s'écarte de la terre sans presque
le sentir, et l'on ne s'aperçoit qu'on a quitté le
bord que quand on est déjà bien loin.
* On disoit à M..., homme brillant dans la so-
ciété : « Vous n'avez pas fait grande dépense d'es-
prit hier soir avec MM... » Il répondit : « Sou-
venez-vous du proverbe hollandois : Sans petite
monnoie, point d'économie, »
Dettes.
Les Hollandois n'ont aucune commisération de
ceux qui font des dettes; ils pensent que tout
homme endetté vit aux dépens de ses concitoyens
s'il est pauvre, et de ses héritiers s'il est riche.
MORALES 33
De l'Education.
On ne cesse d'écrire sur l'éducation, et les ou-
vrages écrits sur cette matière ont produit quelques
idées heureuses; quelques méthodes utiles ont fait,
en un mot, quelque bien partiel. Mais quelle peut
être, en grand, l'utilité de ces écrits, tant qu'on
ne fera pas marcher de front les réformes relatives
à la législation, à la religion, à l'opinion publi-
que? L'éducation n'ayant d*'autre objet que de
conformer la raison de l'enfance à la raison publi-
que relativement à ces trois objets, quelle instruc-
tion donner tant que ces trois objets se combattent?
En formant la raison de l'enfance, que faites-vous
que de la préparer à voir plus tôt l'absurdité des
opinions et des mœurs consacrée par le sceau de
l'autorité sacrée, publique ou législative, par con-
séquent à lui en inspirer le mépris?
Ce seroit une chose curieuse qu'un livre qui
indiqueroit toutes les idées corruptrices de l'esprit
humain, de la société, de la morale, et qui se trou-
vent développées ou supposées dans les écrits les
plus célèbres, dans les auteurs les plus consacrés;
les idées qui propagent la superstition religieuse,
les mauvaises maximes politiques, le despotisme, la
vanité du rang, les préjuges populaires de toute
Chainfort. I. 5
34 MAXIMES ET PENSEES
espèce. On verroit que presque tous les livres sont
des corrupteurs, que les meilleurs font presque au-
tant de mal que de bien.
L'éducation doit porter sur deux bases, la morale
et la prudence : la morale, pour appuyer la vertu;
la prudence, pour vous défendre contre les vices
d'autrui. En faisant pencher la balance du côté de
la morale, vous ne faites que des dupes ou des
martyrs; en la faisant pencher de l'autre côté, vous
faites des calculateurs égoïstes. Le principe de
toute société est de se rendre justice à soi-même et
aux autres. Si l'on doit aimer son prochain comme
soi-même, il est au moins aussi juste de s'aimer
comme son prochain.
Ennemis.
Il y a une sorte d'indulgence pour ses ennemis
qui paroît une sottise plutôt que de la bonté ou
de la grandeur d'âme. M. de C... me paroît ri-
dicule par la sienne ; il me paroît ressembler à
Arlequin, qui dit : « Tu me donnes un soufflet ; eh
bien ! je ne suis point encore fâché. » Il faut
avoir l'esprit de haïr ses ennemis.
Esprit, Plaisanterie, Rire.
En France, tout le monde paroît avoir de l'es-
MORALES 35
prit, et la raison en est simple : comme tout y est
une suite de contradictions, la plus légère atten-
tion possible suffit pour les faire remarquer et
rapprocher deux choses contradictoires. Cela fait
des contrastes tout naturels, qui donnent à celui
qui s'en avise l'air d'un homme qui a beaucoup
d'esprit. Raconter, c'est faire des grotesques.
Un simple nouvelliste devient un bon plaisant,
comme l'historien un jour aura l'air d'un auteur
satirique.
Il y a des sottises bien habillées, comme il y a
des sots très-bien vêtus.
Il y a entre l'homme d'esprit méchant par ca-
ractère et l'homme d'esprit bon et honnête la
différence qui se trouve entre un assassin et un
homme du monde qui fait bien des armes.
C'est la plaisanterie qui doit faire justice de
tous les travers des hommes et de la société ; c'est
par elle qu'on évite de se compromettre; c'est par
elle qu'on met tout en sa place sans sortir de la
sienne ; c'est elle qui atteste notre supériorité sur
les choses et sur les personnes dont nous nous mo-
quons, sans que les personnes puissent s'en of-
fenser, à moins qu'elles ne manquent de gaieté ou
de mœurs. La réputation de savoir bien manier
36 MAXIMES ET PENSEES
cette arme donne à l'homme d'un rang inférieur,
dans le monde et dans la meilleure compagnie,
cette sorte de considération que les militaires ont
pour ceux qui manient supérieurement l'épée. J'ai
entendu dire à un homme d'esprit : « Otez à la
plaisanterie son empire, et je quitte demain la so-
ciété. » C'est une sorte de duel où il n'y a pas
de sang versé, et qui, comme l'autre, rend les
hommes plus mesurés et plus polis.
C'est une règle excellente à adopter sur l'art de
la raillerie et de la plaisanterie que le plaisant et
le railleur doivent être garans du succès de leurs
plaisanteries à l'égard de la personne plaisantée, et
que, quand celle-ci se fâche, l'autre a tort.
Celui qui ne sait point recourir à propos à la
plaisanterie, et qui manque de souplesse dans l'es-
prit, se trouve très-souvent placé entre la nécessité
d'être faux ou d'être pédant, alternative fâcheuse
à laquelle un honnête homme se soustrait, pour
l'ordinaire, par de la grâce et de la gaieté.
On n'imagine pas combien il faut d'esprit pour
n'être jamais ridicule.
Un sot qui a un moment d'esprit étonne et
scandalise, comme des chevaux de fiacre au galop.
MORALES 37
Les trois quarts des folies ne sont que des
sottises.
L'esprit n'est souvent au cœur que ce que la
bibliothèque d'un château est à la personne du
maître.
Sentir fait penser. On en convient assez aisé-
ment ; on convient moins que penser fasse sentir,
mais ce n'est guère moins vrai.
Un homme d'esprit, s'apercevant qu'il étoit per-
siflé par deux mauvais plaisans, leur dit : a Mes-
sieurs, vous vous trompez, je ne suis ni sot ni
bête; je suis entre deux. »
La plus perdue de toutes les journées est celle
où on n'a pas ri.
*Du bois ajouté à un acier pointu fait un dard ;
deux plumes ajoutées à ce bois font une flèche.
Fatuité.
Qu'est-ce que c'est qu'un fat sans fatuité? Otez
les ailes à un papillon, c'est une chenille.
Les Femmes.
A mesure que la philosophie fait des progrès,
38 MAXIMES ET PENSEES
la sottise redouble ses efforts pour établir l'empire
des préjugés. Voyez la faveur que le gouverne-
ment donne aux idées de gentilhommerie. Cela
est venu au point qu'il n'y a plus que deux états
pour les femmes : femme de qualité ou fille ; le
reste n'est rien. Nulle vertu n'élève une femme
au-dessus de son état; elle n'en sort que par le
vice.
Les femmes d'un état mitoyen qui ont l'espé-
rance ou la manie d'être quelque chose dans le
monde n'ont ni le bonheur de la nature ni celui
de l'opinion : ce sont les plus malheureuses créa-
tures que j'ai connues.
Si l'on veut se faire une idée de l'amour-propre
des femmes dans leur jeunesse, qu'on en juge par
celui qui leur reste après qu'elles ont passé l'âge
de plaire.
« Il me semble, disoit M. de *** à propos des
faveurs des femmes, qu'à la vérité cela se dispute
au concours, mais que cela ne se donne ni au sen-
timent ni au mérite. »
Les jeunes femmes ont un malheur qui leur est
commun avec les rois : celui de n'avoir point
d'amis ; mais heureusement, elles ne sentent pas
MORALES 39
ce malheur plus que les rois eux-mêmes : la gran-
deur des uns et la vanité des autres leur en dé-
robent le sentiment.
La société, qui rapetisse beaucoup les hommes,
réduit les femmes à rien.
Les femmes ont des fantaisies, des engouemens,
quelquefois des goûts ; elles peuvent même s'é-
lever jusqu'aux passions : ce dont elles sont le
moins susceptibles, c'est l'attachement. Elles sont
faites pour commercer avec nos foiblesses, avec
notre folie, mais non avec notre raison. Il existe
entre elles et les hommes des sympathies d'épiderme,
et très-peu de sympathies d'esprit, d'âme et de
caractère. C'est ce qui est prouvé par le peu de
cas qu'elles font d'un homme de quarante ans, je
dis même celles qui sont à peu près de cet âge.
Observez que, quand elles lui accordent une pré-
férence, c'est toujours d'après quelques vues mal-
honnêtes, d'après un calcul d'intérêt ou de vanité;
et alors l'exception prouve la règle, et même plus
que la règle. Ajoutons que ce n'est pas ici le cas
de l'axiome : Qui prouve trop ne prouve rien.
]y[me ^\q *** 2^ ^^^ rejoindre son amant en An-
gleterre, pour faire preuve d'une grande ten-
40 MAXIMES ET PENSEES
dresse, quoiqu'elle n'en eût guère. A présent les
scandales se donnent par respect humain.
Je me souviens d'avoir vu un homme quitter les
filles d'opéra parce qu'il y avoit, disoit-il, autant
de fausseté que dans les honnêtes femmes.
Le temps a fait succéder, dans la galanterie, le
piquant du scandale au piquant du mystère.
Les naturalistes disent que dans toutes les es-
pèces animales la dégénération commence par les
femelles : les philosophes peuvent appliquer au
moral cette observation dans la société civilisée.
Qu'est-ce que c'est qu'une maîtresse ? Une
femme près de laquelle on ne se souvient plus de
ce qu'on sait par cœur, c'est-à-dire de tous les dé-
fauts de son sexe.
C'est à l'amour maternel que la nature a confié
la conservation de tous les êtres, et, pour assurer
aux mères leur récompense, elle l'a mise dans les
plaisirs et même dans les peines attachés à ce
délicieux sentiment.
Une laide impérieuse et qui veut plaire est
MORALES 41
un pauvre qui commande qu'on lui fasse la cha-
rité.
La femme qui s'estime plus pour les qualités de
son âme ou de son esprit que pour sa beauté est
supérieure à son sexe ; celle qui s'estime plus pour
sa beauté que pour son esprit ou pour les qualités
de son âme est de son sexe ; mais celle qui s'es-
time plus pour sa naissance ou pour son rang que
pour sa beauté est hors de son sexe et au-des-
sous de son sexe.
Il paroît qu'il y a dans le cerveau des femmes
une case de moins et dans leur cœur une fibre de
plus que chez les hommes. Il falloit une organisa-
tion particulière pour les rendre capables de sup-
porter, soigner, caresser des enfans.
M. de PI..., étant en Angleterre, vouloit en-
gager une jeune Angloise à ne pas épouser un
homme trop inférieur à elle dans tous les sens du
mot. La jeune personne écouta tout ce qu'on lui
dit, et, d'un air fort tranquille : « Que voulez-
vous? dit-elle, en arrivant, il change l'air de ma
chambre. »
Une femme laide qui se pare pour se trouver
avec de jeunes et jolies femmes fait, en son genre,
ce que font, dans une discussion, les gens qui
6
4 2 MAXIMES ET PENSEES
craignent d'avoir le dessous : ils s'efforcent de
changer habilement l'état de la question. Il s'agis-
soit de savoir quelle étoit la plus belle : la laide
veut qu'on demande quelle est la plus riche.
Il y a telle femme qui s'est rendue malheureuse
pour la vie, qui s'est perdue et déshonorée pour
un amant qu'elle a cessé d'aimer parce qu'il a mal
ôté sa poudre, ou mal coupé un de ses ongles, ou
mis son bas à l'envers.
Une âme fière et honnête, qui a connu les
passions fortes, les fuit, les craint, dédaigne la
galanterie, comme l'âme qui a senti l'amitié
dédaigne les liaisons communes et les petits in-
térêts.
On demande pourquoi les femmes affichent les
hommes ; on en donne plusieurs raisons dont la
plupart sont offensantes pour les hommes. La vé-
ritable, c'est qu'elles ne peuvent jouir de leur em-
pire sur eux que par ce moyen.
Il est plaisant que le mot connoître une femme
veuille dire coucher avec une femme, et cela dans
plusieurs langues anciennes, dans les mœurs les
plus simples, les plus approchantes de la nature,
comme si on ne connoissoit point une femme sans
MORALES 45
cela. Si les patriarches avoient fait cette découverte,
ils étoient plus avancés qu'on ne croit.
Les femmes font avec les hommes une guerre
où ceux-ci ont un grand avantage, parce qu'ils
ont les filles de leur côté.
Il y a telle fille qui trouve à se vendre et ne
trouveroit pas à se donner.
Soyez aussi aimable , aussi honnête qu'il est
possible ; aimez la femme la plus parfaite qui se
puisse imaginer : vous n'en serez pas moins dans
le cas de lui pardonner ou votre prédécesseur ou
votre successeur.
Le commerce des hommes avec les femmes res-
semble à celui que les Européens font dans l'Inde :
c'est un commerce guerrier.
Pour qu'une liaison d'homme à femme soit vrai-
ment intéressante, il faut qu'il y ait entre eux
jouissance, mémoire ou désir.
Ce qui rend le commerce des femmes si pi-
quant, c'est qu'il y a toujours une foule de sous-
entendus, et que les sous-entendus, qui entre
44 MAXIMES ET PENSEES
hommes sont gênans ou du moins insipides, sont
agréables d'un homme à une femme.
On dit communément : « La plus belle femme du
monde ne peut donner que ce qu'elle a », ce qui
est très-faux : elle donne précisément ce qu'on
croit recevoir, puisqu'en ce genre c'est l'imagina-
tion qui fait le prix de ce qu'on reçoit.
L'indécence, le défaut de pudeur, sont ab-
surdes dans tout système : dans la philosophie qui
jouit comme dans celle qui s'abstient.
J'ai remarqué, en lisant l'Ecriture, qu'en plu-
sieurs passages, lorsqu'il s'agit de reprocher à
l'humanité des fureurs ou des crimes, l'auteur dit :
« Lesenfans des hommes », et, quand il s'agit de
sottises ou de foiblesses, il dit : « Les enfans des
femmes. »
On seroittrop malheureux si, auprès des femmes,
on se souvenoit le moins du monde de ce qu'on
sait par cœur.
Il semble que la nature, en donnant aux hommes
un goût pour les femmes entièrement indestruc-
tible, ait deviné que, sans cette précaution, le mé-
pris qu'inspirent les vices de leur sexe, principale-
MORALES 45
ment leur vanité, seroit un grand obstacle au
maintien et à la propagation de l'espèce humaine.
« Celui qui n'a pas vu beaucoup de filles ne con-
noît point les femmes, » me disoit gravement un
homme grand admirateur de la sienne, qui le
trompoit.
Les femmes ne donnent à l'amitié que ce qu'elles
empruntent à l'amour.
Avez-vous jama"is connu une femme qui, voyant
un de ses amis assidu auprès d'une autre femme,
ait supposé que cette autre femme lui fût cruelle?
On voit par là l'opinion qu'elles ont les unes des
autres. Tirez vos conclusions.
Quelque mal qu'un homme puisse penser des
femmes, il n'y a pas de femme qui n'en pense en-
core plus mal que lui.
Quelques hommes avoient ce qu'il îaut pour s'é-
lever au-dessus des misérables considérations qui
rabaissent les hommes au-dessous de leur mérite ;
mais le mariage, les liaisons de femmes, les ont
mis au niveau de ceux qui n'approchoient pas
d'eux. Le mariage, la galanterie, sont une sorte de
46 MAXIMES ET PENSEES
conducteur qui fait arriver ces petites passions jus-
qu'à eux.
*Une femme n'est rien par elle-même; elle est
ce qu'elle paroît à l'homme qui s'en occupe : voilà
pourquoi elle est si furieuse contre ceux à qui elle
ne paroît pas ce qu'elle voudroit paroître. Elle y
perd son existence. L'homme en est moins blessé
parce qu'il reste ce qu'il est.
F or tu
ne.
Il y a une sorte de plaisir attaché au courage
qui se met au-dessus de la fortune. Mépriser l'ar-
gent, c'est détrôner un roi : il y a du ragoût.
La fortune est souvent comme les femmes riches
et dépensières, qui ruinent les maisons où elles ont
apporté une riche dot.
Le plus riche des hommes, c'est l'économe; le
plus pauvre, c'est l'avare.
Vous demandez comment on fait fortune? Voyez
ce qui se passe au parterre d'un spectacle le jour
où il y a foule, comme les uns restent en arrière,
comme les premiers reculent, comme les derniers
sont portés en avant ! Cette image est si juste que
le mot qui l'exprime a passé dans le langage du
MORALES 47
peuple. Il appelle faire fortune se pousser. Mon fils,
.non neveu, se poussera. Les honnêtes gens disent :
s'avancer, avancer, arriver, termes adoucis qui
écartent l'idée accessoire de force, de violence, de
grossièreté, mais qui laissent subsister l'idée prin-
cipale.
On croit communément que l'art de plaire est
un grand moyen de faire fortune : savoir s'ennuyer
est un art qui réussit bien davantage. Le talent de
faire fortune, comme celui de réussir auprès des
femmes, se réduit presque à cet art-là.
Celui-là fait plus pour un hydropique qui le
guérit de la soif que celui qui lui donne un ton-
neau de vin. Appliquez cela aux richesses.
La fortune et le costume qui l'entoure font de
la vie une représentation au milieu de laquelle il
faut qu'à la longue l'homme le plus honnête de-
vienne comédien malgré lui.
L'intérêt d'argent est la grande épreuve des
petits caractères; mais ce n'est encore que la plus
petite pour les caractères distingués, et il y a loin
de l'homme qui méprise l'argent à celui qui est
véritablement honnête.
48 MAXIMES ET PENSEES
La pauvreté met le crime au rabais.
L'homme pauvre, mais indépendant des hom-
mes, n'est qu'aux ordres de la nécessité. L'homme
riche, mais dépendant, est aux ordres d'un autre
homme ou de plusieurs.
Il n'est peut-être pas vrai que les grandes for-
tunes supposent toujours de l'esprit, comme je l'ai
souvent ouï dire même à des gens d'esprit; mais
il est bien plus vrai qu'il y a des doses d'esprit et
d'habileté à qui la fortune ne sauroit échapper,
quand bien même celui qui les a posséderoit l'hon-
nêteté la plus pure, obs acle qui, comme on sait,
est le plus grand de tous pour la fortune.
Cet homme n'est pas propre à avoir jamais de
la considération : il faut qu'il fasse fortune et vive
avec de la canaille.
Il me semble qu'à égalité d'esprit et de lumières,
l'homme né riche ne doit jamais connoître aussi
bien que le pauvre la nature, le cœur humain et
la société. C'est que, dans le moment où le premier
plaçoit une jouissance, le second se consoloit par
une réflexion,
*I1 avoit, Dar grandeur d'âme, fait quelques pas
MORALES 49
vers la fortune, et par grandeur d'âme il la mé-
prisa.
Frères.
La concorde des frères est si rare que la fable
ne cite que deux frères amis, et elle suppose qu'ils
ne se voyoient jamais, puisqu'ils passoient tour à
tour de la terre aux champs Elysées, ce qui ne
laissoit pas d'éloigner tout sujet de dispute et de
rupture.
Fripons.
Les fripons ont toujours un peu besoin de leur
honneur, à peu près comme les espions de police^
qui sont payés moins cher quand ils voient moins
bonne compagnie.
Générosité.
La générosité n'est que la pitié des âmes nobles.
Il faut être juste avant d'être généreux, comme
on a des chemises avant d'avoir des dentelles.
Habileté.
L'habileté est à la ruse ce que la dextérité est à
la filouterie.
Chamfort. I. 7
5o MAXIMES ET PENSEES
Honneur.
C'est une vérité reconnue que notre siècle a
remis les mots à leur place; qu'en bannissant les
subtilités scolastiques, dialecticiennes, métaphy-
siques, il est revenu au simple et au vrai en phy-
sique, en morale et en politique. Pour ne parler
que de morale, on sent combien ce mot, Vhon-
neur, renferme d'idées complexes et métaphysi-
ques. Notre siècle en a senti les inconvéniens, et,
pour ramener tout au simple, pour prévenir tout
abus de mots, il a établi que Vhonneur restoit dans
son intégrité à tout homme qui n'avoit point été
repris de justice. Autrefois, ce mot étoit une source
d'équivoques et de contestations; à présent, rien
de plus clair : un homme a-t-il été mis au carcan?
n'y a-t-il pas été mis? Voilà l'état de la question.
C'est une simple question de fait, qui s'éclaircit
facilement par les registres du greffe. Un homme
n'a pas été mis au carcan : c'est un homme d'hon-
neur, qui peut prétendre à tout, aux places du
ministère, etc.; il entre dans les corps, dans les
académies, dans les cours souveraines. On sent
combien la netteté et la précision épargnent de
querelles et de discussions, et combien le com-
merce de la vie devient commode et facile.
MORALES
Légalité.
II est plus tacile de légaliser certaines choses
que de les légitimer.
Mar
lage.
L'état de mari a cela de fâcheux que le mari
qui a le plus d'esprit peut être de trop partout,
même chez lui, ennuyeux sans ouvrir la bouche, et
ridicule en disant la chose la plus simple. Etre
aimé de sa femme sauve une partie de ces tra-
vers. De là vient que M. *** disoit à sa femme :
« Ma chère amie, aidez-moi à n'être pas ridicule. »
Le divorce est si naturel que dans plusieurs
maisons il couche toutes les nuits entre deux
époux.
Grâce à la passion des femmes, il faut que
l'homme le plus honnête soit ou un mari, ou un
sigisbé, ou un crapuleux, ou un impuissant.
La pire des mésalliances est celle du cœur.
Une des meilleures raisons qu'on puisse avoir
de ne se marier jamais, c'est qu'on n'est pas tout
à\fait la dupe d'une femme tant qu'elle n'est point
Ja vôtre.
52 MAXIMES ET PENSEES
Le mariage et le célibat ont tous deux des in-
convéniens... Il faut préférer celui dont les incon-
véniens ne sont pas sans remède.
En amour, il suffit de se plaire par ses qualités
aimables et par ses agrémens; mais, en mariage,
pour être heureux, il faut s'aimer, ou du moins se
convenir par ses défauts.
L'amour plaît plus que le mariage, par la raison
que les romans sont plus amusans que l'histoire.
L'hymen vient après l'amour, comme la fumée
après la flamme.
Le mot le plus raisonnable et le plus mesuré qui
ait été dit sur la question du céhbat et du mariage
est celui-ci : « Quelque parti que tu prennes, tu t'en
repentiras. » Fontenelle se repentit, dans ses der-
nières années, de ne s'être pas marié; il oublioit
quatre-vingt-quinze ans passés dans l'insouciance.
En fait de mariage, il n'y a de reçu que ce qui
est sensé, et il n'y a d'intéressant que ce qui est
fou. Le reste est un vil calcul.
On marie les femmes avant qu'elles soient rien
et qu'elles puissent rien être. Un mari n'est qu'une
MORALES 53
espèce de manœuvre qui tracasse le corps de sa
femme, ébauche son esprit et dégrossit son âme.
Le mariage, tel qu'il se pratique chez les grands,
est une indécence convenue.
Nous avons vu des hommes réputés honnêtes,
des sociétés considérables, applaudir au bonheur
de M''^ ***, jeune personne belle, spirituelle, ver-
tueuse, qui obtenoit l'avantage de devenir l'épouse
de M. ***, vieillard malsain, repoussant, malhon-
nête, imbécile, mais riche. Si quelque chose carac-
térise un siècle infâme, c'est un pareil sujet de
triomphe, c'est le ridicule d'une telle joie, c'est
ce renversement de toutes les idées morales et na-
turelles.
Un homme connu pour avoir fermé les yeux sur
les désordres de sa femme, et qui en avoit tiré parti
plusieurs fois pour sa fortune, montroit le plus
grand chagrin de sa mort, et me dit gravement :
« Je puis dire ce que Louis XIV disoit à la mort
de Marie-Thérèse : « Voilà le premier chagrin
'( qu'elle m'ait jamais donné. »
M. D... avoit refusé les avances d'une jolie
femme. Son mari le prit en haine comme s'il les
eût acceptées, et on rioit de M. D..., qui disoit :
54 MAXIMES ET PENSEES
« Morbleu ! s'il savoit du moins combien il est
plaisant! »
Une jolie femme dont l'amant étoit maussade et
avoit des manières conjugales, lui dit : « Monsieur,
apprenez que, quand vous êtes avec mon mari
dans le monde, il est décent que vous soyez plus
aimable que lui. »
Pardonnez-leur j car ils ne savent ce qu'ils font!
fut le texte que prit le prédicateur au mariage de
d'Aubigné, âgé de soixante-dix ans. et d'une jeune
personne de dix-sept.
A propos d'une fille qui avoit fait un mariage
avec un homme jusqu'alors réputé assez honnête,
M"^ de L... disoit : x Si j'étois une catin, je serois
encore une fort honnête femme, car je ne vou-
drois point prendre pour amant un homme qui
seroit capable de m'épouser. «
M. de La Reynière devoit épouser M''^ de Ja-
rente, jeune et aimable. Il revenoit de la voir,
enchanté du bonheur qui l'attendoit, et disoit
à M. de Malesherbes, son beau-frère : « Ne
pensez-vous pas, en effet, que mon bonheur sera
parfait? — Cela dépend de quelques circonstances.
— Comment! que voulez-vous dire ? — Cela dépend
du premier amant qu'elle aura. »
MORALES 55
L'amour le plus honnête ouvre l'âme aux pe-
tites passions ; le mariage ouvre votre âme aux
petites passions de votre femme, à l'ambition, à la
vanité, etc.
* M..., vieux célibataire, disoit plaisamment que
le mariage est un état trop parfait pour l'imperfec-
tion de l'homme.
-^ jyime ^Q Fourq... disoit aune demoiselle de
compagnie qu'elle avoit : « Vous n'êtes jamais au
fait des choses qu'il y a à me dire sur les circon-
stances où je me trouve, de ce qui convient à mon
caractère, etc., par exemple dans tel temps il est
très-vraisemblable que je perdrai mon mari. J'en
serai inconsolable. Alors il faudra me dire, etc. »
"^M. d'Osmond jouoit dans une société deux ou
trois jours après la mort de sa femme, morte en
province. « Mais, d'Osmond, lui dit quelqu'un, il
n'est pas décent que tu joues le lendemain de la
mort de ta femme. — Oh! dit-il, la nouvelle ne m'en
a pas encore été notifiée. — C'est égal, cela n'est
pas bien. — Oh! oh! dit-il, je ne fais que carotter. »
*« Un homme de lettres, disoit Diderot, peut
avoir une maîtresse qui fasse des livres; mais il
faut que sa femme fasse des chemises. »
56 MAXIMES ET PENSÉES
Médecine et Médecins.
Les médecins et le commun des hommes ne
voient pas plus clair les uns que les autres dans les
maladies et dans l'intérieur du corps humain : ce
sont tous des aveugles; mais les médecins sont
des quinze-vingts qui connoissent mieux les rues
et qui se tirent mieux d'affaire.
Avoir la manière dont on en use envers les ma-
lades dans les hôpitaux, on diroit que les hommes
ont imaginé ces tristes asiles non pour soigner les
malades, mais pour les soustraire aux regards des
heureux, dont ces infortunés troubleroient les
jouissances.
La menace du rhume négligé est pour les méde-
cins ce que le purgatoire est pour les pr^ es : un
Pérou.
Un médecin disoit : « Il n'y a que les héritiers
qui payent bien. »
*Un médecin avoit conseillé un cautère à M. de***.
Celui-ci n'en voulut point. Quelques mois se pas-
sèrent, et la santé du malade revint. Le médecin,
qui le rencontra et le vit mieux portant, lui de-
manda quel remède il avoit fait. « Aucun, lui dit le
MORALES 5'/
malade. J'ai fait bonne chère tout l'été; j'ai une
maîtresse, et je me suis réjoui. Mais voilà l'hiver
qui approche : je crains le retour de l'humeur qui
afflige mes yeux. Ne me conseillez-vous pas le
cautère? — Non, lui dit gravement le médecin;
vous avez une maîtresse : cela suffit. Il seroit plus
sage de la quitter et de mettre un cautère ; mais
vous pouvez peut-être vous en passer, et je crois
que ce cautère suffît. »
* Un homme d'une grande indiff^érence sur la
vie disoit en mourant : « Le docteur Bouvard sera
bien attrapé! »
Modes.
Le changement de modes est l'impôt que l'in-
dustrie du pauvre met sur la vanité du riche.
* C'est une chose curieuse de voir l'empire de la
mode. M. de La Trémoille, séparé de sa femme,
qu'il n'aimoit ni n'estimoit, apprend qu'elle a la
petite vérole... Il s'enferme avec elle, prend la
même maladie, meurt et lui laisse une grande
fortune avec le droit de convoler.
Modestie.
* Il y a une modestie d'un mauvais genre, fondée
sur l'ignorance, qui nuit quelquefois à certains
8
58 MAXIMES ET PENSEES
caractères supérieurs, qui les retient dans une sorte
de médiocrité; ce qui me rappelle le mot que
disoit à déjeuner à des gens de la cour un homme
d'un mérite reconnu : «Ah! Messieurs, que je
regrette le temps que j'ai perdu à apprendre com-
bien je Valois mieux que vous! »
Mœurs, Morale, Moralistes.
Il y a entre les mœurs anciennes et les nôtres le
même rapport qui se trouve entre Aristide, con-
trôleur général des Athéniens, et l'abbé Terray.
On a, dans le monde, ôté des mauvaises mœurs
tout ce qui choque le bon goût : c'est une réforme
qui date des dix dernières années.
Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi ni
à personne... Voilà, je crois, toute la morale.
Pour les hommes vraiment honnêtes et qui ont
de certains principes, les commandemens de Dieu
ont été mis en abrégé sur le frontispice de l'abbaye
de Thélème . Fais ce que tu voudras.
Les philosophes reconnoissent quatre vertus
principales dont ils font dériver toutes les autres.
Ces vertus sont la justice, la tempérance, la force
MORALES 59
et la prudence. On peut dire que cette dernière
renferme les deux premières (la justice et la tem-
pérance), et qu'elle supplée en quelque sorte à la
force, en sauvant à l'homme qui a le malheur d'en
manquer une grande partie des occasions où elle
est nécessaire.
J'ai souvent remarqué, dans mes lectures, que
le premier mouvement de ceux qui ont fait quel-
que action héroïque, qui se sont livrés à quelque
impression généreuse, qui ont sauvé des infor-
tunés, couru quelque grand risque et procuré quel-
que grand avantage, soit au public, soit à des par-
ticuHers; j'ai, dis-je, remarqué que leur premier
mouvement a été de refuser la récompense qu'on
leur en offroit. Ce sentiment s'est trouvé dans le
cœur des hommes les plus indigens et de la der-
nière classe du peuple. Quel est donc cet instinct
moral qui apprend à l'homme sans éducation que
la récompense de ces actions est dans le cœur de
celui qui les a faites? Il semble qu'en nous les
payant on nous les ôte.
Le premier des dons de la nature est cette force
de raison qui vous élève au-dessus de vos propres
passions et de vos foiblesses, et qui vous fait gou-
verner vos qualités mêmes, vos talens et vos
vertus-
6o MAXIMES ET PENSÉES
On fausse son esprit, sa conscience, sa raison,
comme on gâte son estomac.
Les lois du secret et du dépôt sont les mêmes.
Mortalité.
On compte environ cent cinquante millions
d'âmes en Europe, le double en Afrique, plus du
triple en Asie. En admettant que l'Amérique et les
terres australes n'en contiendroient que la moitié
de ce que donne notre hémisphère, on peut as-
surer qu'il meurt tous les jours, sur notre globe,
plus de cent mille hommes. Un homme qui n'au-
roit vécu que trente ans auroit échappé environ
mille quatre cents fois à cette épouvantable des-
truction.
Natu
re.
De nos jours, ceux qui aiment la nature sont
accusés d'être romanesques.
La nature paroît se servir des hommes pour ses
desseins, sans se soucier des instrumens qu'elle em-
ploie, à peu près comme les tyrans qui se défont
de ceux dont ils se sont servis.
La nature ne m'a point dit : « Ne sois point
MORALES 6l
pauvre », encore moins : « Sois riche » ; mais elle
me crie : « Sois indépendant. »
De rOpinion et des Opinions.
C'est une source de plaisir et de philosophie de
faire l'analyse des idées qui entrent dans les divers
jugemens que portent tel ou tel homme, telle ou
telle société. L'examen des idées qui déterminent
telle ou telle opinion publique n'est pas moins in-
téressant, et l'est souvent davantage.
L'opinion est la reine du monde, parce que la
sottise est la reine des sots.
Souvent une opinion, une coutume, commence à
paroître absurde dans la première Jeunesse, et, en
avançant dans la vie, on en trouve la raison; elle
paroît moins absurde. En faudroit-il conclure que
de certames coutumes sont moins ridicules ? On
seroit porté à penser quelquefois qu'elles ont été
établies par des gens qui avoient lu le livre entier
de la vie, et qu'elles sont jugées par des gens qui,
malgré leur esprit, n'en ont lu que quelques pages.
L'opinion publique est une juridiction que Thon-
nête homme ne doit jamais reconnoître parfaite-
ment, et qu'il ne doit jamais décliner.
02 MAXIMES ET PENSÉES
Celui qui est juste au milieu entre notre ennemi
et nous nous paroît être plus voisin de notre en-
nemi : c'est un effet des lois de l'optique, comme
celui par lequel le jet d'eau d'un bassin paroît
moins éloigné de l'autre bord que de celui où
vous êtes.
Il j a à parier que toute idée publique, toute
convention reçue, est une sottise, car elle a con-
venu au plus grand nombre.
Ceux qui rapportent tout à l'opinion res-
semblent à ces comédiens qui jouent mal pour
être applaudis, quand le goût du public est mau-
vais : quelques-uns auroient le moyen de bien
jouer, si le goût du public étoit bon. L'honnête
homme joue son rôle le mieux qu'il peut, sans
songer à la galerie.
Les idées des hommes sont comme les cartes et
autres jeux. Des idées que j'ai vu autrefois re-
garder comme dangereuses et trop hardies sont
depuis devenues communes et presque triviales, et
ont descendu jusqu'à des hommes peu dignes
d'elles. Quelques-unes de celles à qui nous don-
nons le nom d'audacieuses seront vues comme foi-
bles et communes par nos descendans.
Le public ne croit point à la pureté de certaines
MORALES 63
vertus et de certains seniimens, et, en général, le
public ne peut guère s'élever qu'à des idées basses.
Il n'y a pas d'homme qui puisse être, à lui tout
seul, aussi méprisable qu'un corps; il n'y a point
de corps qui puisse être aussi méprisable que le
public.
Il y a des siècles où l'opinion publique est la plus
mauvaise des opinions.
Pour avoir une idée juste des choses, il faut pren-
dre les mots dans la signification opposée à celle
qu'on leur donne dans le monde. Misanthrope,
mauvais François, cela veut dire bon citoyen qui in-
dique certains abus monstrueux ; philosophe, homme
simple qui sait que deux et deux font quatre, etc.
La prétention la plus inique et la plus absurde
en matière d'intérêt, qui seroit condamnée avec
mépris comme insoutenable dans une société d'hon-
nêtes gens choisis pour arbitres, faites-en la matière
d'un procès en justice réglée. Tout procès peut se
perdre ou se gagner, et il n'y a pas plus à parier
pour que contre; de même, toute opinion, toute
assertion, quelque ridicule qu'elle soit, faites-en la
matière d'un débat entre des partis différens : dans
un corps, dans une assemblée, elle peut emporter
la pluralité des suffrages.
64 MAXIMES ET PENSEES
Le public de ce moment-ci est, comme la tra-
gédie moderne, absurde, atroce et plat.
Les idées du public ne sauroient manquer d'être
presque toujours viles et basses. Comme il ne lui
revient guère que des scandales et des actions d'une
indécence marquée, il teint de ces mêmes couleurs
presque tous les faits ou les discours qui passent
jusqu'à lui. Voit-il une liaison, même de la plus
noble espèce, entre un grand seigneur et un homme
de mérite, entre un homme en place et un parti-
culier, il ne voit, dans le premier cas, qu'un pro-
tecteur et un client; dans le second, que du ma-
nège et de l'espionnage souvent. Dans un acte de
générosité mêlé de circonstances nobles et intéres-
santes, il ne voit que de l'argent prêté à un habile
homme par une dupe; dans le fait qui donne de la
publicité à une passion quelquefois très-intéressante
d'une femme honnête et d'un homme digne d'être
aimé, il ne voit que du catinisme ou du libertinage :
c'est que ses jugemens sont déterminés d'avance
par un grand nombre de cas où il a dû condamner
et mépriser. Il résulte de ces observations que ce
qui peut arriver de mieux aux honnêtes gens, c'est
de lui échapper,
* Les conquérans passeront toujours pour les
premiers des hommes, comme on dira toujours que
le lion est le roi des animaux.
MORALES 65
* Le public ne croit point à la pureté de cer-
taines vertus et de certains sentimens, et en général
le public ne peut guère s'élever qu'à des idées basses.
Paris.
Les vieillards, dans les capitales, sont plus cor-
rompus que les jeunes gens. C'est là que la pour-
riture vient à la suite de la maturité.
Paris, singulier pays, où il faut trente sous pour
dîner, quatre francs pour prendre l'air, cent louis
pour le superflu dans le nécessaire, et quatre cents
iouis pour n'avoir que le nécessaire dans le su-
perflu !
Paris, ville d'amusemens, de plaisirs, etc., où les
quatre cinquièmes des habitans meurent de cha-
grin.
On pourroit appliquera la ville de Paris les pro-
pres termes de sainte Thérèse pour définir l'enfer :
l'endroit où il pue et où l'on n'aime point.
Quand on est trop frappé des maux de la société
universelle et des horreurs que présentent la capi-
tale ou les grandes villes, il faut se dire : « Il pouvoit
Chamfort. I. 9
66 MAXIMES ET PENSEES
naître de plus grands malheurs encore de la suite
de combinaisons qui a soumis vingt-cinq millions
d'hommes à un seul, et qui a réuni sept cent mille
hommes sur un espace de deux lieues carrées. »
Si l'on avoit dit à Adam, le lendemain de la
mort d'Abel, que dans quelques siècles il y auroit
des endroits où, dans l'enceinte de quatre lieues
carrées se trouveroient réunis et amoncelés sept ou
huit cent mille hommes, auroit-il cru que ces multi-
tudes pussent jamais vivre ensemble? Ne se seroit-
il pas fait une idée encore plus affreuse de ce qui
s'y commet de crimes et de monstruosités? C'est la
réflexion qu'il faut faire pour se consoler des abus-
attachés à ces étonnantes réunions d'hommes.
*M..., ayant voyagé en Sicile, combattoit le
préjugé où l'on est que l'intérieur des terres est
rempli de voleurs. Pour le prouver, il ajoutoit que
partout où il avoit été on lui avoit dit : « Les bri-
gands sont ailleurs.» M. de B..., misanthrope gai,
lui dit: «Voilà, par exemple, ce qu'on ne vous
diroit pas à Paris. »
*On sait qu'il y a dans Paris des voleurs connus-
de la police, presque avoués par elle et qui sont à
ses ordres, s'ils ne sont pas les délateurs de leurs^
camarades. Un jour, le lieutenant de police en
MORALES 67
manda quelques-uns et leur dit : « Il a été volé tel
effet, tel jour, en tel quartier. — Monsieur, à quelle
heure ? — A deux heures après midi. — Monsieur, ce
n'est pas nous, nous ne pouvons en répondre ; il
faut que cela ait été volé par des forains. »
* M... disoit plaisamment qu'à Paris chaque
honnête homme contribue à faire vivre les espions
de police, comme Pope dit que les poètes nourris-
sent les critiques et les journalistes.
Passions.
La fable de Tantale n'a presque jamais servi
d'emblème qu'à l'avarice; mais elle est pour le
moins autant celui de l'ambition, de l'amour de la
gloire, de presque toutes les passions.
Toutes les passions sont exagératrices, et elles
ne sont des passions que parce qu'elles exagèrent.
Le grand malheur des passions n'est pas dans les
tourmens qu'elles causent, mais dans les fautes,
dans les turpitudes qu'elles font commettre et qui
dégradent l'homme. Sans ces inconvéniens, elles au-
roient trop d'avantages sur la froide raison, qui ne
rend point heureux. Les passions font vivre l'homme ;
la sagesse le fait seulement durer.
68 MAXIMES ET PENSEES
Le moment où l'on perd les illusions, les passions
de la jeunesse, laisse souvent des regrets; mais
quelquefois on hait le prestige qui nous a trompés.
C'est Armide qui brûle et détruit le palais où elle
fut enchantée.
La nature, en faisant naître à la fois la raison et
les passions, semble avoir voulu, par le second pré-
sent, aider l'homme à s'étourdir sur le mal qu'elle
lui a fait par le premier, et, en ne le laissant vivre
que peu d'années après la perte de ses passions,
semble prendre pitié de lui en le délivrant bientôt
d'une vie qui le réduit à sa raison pour seule res-
source.
C'est après l'âge des passions que les grands
hommes ont produit leurs chefs-d'œuvre, comme
c'est après les éruptions des volcans que la terre
est plus fertile.
* « Il étoit passionné et se croyoit sage; j'étois
folle, mais je m'en doutois, et, sous ce point de
vue, j'étois plus près que lui de la sagesse. »
Proverbes.
Chi manga facili, caga diavoli.
— // pastor romano non vuole pecora senza lana.
MORALES 69
— Il n'est vertu que pauvreté ne gâte.
— Ce n'est pas la faute du chat quand il prend
le dîner de la servante.
* C'est un proverbe turc que ce beau mot : « O
malheur! je te rends grâces si tu es seul ! )>
* Les Italiens disent : Sotto umbilico ne religione
ne verità.
Providence.
Quelqu'un disoit que la Providence étoit le nom
de baptême du hasard : quelque dévot dira que le
hasard est un sobriquet de la Providence.
* Pour justifier la Providence, saint Augustin dit
qu'elle laisse le méchant sur la terre pour qu'il
devienne bon, ou que le bon devienne meilleur par
lui.
Philosophes et Philosophie.
En voyant Bacon, dans le commencement du
XVI^ siècle, indiquer à l'esprit humain la marche
qu'il doit suivre pour reconstruire l'édifice des
sciences , on cesse presque d'admirer les grands
hommes qui lui ont succédé, tels que Bayle,
Locke, etc. Il leur distribue d'avance le terrain
qu'ils ont à défricher ou à conquérir. C'est César,
yo MAXIMES ET PENSEES
maître du monde après la victoire de Pharsale,
donnant des royaumes et des provinces à ses par-
tisans ou à ses favoris.
Dans les naïvetés d'un enfant bien né, il y a
quelquefois une philosophie bien aimable.
Peu de personnes peuvent aimer un philo-
sophe. C'est presque un ennemi public qu'un homme
qui, dans les différentes prétentions des hommes
et dans le mensonge des choses, dit à chaque homme
et à chaque chose : « Je ne te prends que pour ce
que tu es; je ne t'apprécie que ce que tu vaux. » Et
ce n'est pas une petite entreprise de se faire aimer
et estimer avec l'annonce- de ce ferme propos.
Un homme d'esprit prétendoit, devant des mil-
lionnaires, qu'on pouvoit être heureux avec deux
mille écus de rente. Ils soutinrent le contraire avec
aigreur, et même avec emportement. Au sortir de
chez eux, il cherchoit la cause de cette aigreur de
la part de gens qui avoient de l'amitié pour lui. Il
la trouva enfin : c'est que par là il leur faisoit entre-
voir qu'il n'étoit pas dans leur dépendance. Tout
homme qui a peu de besoins semble menacer les
riches d'être toujours prêt à leur échapper. Les
tyrans voient par là qu'ils perdent un esclave. On
peut appliquer cette réflexion à toutes les passions
M O R A L ES 71
en général. L'homme qui a vaincu le penchant à
J'amour montre une indifférence toujours odieuse
aux femmes : elles cessent aussitôt de s'intéresser à
lui. C'est peut-être pour cela que personne ne s'in-
téresse à la fortune d'un philosophe : il n'a pas les
passions qui émeuvent la société. On voit qu'on ne
peut presque rien faire pour son bonheur, et on le
laisse là.
J'ai vu des hommes qui n'étoient doués que
d une raison simple et droite, sans une grande éten-
due ni sans beaucoup d'élévation d'esprit; et cette
raison simple avoit suffi pour leur faire mettre à leur
place les vanités et les sottises humaines, pour leur
donner le sentiment de leur dignité personnelle,
leur faire apprécier ce même sentiment dans autrui.
J'ai vu des femmes à peu près dans le même cas,
qu'un sentiment vrai, éprouvé de bonne heure, avoit
mises au niveau des mêmes idées. Il suit de ces
deux observations que ceux qui mettent un grand
prix à ces vanités, à ces sottises humaines, sont de
la dernière classe de notre espèce.
Notre raison nous rend quelquefois aussi mal-
heureux que nos passions, et on peut dire de
l'homme, quand il est dans ce cas, que c'est un
malade empoisonné par son médecin.
Qu'est-ce qu'un philosophe? C'est un homme
72 MAXIMES ET PENSEES
qui oppose la nature à la loi, la raison à l'usage,
sa conscience à .l'opinion et son jugement à l'er-
reur.
>.( N'as-tu pas honte de vouloir parler mieux que
tu ne peux? » disoit Sénèque à l'un de ses fils, qui
ne pouvoit trouver l'exorde d'une harangue qu'il
avoit commencée. On pourroit dire de même à
ceux qui adoptent des principes plus forts que leur
caractère : « N'as-tu pas honte de vouloir être
philosophe plus que tu ne peux? »
J'ai lu dans je ne sais quel voyageur que cer-
tains sauvages de l'Afrique croient à l'immortalité
de l'âme. Sans prétendre expliquer ce qu'elle
devient, ils la croient errante, après la mort, dans
les broussailles qui environnent leurs bourgades,
et la cherchent plusieurs matinées de suite. Ne
la trouvant pas, ils abandonnent cette recherche
et n'y pensent plus. C'est à peu près ce que noG
philosophes ont fait et avoient de meilleur ;.
faire.
II y a peu d'hommes qui se permettent un usage
vigoureux et intrépide de leur raison, et osent
l'appliquer à tous les objets dans toute sa force.
Le temps est venu où il faut l'appliquer ainsi à
tous les objets de la morale, de la politique et de
MORALES 73
la société; aux rois, aux ministres, aux grands,
aux philosophes, aux principes des sciences, des
beaux-arts, etc., sans quoi on restera dans la
médiocrité.
Le philosophe qui veut éteindre ses passions
ressemble au chimiste qui voudroit éteindre son
feu.
La nature a voulu que les illusions fussent pour
les sages comme pour les fous, afin que les pre-
miers ne fussent pas trop malheureux par leur
propre sagesse.
Quand on veut devenir philosophe, il ne faut
pas se rebuter des premières découvertes affli-
geantes qu'on fait dans la connoissance des hommes ;
il faut, pour les connoître, triompher du méconten-
tement qu'ils donnent, comme l'anatomiste triomphe
de la nature, de ses organes et de son dégoût,
pour devenir habile dans son art.
Je ne conçois pas de sagesse sans défiance. L'É-
criture a dit que le commencement de la sagesse
étoit la crainte de Dieu; moi, je crois que c'est la
crainte des hommes.
Si Diogène vivoit de nos jours, il faudroit que
sa lanterne fût une lanterne sourde.
74 MAXIMES ET PENSÉES
Si les vérités cruelles, les fâcheuses découvertes,
les secrets de la société, qui composent la science
d'un homme du monde parvenu à l'âge de qua-
rante ans, avoient été connus de ce même homme
à l'âge de vingt, ou il fût tombé dans le désespoir,
ou il se seroit corrompu par lui-même, par projet;
et cependant on voit un petit nombre d'hommes
sages, parvenus à cet âge-là, instruits de toutes ces
choses et très-éclairés, n'être ni corrompus ni mal-
heureux. La prudence dirige leurs vertus à travers
la corruption publique, et la force de leur carac-
tère, jointe aux lumières d'un esprit étendu, les
élève au-dessus du chagrin qu'inspire la perversité
des hommes.
Il n'est pas vrai (ce qu'a dit Rousseau après'
Plutarque) que plus on pense, moins on sent; mais
il est vrai que plus on juge, moins on aime. Peu
d'hommes vous mettent dans le cas de faire excep-
tion à cette règle.
L'homme sans principes est aussi ordinairement
un homme sans caractère, car, s'il étoit né avec
du caractère, il auroit senti le besoin de se créer
des principes.
Il y a plus de fous que de sages, et dans le sage
même il y a plus de folie que de sagesse.
MORALES 75
N'est-ce pas une chose plaisante de considérer
que la gloire de plusieurs grands hommes soit
d'avoir employé leur vie entière à combattre des
préjugés ou des sottises qui font pitié et qui sem-
bloient ne devoir jamais entrer dans une tète hu-
maine? La gloire de Bayle, par exemple, est d'avoir
montré ce qu'il y a. d'absurde dans les subtilités
philosophiques et scolastiques, qui feroient lever
les épaules à un paysan du Gàtinois doué d'un
grand sens naturel; celle de Locke, d'avoir prouvé
qu'on ne doit point parler sans s'entendre ni
croire entendre ce qu'on n'entend pas; celle de
plusieurs philosophes, d'avoir composé de gros
livres contre des idées superstitieuses qui feroient
fuir avec mépris un sauvage du Canada ; celle de
Montesquieu et de quelques auteurs avant lui,
d'avoir, en respectant une foule de préjugés misé-
rables, laissé entrevoir que les gouvernans sont
faits pour les gouvernés, et non les gouvernés pour
les gouvernans. Si le rêve des philosophes qui
croient au perfectionnement de la société s'ac-
complit, que dira la postérité de voir qu'il ait fallu
tant d'efforts pour arriver à des résultats si simples
et si naturels?
L'honnête homme détrompé de toutes les illu-
sions est l'homme par excellence. Pour peu qu'il
ait d'esprit, sa société est très-aimable. Il ne sau-
y6 MAXIMES ET PENSEES
roit être pédant, ne mettant d'importance à rien;
il est indulgent, parce qu'il se souvient qu'il a eu
des illusions comme ceux qui en sont encore
occupés. C'est un effet de son insouciance d'être
sûr dans le commerce, de ne se permettre ni re-
dites ni tracasseries. Si on se les permet à son
égard, il les oublie ou les dédaigne. Il doit être
plus gai qu'un autre, parce qu'il est constamment
en état d'épigramme contre son prochain; il est
dans le vrai, et rit des faux pas de ceux qui mar-
chent à tâtons dans le faux : c'est un homme qui
d'un endroit éclairé voit dans une chambre obscure
les gestes ridicules de ceux qui s'y promènent au
hasard; il brise en riant les faux poids et les fausses
mesures qu'on applique aux hommes et aux choses.
Pour parvenir à pardonner à la raison le mal
qu'elle fait à la plupart des hommes, on a besoin
de considérer ce que ce seroit que l'homme sans
sa raison : c'étoit un mal nécessaire.
Ce que j'admire dans les anciens philosophes^
c'est le désir de conformer leurs mœurs h leurs
écrits : c'est ce que l'on remarque dans Platon,
Théophraste et plusieurs autres. La morale pratique
étoit si bien la partie essentielle de leur philoso-
phie que plusieurs furent mis à la tête des écoles
sans avoir rien écrit. Ce fut le cas pour Xénocrate,
MORAL ES 7y
Polémon, Heusippe, etc.. Socrate, sans avoir
donné un seul ouvrage et sans avoir étudié au-
cune science que la morale, n'en fut pas moins le
premier philosophe de son siècle.
Il est dangereux pour un philosophe attaché à
un grand (si jamais les grands ont eu auprès d'eux
un philosophe) de montrer tout son désintéresse-
ment : on le prendroit au mot. Il se trouve dans la
nécessité de cacher ses vrais sentimens, et c'est
pour ainsi dire un hypocrite d'ambition.
Un philosophe regarde ce qu'on appelle un état
dans le monde comme les Tartares regardent les
villes, c'est-à-dire comme une prison : c'est un
cercle où les idées se resserrent, se concentretit,
en ôtant à l'âme et à l'esprit leur étendue et leur
développement. Un homme qui a un grand état
dans le monde a une prison plus grande et plus
ornée; celui qui n'y a qu'un petit état est dans un
cachot. L'homme sans état est le seul homme libre,
pourvu qu'il soit dans l'aisance, ou du moins qu'il
n'ait aucun besoin des hommes.
Le philosophe se portant pour un être qui ne
donne aux hommes que leur valeur véritable, il est
fort simple que cette manière de juger ne plaise à
personne.
7» MAXIMES ET PENSEES
L'homme du monde, l'ami de la fortune, même
l'amant de la gloire, tracent tous devant eux une
ligne directe qui les conduit à un terme inconnu;
le sage, l'ami de lui-même, décrit une ligne circu-
laire dont l'extrémité le ramène à lui : c'est le
totus teres atque rotundus d'Horace.
Il ne faut point s'étonner du goût de J. J. Rous-
seau pour la retraite : de pareilles âmes sont ex-
posées à se voir seules, à vivre isolées comme
l'aigle; mais, comme lui, l'étendue de leurs regards
et la hauteur de leur vol sont le charme de leur
solitude.
Presque tous les hommes sont esclaves, par la
raison que les Spartiates donnoient de la servitude
des Perses, faute de savoir prononcer la syllabe
non. Savoir prononcer ce mot et savoir vivre seul
sont les deux seuls moyens de conserver sa liberté
et son caractère.
Les moralistes, ainsi que les femmes philosophes
qui ont fait des systèmes en physique ou en
métaphysique , ont trop multiplié les maximes.
Que devient, par exemple, le mot de Tacite :
Neque niuUer^ amissa pudicitia, alla abnuerit^ après
l'exemple de tant de femmes qu'une foiblesse n'a
pas empêchées de pratiquer plusieurs vertus? J'ai
MORALES 79
VU Mnie de L..., après une jeunesse peu différente
de celle de Manon Lescaut, avoir dans l'âge mûr
une passion digne d'Héloïse. Mais ces exemples
sont d'une morale dangereuse à établir dans les
livres; il faut seulement les observer, afin de n'être
pas dupe de la charlatanerie des moralistes.
Les stoïciens sont des espèces d'inspirés qui
portent dans la morale l'exaltation et l'enthousiasme
poétiques.
La vie contemplative est souvent misérable. Il
faut agir davantage, penser moins et ne pas se
regarder vivre.
L'homme peut aspirer à la vertu; il ne peut
raisonnablement prétendre de trouver la vérité.
Le jansénisme des chrétiens, c'est le stoïcisme
des païens, dégradé de figure et mis à la portée
d'une populace chrétienne, et cette secte a eu des
Pascal et des Arnauld pour défenseurs.
Il y auroit une manière plaisante de prouver
qu'en France les philosophes sont les plus mauvais
citoyens du monde. La preuve, la voici : c'est
qu'ils ont imprimé une grande quantité de vérités
importantes dans l'ordre politique et économique,
8o MAXIMES ET PENSEES
et ont donné plusieurs conseils utiles consignés
dans leurs livres. Ces conseils ont été suivis par
presque tous les souverains de l'Europe, presque
partout, hors en France : d'où il suit que, la pros-
périté des étrangers augmentant leur puissance,
tandis que la France reste aux mêmes termes, con-
serve ses abus, etc., elle finira par être dans l'état
d'infériorité relativement aux autres puissances;
et c'est évidemment la faute des philosophes. On
sait, à ce sujet, la réponse du duc dje Toscane à
un François à propos des heureuses innovations
faites par lui dans ses États : «Vous me louez trop
à cet égard, disoit-il; j'ai pris toutes mes idées
dans vos livres françois. »
M. D... L... vint conter à M. D... un procédé
horrible qu'on avoit eu pour lui, et ajoutoit :
« Que feriez-vous à ma place? » Celui-ci, homme
devenu indifférent à force d'avoir souffert des in-
justices, et égoïste par misanthropie, lui répondit
froidement : « Moi, Monsieur! dans ces cas-là je
soigne mon estomac, et je tiens ma langue ver-
meille. »
Un docteur de Sorbonne , furieux contre le
Système de la Nature, disoit : « C'est un livre exé-
crable, abominable; c'est l'athéisme démontré. »
MORALES 51
Il en est des philosophes comme des moines,
dont plusieurs le sont malgré eux et enragent
toute leur vie. Quelques autres prenneni patience;
un petit nombre enfin est heureux, se tait et ne
cherche point à faire des prosélytes , tandis que
ceux qui sont désespérés de leur engagement
cherchent à racoler des novices.
La philosophie, ainsi que la médecine, a beau-
coup de drogues, très-peu de bons remèdes et
presque point de spécifiques.
Je dirois volontiers des métaphysiciens ce que
Scaliger disoit des Basques : « On dit qu'ils s'en-
tendent; mais je n'en crois rien. »
Le philosophe qui fait tout pour la vanité a-t-il
droit de mépriser le courtisan qui fait tout pour
l'intérêt? Il me semble que Tun emporte des louis
d'or, et que l'autre se retire content après en
avoir entendu le bruit. D'Alembert, courtisan de
Voltaire par un intérêt de vanité, est-il bien au-
dessus de tel ou tel courtisan de Louis XIV qui
vouloit une pension ou un gouvernement?
Peu de philosophie mène à mépriser l'érudition;
beaucoup de philosophie mène à l'estimer.
Chamfort. I. i i
7t4^^
82 MAXIMES ET PENSEES
Roman, Romanesque.
Il y a peu d'hommes à grand caractère qui
n'aient quelque chose de romanesque dans la tête
ou dans le cœur. L'homme qui en est entièrement
dépourvu, quelque honnêteté, quelque esprit qu'il
puisse avoir, est, à l'égard du grand caractère, ce
qu'un artiste d'ailleurs très-habile, mais qui n'as-
pire point au beau idéal, est à l'égard de l'artiste
homme de génie qui s'est rendu ce beau idéal fa-
milier.
La Société, le Monde.
Le genre humain, mauvais de sa nature, est de-v
venu plus mauvais par la société. Chaque homme y
porte les défauts i°de l'humanité, 2° de l'individu,
3" de la classe dont il fait partie dans l'ordre so-
cial. Ces défauts s'accroissent avec le temps, et
chaque homme, en avançant en âge, blessé de tous
ces travers d'autrui et malheureux par les siens
mêmes, prend pour l'humanité un profond mépris
qui ne peut tourner que contre l'une et l'autre.
Une vérité cruelle, mais dont il faut convenir,
c'est que dans le monde, et surtout dans un monde
choisi, tout est art, science, calcul, même l'appa-
rence de la simplicité, de la facilité la plus aimable.
MORALES 83
J'ai vu des hommes dans lesquels ce qui paroissoit
la grâce d'un premier mouvement étoit une com-
binaison, à la vérité très-prompte, mais très-fine et
très-savante ; j'en ai vu associer le calcul le plus
réfléchi à la naïveté apparente de l'abandon le plus
étourdi : c'est le négligé savant d'une coquette,
d'où l'art a banni tout ce qui ressemble à l'art.
Cela est fâcheux, mais nécessaire. En général,
malheur à l'homme qui, même dans l'amitié la plus
intime, laisse découvrir son foible et sa prise ! J'ai
vu les plus intimes amis faire des blessures à
l'amour-propre de ceux dont ils avoient surpris le
secret. Il paroît impossible que, dans l'état actuel
de la société (je parle toujours du grand monde],
il y ait un seul homme qui puisse montrer le fond
de son âme et les détails de son caractère, et sur-
tout de ses foiblesses, à son meilleur ami. Mais,
encore une fois, il faut porter (dans ce monde-là)
le raffinement si loin qu'il ne puisse pas même y
être suspect, ne fût-ce que pour ne pas être mé-
prisé comme un mauvais acteur dans une troupe
d'excellens comédiens.
La société n'est pas, comme on le croit d'ordi-
naire, le développement de la nature, mais bien sa
décomposition et sa refonte entière : c'est un se-
cond édifice bâti avec les décombres du premier.
On en retrouve les débris avec un plaisir mêlé de
84 MAXIMES ET PENSEES
surprise : c'est celui qu'occasionne l'expression
naïve d'un sentiment naturel qui échappe dans la
société; il arrive mênie qu'il plaît davantage si la
personne à laquelle il échappe est d'un rang plus
élevé, c'est-à-dire plus loin de la nature. Il charme
dans un roi , parce qu'un roi est dans l'extrémité
opposée. C'est un débris d'ancienne architecture
dorique ou corinthienne dans un édifice grossier et
moderne
La société, ce qu'on appelle le monde, n'est que
la lutte de mille petits intérêts opposés, une lutte
éternelle de toutes les vanités qui se croisent, se
choquent tour à tour, blessées, humiliées l'une par
l'autre, qui expient le lendemain, dans le dégoût
d'une défaite, le triomphe de la veille. Vivre soli-
taire, ne point être froissé dans ce choc misérable
où l'on attire un instant les yeux pour être écrasé
l'instant d'après, c'est ce qu'on appelle n'être rien,
n'avoir pas d'existence. Pauvre humanité !
Jamais le monde n'est connu par les livres. On
l'a dit autrefois, mais ce qu'on n'a pas dit, c'est la
raison; la voici : c'est que cette connoissance est
un résultat de mille observations fines dont l'amour-
propre n'ose faire confidence à personne , pas
même au meilleur ami. On craint de se montrer
comme un homme occupé de petites choses,
MORALES 85
quoique ces petites choses soient très-importantes
au succès des plus grandes affaires.
En parcourant les mémoires et les monumens
du siècle de Louis XIV, on trouve, même dans la
mauvaise compagnie de ce temps-là, quelque chose
qui manque à la bonne d'aujourd'hui.
Il en est de la civilisation comme de la cuisine :
quand on voit sur une table des mets légers, sains
et bien préparés, on est fort aise que la cuisine soit
devenue une science; mais, quand on y voit des
jus, des coulis, des pâtés de truffes, on maudit les
cuisiniers et leur art funeste... à l'application.
L'homme, dans l'état actuel de la société, me
paroît plus corrompu par sa raison que par ses pas-
sions. Ses passions (j'entends ici celles qui appar-
tiennent à l'homme primitif) ont conservé dans
l'ordre social le peu de nature qu'on y retrouve
encore.
Il y a une prudence supérieure à celle qu'on qua-
lifie ordinairement de ce nom : l'une est la pru-
dence de l'aigle, et l'autre celle des taupes. La
première consiste à suivre hardiment son caractère
en acceptant avec courage les désavantages et les
inconvéniens qu'il peut produire.
86 MAXIMES ET PENSEES
Il faut convenir que, pour être heureux en vivant
dans le monde, il y a des côtés de son âme qu*il
faut entièrement paralyser.
La plupart des hommes qui vivent dans le monde
y vivent si étourdiment, pensent si peu, qu'ils ne
connoissent pas ce monde qu'ils ont toujours sous
les yeux. « Ils ne le connoissent pas, disoit plaisam-
ment M . de B . . . , par la raison qui fait que les han-
netons ne savent pas l'histoire naturelle. »
Les hommes deviennent petits en se rassemblant :
ce sont les diables de Milton obligés de se rendre
pygmées pour entrer dans le Pandémonium.
Les fléaux physiques et les calamités de la na-
ture humaine ont rendu la société nécessaire. La
société a ajouté aux malheurs de la nature; les
inconvéniens de la société ont amené la nécessité
du gouvernement, et le gouvernement ajoute aux
malheurs de la société. Voilà l'histoire de la nature
humaine.
L'homme vit souvent avec lui-même, et il a be-
soin de vertu; il vit avec les autres, et il a besoin
d'honneur.
Quand les sots sortent de place, soit qu'ils aient
MORALES iS-J
€té premiers ministres ou premiers commis, ils
conservent une morgue ou une importance ridi-
cules.
Ceux qui ont de l'esprit ont mille bons contes à
faire sur les sottises et sur les valetages dont ils ont
été témoins, et c'est ce qu'on peut voir par cent
exemples. Comme c'est un mal aussi ancien que la
monarchie, rien ne prouve mieux combien il est
irrémédiable. De mille traits que j'ai entendu ra-
conter, je conclurois que, si les singes avoient le
talent des perroquets, on en feroit volontiers des
ministres.
Qu'importe de paroître avoir moins de foiblesses
qu'un autre et donner aux hommes moins de prise
sur vous? Il suffit qu'il y en ait une et qu'elle soit
connue. Il faudroit être un Achille sans talon, et
c'est ce qui paroît impossible.
Les gens du monde ne sont pas plutôt attroupés
qu'ils se croient en société.
La société est composée de deux grandes
classes : ceux qui ont plus de dîners que d'appétit,
ei ceux qui ont plus d'appétit que de dîners.
On donne des repas de dix louis ou de vingt à
88 MAXIMES ET PENSEES
des gens en faveur de chacun desquels on ne don-
neroit pas un petit écu pour qu'ils fissent une
bonne digestion de ce même dîner de vingt louis.
Que trouve un jeune homme en entrant dans le
monde? Des gens qui veulent le protéger, préten-
dent l'honorer, le gouverner, le conseiller; je ne
parle point de ceux qui veulent l'écarter, lui nuire,
le perdre ou le tromper. S'il est d'un caractère
assez élevé pour vouloir n'être protégé que par ses
mœurs, ne s'honorer de rien ni de personne, se
gouverner par ses principes, se conseiller par ses lu-
mières, par son caractère et d'après sa position^
qu'il connoît mieux que personne, on ne manque
pas de dire qu'il est original, singulier, indomp-
table. Mais, s'il a peu d'esprit, peu d'élévation,
peu de principes ; s'il ne s'aperçoit pas qu'on le pro-
tège, qu'on veut le gouverner; s'il est l'instrument
de gens qui s'en emparent, on le trouve charmant,
et c'est, comme on dit, le meilleur enfant du
monde.
J'ai vu des hommes traliir leur conscience pour
complaire à un homme qui a un mortier ou une si-
marre. Étonnez-vous ensuite de ceux qui l'échan-
gent pour le mortier ou pour la simarre même !
Tous également vils, et les premiers absurdes plus
que les autres.
MORALES 89
M... me disoit que j'avois un grand malheur:
c'étoit de ne pas me faire à la toute-puissance des
sots. Il avoit raison, et j'ai vu qu'en entrant dans
le monde un sot avoit de grands avantages : celui
de se trouver parmi ses pairs. C'est comme frère
Lourdis dans le temple de la Sottise :
Tout lui plaisoit, et même, en arrivant,
11 crut encore être dans son couvent.
Tout homme qui vit beaucoup dans le monde
me persuade qu'il est peu sensible, car je ne vois
presque rien qui puisse y intéresser le cœur, ou
plutôt rien qui ne l'endurcisse, ne fût-ce que le
spectacle de l'insensibilité, de la frivolité et de la
vanité qui y régnent.
En voyant ce qui se passe dans le monde,
l'homme le plus misanthrope finiroit par s'égayer,
et Heraclite par mourir de rire.
Le monde et la société ressemblent à une biblio-
thèque où, au premier coup d'œil, tout paroît en
règle, parce que les livres y sont placés suivant le
format et la grandeur des volumes, mais où, dans
le fond, tout est en désordre, parce que rien n'y est
rangé suivant l'ordre des sciences, des matières ni
des auteurs.
90 MAXIMES ET PENSEES
Avoir des liaisons considérables , ou même
illustres, ne peut plus être un mérite pour per-
sonne dans un pays où l'on plaît souvent par ses
vices, et où l'on est quelquefois recherché pour ses
ridicules.
é
Il y a des hommes qui ne sont point aimables,
mais qui n'empêchent pas les autres de l'être ; leur
commerce est quelquefois supportable. Il y en a
d'autres qui, n'étant point aimables, nuisent encore
par leur seule présence au développement de l'ama-
bilité d'autrui ; ceux-là sont insupportables : c'est le
grand inconvénient de la pédanterie.
L'art de la parenthèse est un des grands secrets
de l'éloquence dans la société.
On ne se doute pas, au premier coup d'œil, du
mal que fait l'ambition de mériter cet éloge si com-
mun : Monsieur un tel est très-aimable. Il arrive, je
ne sais comment, qu'il y a un genre de facilité,
d'insouciance, de foiblesse, de déraison, qui plaîl
beaucoup quand ces qualités se trouvent mêlées
avec de l'esprit; que l'homme dont on fait ce qu'on
veut, qui appartient au moment, est plus agréable
que celui qui a de la suite, du caractère, des prin-
cipes, qui n'oubUe pas son ami malade ou absent,
qui sait quitter une partie de plaisir pour lui rendre
MORALES 91
service, etc. Ce seroit une liste ennuyeuse que
celle des défauts, des torts et des travers qui plai-
sent. Aussi les gens du monde qui ont réfléchi sur
i'art de plaire plus qu'on ne croit et qu'ils ne
croient eux-mêmes ont la plupart de ces défauts,
et cela vient de la nécessité de faire dire de soi :
Monsieur un tel est très-aimable.
Des qualités trop supérieures rendent souvent
un homme moins propre à la société. On ne va pas
au marché avec des lingots; on y va avec de l'ar-
gent ou de la petite monnoie.
La société, les cercles, les salons, ce qu'on ap-
pelle le monde, est une pièce misérable, un mau-
vais opéra, sans intérêt, qui se soutient un peu par
les machines et les décorations
De nos jours un peintre fait votre portrait en
sept minutes; un autre vous apprendra à peindre
en trois jours; un troisième vous enseigne l'anglois
en quatre leçons; on veut vous apprendre huit
kngues avec des gravures qui représentent les
choses et leurs noms au-dessous en huit langues;
enfin, si on pouvoit mettre ensemble les plaisirs,
les sentimens ou les idées de la vie entière et les
réunir dans l'espace de vingt-quatre heures, on le
92 MAXIMES ET PENSEES
feroit. On vous feroit avaler cette pilule, et on vous
diroit : Allez-vous-en.
Quand on veut plaire dans le monde, il faut se
résoudre à se laisser apprendre beaucoup de choses
qu'on sait par des gens qui les ignorent.
L'homme le plus modeste, en vivant dans le
monde, doit, s'il est pauvre , avoir un maintien
très-assuré et une certaine aisance qui empêchent
qu'on ne prenne quelque avantage sur lui. Il faut,
dans ce cas, parer sa modestie de sa fierté.
On dit quelquefois d'un homme qui vit seul :
« Il n'aime pas la société. » C'est souvent comme
si on disoit d'un homme qu'il n'aime pas la prome-
nade, sous prétexte qu'il ne se promène pas volon-
tiers le soir dans la forêt de Bondy.
Est-il bien sûr qu'un homme qui auroit une rai-
son parfaitement droite, un sens moral parfaitement
exquis, pût vivre avec quelqu'un? Par vivre, je
n'entends pas se trouver ensemble sans se battre :
j'entends se plaire ensemble, s'aimer, commercer
avec plaisir.
11 n"*}^ a personne qui ait plus d'ennemis dans le
monde qu'un homme droit, fier et sensible, disposé
MORALES ç3
à laisser les personnes et les choses pour ce qu'elles
sont plutôt qu'à les prendre pour ce qu'elles n3
sont pas
Le monde endurcit le cœur à la plupart des
hommes; mais ceux qui sont moins susceptibles
d'endurcissement sont obligés de se créer une sorte
d'insensibilité factice pour n'être dupes ni des
hommes ni des femmes. Le sentiment qu'un
homme honnête emporte, après s'être livré quel-
ques jours à la société, est ordinairement pénible
et triste; le seul avantage qu'il produira, c'est de
faire trouver la retraite aimable. .
S'il étoit possible qu'une personne sans esprit
pût sentir la grâce, la finesse, l'étendue et les dif-
férentes qualités de l'esprit d'autrui, et montrer
qu'elle le sent, la société d'une telle personne,
quand même elle ne produiroit rien d'elle-même,
seroit encore très-recherchée. Même résultat de la
même supposition à l'égard des qualités de l'âme.
En voyant ou en éprouvant les peines attachées
aux sentimens extrêmes, en amour, en amitié, soit
par la mort de ce qu'on aime, soit par les accidens
de la vie, on est tenté de croire que la dissipation
et la frivolité ne sont pas de si grandes sottises, et
94 MAXIMES ET PENSEES
que la vie ne vaut guère que ce qu'en font les gens
du monde.
En général, si la société n'étoit pas une compo-
sition factice, tout sentiment simple et vrai ne pro-
duiroit pas le grand effet qu'il produit : il plairoit
sans étonner; mais il étonne et il plaît. Notre sur-
prise est la satire de la société, et notre plaisir est
un4iommage à la nature.
Il faut convenir qu'il est impossible de vivre
dans le monde sans jouer de temps en temps la
comédie. Ce qui distingue l'honnête homme du
fripon, c'est de ne la jouer que dans les cas forcés
et pour échapper au péril; au lieu que l'autre va
au-devant des occasions.
On fait quelquefois dans le monde un raisonne-
ment bien étrange. On dit à un homme, en vou-
lant récuser son témoignage en faveur d'un autre
homme : « C'est votre ami. )> Eh ! morbleu ! c'est
mon ami, parce que le bien que j'en dis est vrai,
parce qu'il est tel que je le peins. Vous prenez la
cause pour l'effet et l'effet pour la cause. Pour-
quoi supposez-vous que j'en dis du bien parce
qu'il est mon ami, et pourquoi ne supposez-vous
pas plutôt qu''il est mon ami parce qu'il y a du
bien à en dire ?
MORALES ^3
Il faut qu""!! y ait de tout dans le monde; il faut
que, même dans les combinaisons factices du sys-
tème social, il se trouve des hommes qui opposent
la nature à la société, la vérité à l'opinion, la réa-
lité à la chose convenue. C'est un genre d'esprit
et de caractère fort piquant, et dont l'empire se
fait sentir plus souvent qu'on ne croit. H y a des
gens à qui on n'a besoin que de présenter le vrai
pour qu'ils y courent avec une surprise naïve et
intéressante. Ils s'étonnent qu'une chose frappante
(quand on sait la rendre telle] leur ait échappé jus-
qu'alors.
On croit le sourd malheureux en société. N'est-
ce pas un jugement prononcé par l'amour-propre
de la société, qui dit : « Cet homme-là n'est-il
pas trop à plaindre de n'entendre pas ce que nous
disons ? »
La meilleure philosopfu'e, relativement au monde,
est d'allier à son égard le sarcasme de la gaieté
avec l'indulgence du mépris.
J'ai vu, dans le monde, qu'on sacrifîoit sans
cesse l'estime des honnêtes gens à la considération
et le repos à la célébrité.
Ce qui explique le mieux comment le malhon-
^6 MAXIMES ET PENSÉES
nête homme, et quelquefois même le sot, réussis-
sent presque toujours mieux dans le monde que
l'honnête homme et que l'homme d'esprit à faire
leur chemin, c'est que le malhonnête homme et le
sot ont moins de peine à se mettre au courant et
au ton du monde, qui, en général, n'est que mal-
honnêteté et sottise; au lieu que l'honnête homme
et l'homme sensé, ne pouvant pas entrer sitôt en
commerce avec le monde, perdent un temps pré-
cieux pour la fortune. Les uns sont des marchands
qui, sachant la langue du pays, vendent et s'appro-
visionnent tout de suite, tandis que les autres sont
obligés d'apprendre la langue de leurs vendeurs et
de leurs chalands avant que d'exposer leur mar-
chandise et d'entrer en traité avec eux; souvent
même ils dédaignent d'apprendre cette langue, et
alors ils s'en retournent sans étrenner.
Il semble que, d'après les idées reçues dans le
monde et la décence sociale, il faut qu'un prêtre,
un curé, croie un peu pour n'être pas hypocrite, ne
soit pas sûr de son fait pour n'être pas intolérant.
Le grand vicaire peut sourire à un propos contre
la religion, l'évêque rire tout à fait, le cardinal y
joindre son mot.
Ne tenir dans la main de personne, êtrel'/iomme
MORALES 97
de son cœur, de ses principes, de ses sentimens :
c'est ce que j^ai vu de plus rare.
Un philosophe, à qui l'on reprochoit son ex-
trême amour pour la retraite, répondit : « Dans le
monde, tout tend à me faire descendre; dans la
solitude, tout tend à me faire monter. »
Au lieu de vouloir corriger les hommes de cer-
tains travers insupportables à la société, il auroit
fallu corriger la foiblesse de ceux qui les souffrent.
L'importance sans mérite obtient des égards sans
estime.
Grands et petits, on a beau faire, il faut toujours
se dire comme le fiacre aux courtisanes dans le
moulin de Javelle : Vous autres et nous autres,
nous ne pouvons nous passer les uns des autres.
En apprenant à connoître les maux de la nature,
on méprise la mort; en apprenant à connoître ceux
de la société, on méprise la vie.
Il en est de la valeur des hommes comme de
celle des diamans, qui, à une certaine mesure de
grosseur, de pureté, de perfection, ont un prix
-fixe et marqué; mais qui, par delà cette me
Chamfort. I. i 3
98 MAXIMES ET PENSEES
sure, restent sans prix, et ne trouvent point
d'acheteurs.
Telle est la misérable condition des hommes
qu'il leur faut chercher dans la société des consola-
tions aux maux de la nature, et dans la nature des
consolations aux maux de la société. Combien
d'hommes n'ont trouve ni dans l'une ni dans
l'autre des distractions à leurs peines !
Quand on veut éviter d'être charlatan, il faut
fuir les tréteaux : car, si l'on y monte, on est bien
forcé d'être charlatan, sans quoi l'assemblée vous
jette des pierres.
Il y a telle supériorité, telle prétention, qu'il
suffit de ne pas reconnoître pour qu'elle soit anéan-
tie ; telle autre qu'il suffit de ne pas apercevoir
pour la rendre sans effet.
Voulez-vous voir à quel point chaque état de la
société corrompt les hommes? Examinez ce qu'ils
sont quand ils en ont éprouvé le plus longtemps
Finfluence, c'est-à-dire dans la vieillesse. Voyez ce
que c'est qu'un vieux courtisan, un vieux prêtre,
un vieux juge, un vieux procureur, un vieux chi-
rur2,ien, etc.
MORALES 99
Il y a dans le monde bien peu de choses sur les-
quelles un honnête homme puisse reposer agréa-
blement son âme ou sa pensée.
Préjugé, vanité, calcul • voilà ce qui gouverne
le monde. Celui qui ne connoît pour règles de sa
conduite que raison, vérité, sentiment, n'a presque
rien de commun avec la société. C'est en lui-même
qu'il doit chercher et trouver presque tout son
bonheur.
Qu'est-ce que la société, quand la raison n'en
forme pas les nœuds, quand le sentiment n'y jette
pas d'intérêt, quand elle n'est pas un échange de
pensées agréables et de vraie bienveillance? Une
foire, un tripot, une auberge, un bois, un mauvais
lieu et des Petites-Maisons : c^est tout ce qu'elle
est tour à tour pour la plupart de ceux qui la com-
posent.
On peut considérer l'édifice métaphysique de la
société comme un édifice matériel qui seroit com-
posé de différentes niches ou compartimens d'une
grandeur plus ou moins considérable. Les places
avec leurs prérogatives, leurs droits, etc., forment
ces divers compartimens, ces différentes niches.
Elles sont durables, et les hommes passent. Ceux
qui les occupent sont tantôt grands, tantôt petits,
lOO MAXIMES ET PENSEES
et aucun ou presque aucun n'est fait pour sa place.
Là, c'est un géant courbé ou accroupi dans sa
niche; là, c'est un nain sous une arcade : rarement
la niche est faite pour la stature. Autour de l'édi-
fice circule une foule d'hommes de différentes
tailles. Ils attendent tous qu'il y ait une niche de
vide, afin de s'y placer, quelle qu'elle soit. Chacun
fait valoir ses droits, c'est-à-dire sa naissance ou
ses protections, pour y être admis. On siffleroit
celui qui, pour avoir la préférence, feroit valoir la
proportion qui existe entre la niche et l'homme,
entre l'instrument et l'étui. Les concurrens même
s'abstiennent d'objecter à leur adversaire cette dis-
proportion.
On ne peut vivre dans la société après l'âge des
passions. Elle n'est tolérable que dans l'époque où
l'on se sert de son estomac pour s'amuser et de sa
personne pour tuer le temps.
Les gens de robe, les magistrats, connoissent la
cour, les intérêts du moment, à peu près comme
les écoliers qui ont obtenu un exeat et qui ont dîné
hors du collège connoissent le monde.
Ce qui se dit dans les cercles, dans les salons,
dans les soupers, dans les assemblées publiques,
dans les livres, même cetix qui ont pour objet de
MORALES loi
faire connoître la société, tout cela est faux ou in-
suffisant. On peut dire sur cela le mot italien pcr
la pred'ica, ou le mot ht\n ad populum phaler as.
Ce qui est vrai, ce qui est instructif, c'est ce que la
conscience d'un honnête homme qui a beaucoup vu
et bien vu dit à son ami au coin du feu. Quelques-
unes des ces conversations-là m'ont plus instruit
que tous les livres et le commerce ordinaire de la
société. C'est qu'elles me mettoient mieux sur la
voie, et me faisoient réfléchir davantage.
L'influence qu'exerce sur notre âme une idée
morale, contrastante avec des objets physiques et
matériels, se montre dans bien des occasions; mais
on ne la voit jamais mieux que quand le passage
est rapide et imprévu. Promenez-vous sur le bou-
levard, le soir : vous voyez un jardin charmant, au
bout duquel est un salon illuminé avec goût. Vous
entrevoyez des groupes de jolies femmes, des bos-
quets et entr'autres une allée fuyante où vous en-
tendez rire : ce sont des nymphes, vous en jugez
par leur taille svelte, etc. Vous demandez quelle
est cette femme , et on vous répond : « C'est
M"^*^ de B***, la maîtresse de la maison. » Il se
trouve par malheur que vous la connoissez, et le
charme a disparu.
En voyant quelquefois les friponneries des petits
I02 MAXIMES ET PENSEES
et les brigandages des hommes en place, on est
tenté de regarder la société comme un bois rempli
de voleurs, dont les plus dangereux sont les ar-
chers préposés pour arrêter les autres.
Les gens du monde et de la cour donnent aux
hommes et aux choses une valeur conventionnelle
dont ils s'étonnent de se trouver les dupes. Ils res-
semblent à des calculateurs qui en faisant un
compte, donneroient aux chiffres une valeur va-
riable et arbitraire, et qui, ensuite, dans Taddition,
leur rendant leur valeur réelle et réglée^ seroient
tout surpris de ne pas trouver leur compte.
Il y a des momens où le monde paroît s'appré-
cier lui-même ce qu'il vaut. J'ai souvent démêlé
qu'il estimoit ceux qui n'en faisoient aucun cas; et
il arrive souvent que c'est une recommandation
auprès de lui que de le mépriser souverainement,
pourvu que ce mépris soit vrai, sincère, naïf, sans
affectation, sans jactance.
Le monde est si méprisable que le peu de gens
honnêtes qui s'y trouvent estiment ceux qui le
méprisent, et y sont déterminés par ce mépris
même
Que voit-on dans le monde? Partout un respeci
MORALES îo3
naïf et sincère pour des conventions absurdes, pour
une sottise (les sots saluent leur reine), ou bien des
ménagemens forcés pour cette même sottise (les
gens d'esprit craignent leur tyran).
Supposez vingt hommes, même honnêtes, qui
tous connoissent et estiment un homme d'un mérite
reconnu, Dorilas, par exemple; louez, vantez ses
talens et ses vertus; que tous conviennent de ses
vertus et de ses talens; l'un des assistans ajoute :
« C'est dommage qu'il soit si peu favorisé de la
fortune. — Que dites-vous? reprend un autre;
c'est que sa modestie l'oblige à vivre sans luxe.
Savez-vous qu'il a vingt-cinq mille livres de rente?
— Vraiment ! — Soyez-en sûr, j'en ai la preuve. »
Qu'alors cet homme de mérite paroisse, et qu'il
compare l'accueil de la société et la manière plus
ou moins froide, quoique distinguée, dont il étoit
reçu précédemment. C'est ce qu'il a fait : il a com-
paré, et il a gémi. Mais dans cette société il s'est
trouvé un homme dont le maintien a été le même
à son égard. « Un sur vingt, dit notre philosophe;
je suis content. «
Il y a des fautes de conduite que de nos jours
on ne fait plus guère , ou qu'on fait beaucoup
moins. On est tellement raffiné que, mettant l'es-
prit à la place de l'àme, un homme vil, pour peu
I04 MAXIMES ET PENSEES
qu'il ait réfléchi, s'abstient de certaines platitudes
qui autrefois pouvoient réussir. J'ai vu des hommes
malhonnêtes avoir quelquefois une conduite fîère
et décente avec un prince, un ministre; ne point
fléchir, etc. Cela trompe les jeunes gens et les no-
vices, qui ne savent pas ou bien oublient qu'il faut
juger un homme par l'ensemble de ses prmcipes et
de son caractère.
A voir le soin que les conventions sociales pa-
roissent avoir pris d'écarter le mérite de toutes les
places où il pourroit être utile à la société, en
examinant la ligue des sots contre les gens d'es-
prit, on croiroit voir une conjuration de valets pour
écarter les maîtres.
Qui est-ce qui n'a que des liaisons entièrement
honorables ? Qui est-ce qui ne voit pas quelqu'un
dont il demande pardon à ses amis? Quelle est la
femme qui ne s'est pas vue forcée d'expliquer à sa
société la visite de telle ou telle femme qu'on a été
surpris de voir chez elle ?
Tout homme qui se connoît des seniimens éle-
vés a le droit, pour se faire traiter comme il con-
vient, de partir de son caractère plutôt que de sa
position.
MORALES I05
Quand on a pris le parti de ne voir que ceux
qui sont capables de traiter avec vous aux termes
de la morale, de la vertu, de la raison, de la vé-
rité, en ne regardant les conventions, les vanités,
les étiquettes, que comme les supports de la société
civile; quand, dis-je, on a pris ce parti (et il faut
bien le prendre, sous peine d'être sot, foible ou
vil), il arrive qu'on vit à peu près solitaire.
Les hommes qu'on ne connoît qu'à moitié, on
ne les connoît pas; les choses qu'on ne sait qu'aux
trois quarts, on ne les sait pas du tout. Ces deux
réflexions suffisent pour faire apprécier presque
tous les discours qui se tiennent dans le monde.
Dans un pays où tout le monde cherche à pa-
roître, beaucoup de gens doivent croire, et croient,
en effet, qu'il vaut mieux être banqueroutier que
de n'être rien.
La foiblesse de caractère ou le défaut d'idées,
en un mot tout ce qui peut nous empêcher de
vivre avec nous-mêmes, sont les choses qui préser-
vent beaucoup de gens de la misanthropie.
On est plus heureux dans la solitude que dans
le monde. Cela ne viendroit-il pas de ce que dans
14
Io6 MAXIMES ET PENSEES
la solitude on pense aux choses, et que dans le
monde on est forcé de penser aux hommes ?
Les pensées d'un solitaire homme de sens, et
fût-il d'ailleurs médiocre, seroient bien peu de
chose si elles ne valoient pas ce qui se dit et se fait
dans le monde.
Un homme qui s'obstine à ne laisser ployer ni sa
raison ni sa probité, ou du moins sa délicatesse,
sous le poids d'aucune des conventions absurdes
ou malhonnêtes de la société; qui ne fléchit jamais
dans les occasions où il a intérêt de fléchir, finit
infailliblement par rester sans appui , n'ayant
d'autre ami qu'un être abstrait qu'on appelle la
vertu, qui vous laisse mourir de faim.
Il ne faut pas ne savoir vivre qu'avec ceux qui
peuvent nous apprécier : ce seroit le besoin d'un
amour-propre trop délicat et trop difficile à con-
tenter; mais il faut ne placer le fond de sa vie ha-
bituelle qu'avec ceux qui peuvent sentir ce que
nous valons. Le philosophe même ne blâme point
ce genre d'amour-propre.
* Les hommes sont si pervers que le seul espoir
et même le seul désir de les corriger, de les voir
raisonnables et honnêtes, est une absurdité, une
MORALES 107
idée romanesque qui ne se pardonne qu'à la sim-
plicité de la première jeunesse.
* « Je suis bien dégoûté des hommes », disait
M. de L... — Vous n'êtes pas dégoûté », lui dit
M. de N.. , non pour lui nier ce qu'il disoit,
mais par misanthropie, pour lui dire ; Votre goût
est bon.
"*' M..., vieillard détrompé, me disait : « Le
reste de ma vie me paraît une orange à demi sucée,
que je presse je ne sais pas pourquoi, et dont le
suc ne vaut pas la peine que je l''exprime. »
Testament.
Pourquoi les hommes sont-ils si sots, si subju-
gués par la coutume ou par la crainte de faire un
testament, en un mot si imbéciles, qu'après eux
ils laissent aller leurs biens à ceux qui rient de
leur mort plutôt qu'à ceux qui la pleurent?
Théâtre.
Au théâtre, on vise à l'effet; mais ce qui dis-
tingue le bon et le mauvais poëte, c'est que le
premier veut faire effet par des moyens raisonna-
bles ; et pour le second, tous les moyens sont ex-
cellens. Il en est de cela comme des honnêtes gens
et des fripons, qui veulent également faire fortune.
Io8 MAXIMES ET PENSEES
Les premiers n'emploient que des moyens honnêtes,
et les autres toutes sortes de moyens.
Le théâtre tragique a le grand inconvénient
moral de mettre trop d'importance à la vie et à la
mort.
Usage.
Les coutumes les plus absurdes, les étiquettes les
plus ridicules, sont, en France et ailleurs, sous la
protection de ce mot : C'est l'usage. C'est précisé-
ment ce même mot que répondent les Hottentots
quand les Européens leur demandent pourquoi ils
mangent des sauterelles, pourquoi ils dévorent la
vermine dont ils sont couverts. Ils disent aussi :
C'est l'usage.
Vanité.
Vain veut dire vide ; ainsi, la vanité est si misé-
rable qu'on ne peut guère lui dire pis que son
nom. Elle se donne elle-même pour ce qu'elle est.
Ce seroit être très-avancé dans l'étude de la
morale, de savoir distinguer tous les traits qui
différencient l'orgueil et la vanité. Le premier est
haut, calme, fier, tranquille, inébranlable; la
seconde est vile, incertaine, mobile, inquiète et
chancelante. L'un grandit l'homme, l'autre le
MORALES 109
renfle. Le premier est la source de mille vertus,
l'autre celle de presque tous les vices et tous les
travers. Il )? a un genre d'orgueil dans lequel sont
compris tous les commandemens de Dieu, et un
genre de vanité qui contient les sept péchés capi-
taux.
C'est souvent le mobile de la vanité qui a en-
gagé l'homme à montrer toute l'énergie de son
âme. Du bois ajouté à un acier pointu fait un
dard; deux plumes ajoutées au bois font une flè-
che.
On dit qu'il faut s'efl'orcerde retrancher tous les
jours de nos besoins. C'est surtout aux besoins de
l'amour-propre qu'il faut appliquer cette maxime
ce sont les plus tyranniques et qu'on doit le plus
combattre.
La fausse modestie est le plus décent de tous
les mensonges.
Il y a des hommes qui ont besoin de primer,
de s'élever au-dessus des autres, à quelque prix que
ce puisse être. Tout leur est égal, pourvu qu'ils
soient en évidence sur des tréteaux de charlatan ;
sur un théâtre, un trône, un échafaud, ils seront
toujours bien, s'ils attirent les yeux.
no MAXIMES ET PENSEES MORALES
Vertu.
La vertu, comme la santé, n'est pas le souverain
bien. Elle est la place du bien, plutôt que le bien
même. Il est plus sûr que le vice rend malheureux
qu'il ne l'est que la vertu donne le bonheur. La
raison pour laquelle la vertu est le plus désirable,
c'est parce qu'elle est ce qu'il y a de plus opposé
au vice.
Il y a de certains hommes dont la vertu brille
davantage dans la condition privée qu'elle ne le
feroit dans une fonction publique. Le cadre les
dépareroit. Plus un diamant est beau, plus il faut
que la monture soit légère. Plus le chaton est
riche, moins le diamant est en évidence.
11 ne faut pas regarder Burrhus comme un
homme vertueux absolument; il ne l'est qu'en
opposition avec Narcisse. Sénèque et Burrhus sont
les honnêtes gens d'un siècle où il n'y en avoit
pas.
MAXIMES ET PENSÉES
LITTERAIRES
Académie française .
voir la composition de l'Académie
Françoise , on croiroit qu'elle a pris
Upour devise ce vers de Lucrèce :
Certare ingenio, contendere nobilitate.
L'honneur d'être de l'Académie Françoise est
comme la croix de Saint-Louis, qu'on voit égale-
ment aux soupers de Marly et dans les auberges à
vingt-deux sous.
L'Académie Françoise est comme l'Opéra, qui
112 MAXIMES ET PENSEES
se soutient par des choses étrangères à lui, les
pensions qu'on exige pour lui des Opéras-comiques
de province, la permission d'aller du parterre aux
foyers, etc.. De même, l'Académie se soutient par
tous les avantages qu'elle procure. Elle ressemble à
la Cidalise de Gresset :
Ayez-la, c'est d'abord ce que vous lui devez.
Et vous l'estimerez après, si vous pouvez,
Lorsque M. le duc de Richelieu fut reçu de
l'Académie françoise, on loua beaucoup son dis-
cours. On lui disoit un jour dans une grande
assemblée que le ton en étoit parfait, plein de
grâce et de facilité; que les gens de lettres écri-
voient plus correctement peut-être, mais non pas
avec cet agrément. « Je vous remercie. Messieurs,
dit le jeune duc, et je suis charmé de ce que vous
me dites. Il ne me reste plus qu'à vous apprendre
que mon discours est de M. Roy, et je lui ferai
mon compliment de ce qu'il possède le bon ton de
la cour. »
Des Savans et des Gens de lettres.
y a une certaine énergie ai
dente.
,r, mère ou compagne nécessaire de telle
Î^S K^^ espèce de talens, laquelle pour l'ordi-
^^-^■'^"^^'■'^-^''■'naire condamne ceux qui les possè-
dent au malheur non pas d'être sans morale, de
n'avoir pas de très-beaux mouvemens, mais de se
livrer fréquemment à des écarts qui supposeroient
l'absence de toute morale. C'est une âpreté dévo-
rante dont ils ne sont pas maîtres et qui les rend
très-odieux. On s'afflige en songeant que Pope
et Swift en Angleterre, Voltaire et Rousseau en
France, jugés non par la haine, non par la jalousie,
mais par l'équité, par la bienveillance, sur la foi
des faits attestés ou avoués par leurs amis et par
leurs admirateurs, seroient atteints et convaincus
d'actions très-condamnables, de sentimens quel-
quefois très-pervers. O altitudo!
On a observé que les écrivains en physique,
histoire naturelle, physiologie, chimie, étoient
ordinairement des hommes d'un caractère doux,
Chamfort. I i5
114 MAXIMES ET PENSEES
égal, et, ea général, heureux; qu'au contraire les
écrivains de politique, de législation , même de
morale, étoient d'une humeur triste, mélancoli-
que, etc. Rien de plus simple : les uns étudient la
nature, les autres la société ; les uns contemplent
l'ouvrage du grand Etre, les autres arrêtent leurs
regards sur l'ouvrage de l'homme. Les résultais
doivent être différens.
Si l'on examinoit avec soin l'assemblage de
qualités rares de l'esprit et de l'âme qu'il faut pour
juger, sentir et apprécier les bons vers : le tact, la
délicatesse des organes, de l'oreille et de l'intelli-
gence, etc., on se convaincroit que, malgré les
prétentions de toutes les classes de la société à
juger les ouvrages d'agrément, les poètes ont dans
le fait encore moms de vrais juges que les géomè-
tres. Alors les poètes, comptant le public pour
rien et ne s'occupant que des connoisseurs ,,
feroient à l'égard de leurs ouvrages ce que le fa-
meux mathématicien Viète faisoit à l'égard des
siens dans un temps où l'étude des mathématiques-
étoit moins répandue qu'aujourd'hui. Il n'en tiroit
qu'un petit nombre d'exemplaires qu'il faisoit dis-
tribuer à ceux qui pouvoient l'entendre et jouir de
son livre ou s'en aider. Quant aux autres, il n'y
pensoit pas. Mais Viète étoit riche, et la plupart
des poètes sont pauvres. Puis un géomètre a peut-
LITTERAIRES Il5
être moins de vanité qu'un poëte, ou, s'il en a
autant, il doit la calculer mieux.
Il y a des hommes chez qui Vesprit (cet instru-
ment applicable à tout) n'est qu'un talent, par
lequel ils semblent dominés, qu'ils ne gouvernent
pas, et qui n'est point aux ordres de leur raison.
Quand un homme aimable ambitionne le petit
avantage de plaire à d'autres qu'à ses amis,
comme le font tant d'hommes, surtout des gens de
lettres, pour qui plaire est comme un métier, il est
clair qu'ils ne peuvent y être portés que par un
motif d'intérêt ou de vanité. Il faut qu'ils choisis-
sent entre le rôle d'une courtisane et celui d'une
coquette, ou, si l'on veut, d'un comédien
L'homme qui se rend aimable pour une société,
parce qu'il s'y plaît, est le seul qui joue le rôle
d'un honnête homme.
Quelqu'un a dit que de prendre sur les anciens,
c'étoit pirater au delà de la ligne; mais que de
piller les modernes, c'étoit filouter au coin des
rues.
Les vers ajoutent de l'esprit à la pensée de
l'homme qui en a quelquefois assez peu, et c'est
ce qu'on appelle talent. Souvent ils ôtent de l'es-
Ilb MAXIMES ET PENSEES
prit à la pensée de celui qui a beaucoup d'esprit,
et c'est la meilleure preuve de l'absence du talent
pour les vers.
La plupart des livres d'à présent ont l'air d'avoir
été faits en un jour avec des livres lus de la veille..
Le bon goût, le tact et le bon ton ont plus de
rapport que n'affectent de le croire les gens de
lettres. Le tact, c'est le bon goût appliqué au
maintien et à la conduite; le bon ton, c'est le bon
goût appliqué aux discours et à la conversation.
C'est une remarque excellente d'Aristote, dans
sa Rhétorique , que toute métaphore fondée sur
l'analogie doit être également juste dans le sens
renversé. Ainsi, l'on a dit de la vieillesse qu'elle
est l'hiver de la vie ; renversez la métaphore, et vous
la trouverez également juste, en disant que l'hiver
est la vieillesse de l'année.
Pour être un grand homme dans les lettres, ou
du moins opérer une révolution sensible, il faut,
comme dans l'ordre politique, trouver tout préparé
et naître à propos.
Les grands seigneurs et les beaux esprits, deux
classes qui se recherchent mutuellement, veulent
' LITTERAIRES II7
unir deux espèces d'hommes dont les uns font un
peu plus de poussière et les autres un peu plus de
bruit.
Les gens de lettres aiment ceux qu'ils amusent,
comme les voyageurs aiment ceux qu'ils étonnent.
Qu'est-ce que c'est qu'un homme de lettres qui
n'est pas rehaussé par son caractère, par le mérite
de ses amis et par un peu d'aisance? Si ce dernier
avantage lui manque au point qu'il soit hors d'état
de vivre convenablement dans la société où son
mérite l'appelle, qu'a-t-il besoin du monde? Son
seul parti n'est-il pas de se choisir une retraite où
il puisse cultiver en paix son âme, son caractère et
sa raison? Faut-il qu'il porte le poids de la société
sans recueillir un seul des avantages qu'elle procure
aux autres classes de citoyens'' Plus d'un homme
de lettres, forcé de prendre ce parti, y a trouvé le
bonheur qu'il eût cherché ailleurs vainement. C'est
celui-là qui peut dire qu'en lui refusant tout on lui
a tout donné. Dans combien d'occasions ne peut-
on pas répéter le mot de Thémistocle : « Hélas!
nous périssions si nous n'eussions péri ! »
On dit et on répète, après avoir lu quelque
ouvrage qui respire la vertu : « C'est dommage que
les auteurs ne se peignent pas dans leurs écrits, et
Il8 MAXIMES ET PENSEES
qu'on ne puisse pas conclure d'un pareil ouvrage
que l'auteur est ce qu'il paroît être. « Il est vrai que
beaucoup d'exemples autorisent cette pensée; mais
j'ai remarqué qu'on fait souvent cette réflexion
pour se dispenser d'honorer les vertus dont on
trouve l'image dans les écrits d'un honnête homme.
Un auteur homme de goût est, parmi ce public
blasé, ce qu'une jeune femme est au milieu d'un
cercle de vieux libertins.
Le travail du poëte, et souvent de l'homme de
lettres, lui est bien peu fructueux à lui-même ; et,
de la part du public, il se trouve placé entre le
Grand merci et le Va te promener. Sa fortune se
réduit à jouir de lui-même et du temps.
Le repos d'un écrivain qui a fait de bons ouvra-
ges est plus respecté du public que la fécondité
active d'un auteur qui multiplie les ouvrages
médiocres. C'est ainsi que le silence d'un homme
connu pour bien parler impose beaucoup plus
que le bavardage d'un homme qui ne parle pas
mal.
Ce qui fait le succès de quantité d'ouvrages est
le rapport qui se trouve entre la médiocrité des
LITTERAIRES II9
idées de l'auteur et la médiocrité des idées du
public.
Il en est un peu des réputations littéraires, et
surtout des réputations de théâtre, comme des for-
tunes qu'on faisoit autrefois dans les îles. Il suffi-
soit presque autrefois d'y passer pour parvenir à
une grande richesse; mais ces grandes fortunes
mêmes ont nui à celles de la génération suivante :
les terres épuisées n'ont plus rendu si abondam-
ment.
De nos jours, les succès de théâtre et de litté-
rature ne sont guère que des ridicules.
C'est la philosophie qui découvre les vertus
utiles de la morale et de la politique ; c'est l'élo-
quence qui les rend populaires ; c'est la poésie
qui les rend pour ainsi dire proverbiales.
Un sophiste éloquent, mais dénué de logique,
est à un orateur philosophe ce qu'un faiseur de
tours de passe-passe est à un mathématicien, ce
que Pinetti est à Archimède.
On n'est point un homme d'esprit pour avoir
beaucoup d'idées, comme on n'est pas un bon
général pour avoir beaucoup de soldats.
On se fâche souvent contre les sens de lettres
I20 MAXIMES ET PENSEES
qui se retirent du monde; on veut qu'ils prennent
intérêt à la société dont ils ne tirent presque point
d'avantage; on veut les forcer d'assister éternelle-
ment aux tirages d'une loterie où ils n'ont point
de billet.
Ce qu'on sait le mieux, c'est i" ce qu'on a
deviné; 2° ce qu'on a appris par l'expérience des
hommes et des choses; 3° ce qu'on a appris non
dans les livres, mais par les livres, c'est-à-dire
par les réflexions qu'ils font faire; 4° ce qu'on a
appris dans les livres ou avec des maîtres
Les gens de lettres, surtout les poètes, sont
comme les paons, à qui on jette mesquinement
quelques graines dans leur loge, et qu'on en tire
quelquefois pour les voir étaler leur queue; tandis
que les coqs, les poules, les canards et les dindons
se promènent librement dans la basse-cour, et
remplissent leur jabot tout à leur aise.
Les succès produisent les succès, comme l'argent
produit l'argent.
Il y a des livres que l'homme qui a le plus d'es-
prit ne sauroit faire sans un carrosse de remise,
c'est-à-dire sans aller consulter les hommes , les
choses, les bibliothèques, les manuscrits, etc.
LITTERAIRES 121
Il est presque impossible qu'un philosophe,
qu'un poëte, ne soient pas misanthropes : i° parce
que leur goût et leur talent les portent à l'obser-
vation de la société , étude qui afflige constam-
ment le cœur; 2° parce que, leur talent n'étant
presque jamais récompensé par la société (heureux
même s'il n'est pas puni), ce sujet d'affliction ne
fait que redoubler leur penchant à la mélancolie.
Les mémoires que les gens en place ou les gens
de lettres, même ceux qui ont passé pour les plus
modestes, laissent pour servir à l'histoire de leur
vie, trahissent leur vanité secrète , et rappellent
l'histoire de ce saint qui avoit laissé cent mille écus
pour servir à sa canonisation.
C'est un grand malheur de perdre par notre
caractère les droits que nos talens nous donnent
sur la société.
La vanité des gens du monde se sert habilement
de la vanité des gens de lettres. Ceux-ci ont fait
plus d'une réputation qui a mené à de grandes
places. D'abord, de part et d'autre, ce n'est que
du vent; mais les intrigans adroits enflent de ce
vent les voiles de leur fortune.
Les économistes sont des chirurgiens qui ont
16
122 MAXIMES ET PENSEES
un excellent scalpel et un bistouri ébréché, opérant
à merveille sur le mort et martyrisant le vif.
Les gens de lettres sont rarement jaloux des ré-
putations, quelquefois exagérées, qu'ont certains
ouvrages de gens de la cour ; ils regardent ces
succès comme les honnêtes femmes regardent la
fortune des filles.
Le théâtre renforce les mœurs ou les change. Il
faut de nécessité qu'il corrige le ridicule ou qu'il
le propage. On l'a vu, en France, opérer tour à
tour ces deux effets.
Plusieurs gens de lettres croient aimer la gloire,
et n'aiment que la vanité. Ce sont deux choses
bien différentes et même opposées : car l'une est
une petite passion, l'autre en est une grande. Il y
a, entre la vanité et la gloire, la différence qu^il y
a entre un fat et un amant.
La postérité ne considère les gens de lettres que
par leurs ouvrages, et non par leurs places. Plutôt
ce qu'ils ont fait que ce qu'ils ont été, semble être
sa devise.
Spéron-Spéroni explique très-bien comment un
auteur qui s'énonce très-clairement pour lui-même
LITTÉRAIRES 123
est quelquefois obscur pour son lecteur : « C'est,
dit-il, que l'auteur va de la pensée à l'expression,
et que le lecteur va de l'expression à la pensée. »
Les ouvrages qu'un auteur fait avec plaisir sont
souvent les meilleurs, comme les enfans de l'amour
sont les plus beaux.
En fait de beaux-arts, et même en beaucoup
d'autres choses , on ne sait bien que ce que l'on
n'a point appris.
Le peintre donne une âme à une figure, et le
poëte prête une figure à un sentiment et à une idée.
Quand La Fontaine est mauvais, c'est qu'il est
négligé; quand La Motte Test, c'est qu'il est re-
cherché.
La perfection d'une comédie de caractère con-
sisteroit à disposer l'intrigue de façon que cette
intrigue ne pût servir à aucune autre pièce. Peut-
être n'y a-t-il au théâtre que celle du Tartufe qui
pût supporter cette épreuve.
J'ai vu à Anvers, dans une des principales
églises, le tombeau du célèbre imprimeur Plantin,
orné de tableaux superbes, ouvrages de Rubens,
124 MAXIMES ET PENSEES
et consacrés à sa mémoire. Je me suis rappelé, à
cette vue, que les Estienne (Henri et Robert), qui,
par leur érudition grecque et latine, ont rendu les
plus grands services aux lettres, traînèrent en
France une vieillesse misérable, et que Charles
Estienne, leur successeur, mourut à l'hôpital, après
avoir contribué presque autant qu'eux aux progrès
de la littérature. Je me suis rappelé qu'André
Duchêne, qu'on peut regarder comme le père de
l'histoire de France, fut chassé de Paris par la
misère, et réduit à se réfugier dans une petite
ferme qu'il avoit en Champagne ; il se tua en
tombant du haut d'une charrette chargée de foin,
à une hauteur immense. Adrien de Valois, créateur
de l'histoire métallique, n'eut guère une meilleure
destinée. Samson, le père de la géographie, alloit,
à soixante-dix ans, faire des leçons à pied pour
vivre. Tout le monde sait la destinée des Duryer,
Tristan, Maynard, et de tant d'autres. Corneille
manquoit de bouillon à sa dernière maladie. La
Fontaine n'étoit guère mieux. Si Racine, Boileau,
Molière et Quinault eurent un sort plus heureux,
c'est que leurs talens étoient consacrés au roi plus
particulièrement. L'abbé de Longuerue, qui rap-
porte et rapproche plusieurs de ces anecdotes sur
le triste sort des hommes de lettres illustres en
France, ajoute : « C'est ainsi qu'on en a toujours
usé dans ce misérable pays. Cette liste si célèbre
LITTÉRAIRES 125
des gens de lettres que le roi vouloit pensionner,
et qui fut présentée à Colbert, étoit l'ouvrage de
Chapelain, Perrault, Tallemant, l'abbé Gallois,
qui omirent ceux de leurs confrères qu'ils haïs-
soient; tandis qu'ils y placèrent les noms de plu-
sieurs savans étrangers, sachant très-bien que le
roi et le ministre seroient plus flattés de se faire
louer à quatre cents lieues de Paris. »
Il y a des gens qui mettent leurs livres dans
leur bibliothèque, mais M... met sa bibliothèque
dans ses livres. (Dit d'un faiseur de livres faits.)
On demandoit à l'abbé Trublet combien de
temps il mettoit à faire un livre. Il répondit :
« C'est selon le monde qu'on voit. »
Une petite fille disoit à M..., auteur d'un livre
sur l'Italie : « Monsieur, vous avez fait un livre sur
l'Italie? — Oui, Mademoiselle. — Y avez-vous
été? — Certainement. — Est-ce avant ou après
votre voyage que vous avez fait votre livre? »
M..., à qui on demandoit fréquemment la lec-
ture de ses vers, et qui s'en impatientoit, disoit
qu'en commençant cette lecture il se rappeloit
toujours ce qu'un charlatan du pont Neuf disoit à
son singe en commençant ses jeux : « Allons,
126 MAXIMES ET PENSEES
mon cher Bertrand, il n'est pas question ici de
s'amuser. Il nous faut divertir l'honorable compa-
gnie. »
Il j a une mélancolie qui tient à la grandeur dj
l'esprit,
* Notre langue est, dit-on, amie de la clarté.
C'est donc, observe M..., parce qu'on aime le
plus ce dont on a le plus besoin : car, si elle n'est
maniée très-adroitement, elle est toujours prête à
tomber dans l'obscurité.
* Il faut que l'homme à imagination, que le
poëte, croie en Dieu :
Ab Jove principiuin Musis.
Ou :
Ab Jove Musarum primordia.
* Les vers, disait M..., sont comme les olives,
qui gagnent toujours à être pochetées.
* Les sots, les ignorants, les gens malhonnêtes,
vont prendre dans les livres des idées, de la raison,
des sentiments nobles et élevés, comme une femme
riche va chez un marchand d'étoffes s'assortir pour
son argent.
LITTERAIRES 127
* M..., disoit que les érudits sont les paveurs
du temple de la Gloire.
* M..., vrai pédant grec, à qui un fait moderne
rappelle un trait d'antiquité. Vous lui parlez de
l'abbé Terrai, et il vous cite Aristide, contrôleur
général des Athéniens.
* On offrait à un homme de lettres la collec-
tion du Mercure à trois sols le volume, « J'attends
le rabais », répondit-il.
DES ACADEMIES
Ouvrage que Mirabeau devait lire à V Assemblée na-
tionale sous le nom de Rapport sur les Acadé-
mies, en I 791 .
Messieurs,
^^â 'assemblée nationale a invité les diffé-
^>!è^^rens corps connus sous le nom d'aca-
^û ^^^ï^^démies à lui présenter le plan de
„Kct^^^ constitution que chacun d'eux juge-
roit à propos de se donner. Elle avoit supposé,
comme la convenance l'exigeoit, que les académies
chercheroient à mettre l'esprit de leur constitution
particulière en accord avec l'esprit de la constitu-
tion générale. Je n'examinerai pas comment cette
intention de l'Assemblée a été remplie par chacun
de ces corps : je me bornerai à vous présenter
quelques idées sur l'Académie Françoise, dont la
constitution plus connue, plus simple, plus facile
à saisir, donne lieu à des rapprochemens assez
MAXIMES ET PENSEES LITTERAIRES I29
étendus, qui s'appliquent comme d'eux-mêmes à
presque toutes les corporations littéraires, surtout
dans les gouvernemens libres. Qu'est-ce que l'Aca-
démie française ? à quoi sert-elle ? C'est ce qu'on
demandoit fréquemment, même sous l'ancien ré-
gime; et cette seule observation paroît indiquer la
réponse qu'on doit faire à ces questions sous le
régime nouveau. Mais, avant de prononcer une
réponse définitive, rappelons les principaux faits.
Ils sont notoires, ils sont avérés; ils ont été re-
cueillis religieusement par les historiens de cette
compagnie; ils ne seront pas contestés : on ne ré-
cuse pas pour témoins ses panégyristes.
Quelques gens de lettres, plus ou moins estimés
de leur temps, s'assembloient librement et par goût
chez un de leurs amis, qu'ils élurent leur secrétaire.
Cette société, composée seulement de neuf ou dix
hommes, subsista inconnue pendant quatre ou cinq
ans, et servit à faire naître différens ouvrages que
plusieurs d'entre eux donnèrent au public. Riche-
lieu, alors tout-puissant, eut connoissance de celte
association. Cet homme, qu'un instinct rare éclai-
roit sur tous les moyens d'étendre ou de perfec-
tionner le despotisme, voulut influer sur cette
société naissante : il lui offrit sa protection et lui
proposa de la constituer sous autorite publique.
Ces offres, qui affligèrent les associes, étoient à
peu près des ordres; il fallut fléchir. Placés entre
Chainfort. I. i -j
l3o MAXIMES ET PENSEES
sa protection et sa haine, leur choix pouvoit-il être
douteux? Après d'assez vives oppositions du Par
lement, toujours inquiet, toujours en garde contre
tout ce qui venoit de RicheHeu; après plusieurs
débats sur les limites de la compétence académique
(que le Parlement, dans ses alarmes, bornoit avec
soin aux mots, à la langue, enfin, mais avec beau-
coup de peine, à l'éloquence), l'Académie fut con-
stituée légalement sous la protection du cardinal,
à peu près telle qu'elle Ta été depuis sous celle
du roi. Cette nécessité de remplir le nombre de
quarante fit entrer dans la compagnie plusieurs
gens de lettres obscurs, dont le public n'apprit les
noms que par leur admission dans ce corps : ridi-
cule qui s'est depuis renouvelé plus d'une fois. Il
fallut même, pour compléter le nombre acadé-
mique, recourir à l'adoption de quelques gens en
place et d'un assez grand nombre de gens de la
cour. On admira, on vanta, et on a trop vanté de-
puis, ce mélange de courtisans et de gens de lettres,
cette prétendue égalité académique qui, dans
l'inégalité politique et civile , ne pouvoit être
qu'une vraie dérision. Et qui ne voit que mettre
alors Racine à côté d'un cardinal étoit aussi impos-
sible qu'il le seroit aujourd'hui de mettre un car-
dinal à côté de Racine? Quoi qu'il en soit, il est
certain que cet étrange amalgame fut regardé alors
comme un service rendu aux lettres : c'étoit peut-
L I T r F. R A I R E S
être, en effet, hâter de quelques momens l'opinion
publique, que le progrès des idées et le cours na-
turel des choses auroient sûrement formée quelques
années plus tard ; mais enfin la nation, déjà disposée
à sentir le mérite, ne l'étoit pas encore à le mettre
à sa place. Elle estima davantage Patru en voyant
à côté de lui un homme décoré; et cependant Pa-
tru, philosophe quoique avocat, faisoit sa jolie fable
d'Apollon, qui, après avoir rompu une des cordes
de sa lyre, y substitua un fîl d'or. Le dieu s'aper-
çut que la lyre n'y gagnoit pas; il y remit une
corde vulgan-e , et l'instrument redevint la lyre
d'Apollon.
Cette idée de Patru étoit celle des premiers
académiciens, qui tous regrettoient le temps qu'ils
appeloient leur âge d'or, ce temps oii, inconnus et
volontairement assemblés, ils se communiquoient
leurs pensées, leurs ouvrages et leurs projets, dans
la simplicité d'un commerce vraiment philosophique
et littéraire. Ces regrets subsistèrent pendant toute
la vie de ces premiers fondateurs, et même dans le
plus grand éclat de l'Académie françoise. N'en
soyons pas surpris : c'est qu'ils étoient alors ce
qu'ils dévoient être, des hommes libres, librement
réunis pour s'éclairer, avantages qu'ils ne retrou-
vojent pas dans une association plus brillante.
C'est pourtant de cet éclat que les partisans de
l'Académie (ils sont en petit nombre) tirent les ar-
l32 MAXIMES ET PENSEES
gumens qu'ils rebattent pour sa défense. Tous leurs
sophismes roulent sur une seule supposition. Il
commencent par admettre que la gloire de tous les
écrivains célèbres du siècle de Louis XIV, honorés
du titre d'académiciens, forme la splendeur acadé-
mique et le patrimoine de l'Académie. En partant
de cette supposition, voici comme ils raisonnent.
Un écrivain célèbre a été de l'Académie ou il n'en
a pas été. S'il en a été, tout va bien : il n'a com-
posé ses ouvrages que pour en être ; sans l'existence
de l'Académie, il ne les eût pas faits, du moins il
n'en eût fait que de médiocres : cela est démon-
tré. Si, au contraire, il n'a pas été de TAcadémie,
rien de plus simple encore : il brûloit du désir d'en
être; tout ce qu'il a fait de bon, il l'a fait pour en
être : c'est un malheur qu'il n'en ait pas été; mais
sans ce but il n'eût rien fait du tout, ou du moins
il n'eût rien fait que de mauvais. Heureusement on
n'ajoute point que, sans l'Académie, cet écrivain ne
seroit jamais né. La conclusion de ce puissant di-
lemme est que les lettres et les académies sont une
seule et même chose; que détruire les académies,
c'est détruire l'espérance de voir renaître les grands
écrivains; c'est se montrer ennemi des lettres; en
un mot, c'est être un barbare, un vandale.
Certes, si on leur passe que, sans cette institu-
tion , la nation n'eût point possédé les hommes
prodigieux dont les noms décorent la liste de
LITTÉRAIRES l33
rAcadémie ; si leurs écrits forment, non pas une
gloire nationale, mais une gloire académique, on
n'a point assez vanté l'Académie françoise, on est
trop ingrat envers elle. Uimmorialité , cette devise
du génie, qui pouvoit paroître trop fastueuse pour
une corporation, n'est plus alors qu'une dénomi-
nation juste, un honneur mérité, une dette que l'Aca-
démie acquittoit envers elle-même.
Mais qui peut admettre, de nos jours et dans
l'Assemblée nationale, que la gloire de tous ces
grands hommes soit une propriété académique ?
Qui croira que Corneille, composant le C/c? près
du berceau de l'Académie naissante, n'ait écrit en-
suite Horace, Cinna, Polyeude, que pour obtenir
l'honneur d'être assis entre MM. Granier, Salomon,
Porchères, Colomby, Boissat, Bardin , Baudouin,
Balesdens , noms obscurs, inconnus aux plus
lettrés d'entre vous, et même échappés à la satire
contemporaine? On rougiroit d'insister sur une si
absurde prétention.
Mais, pour confondre par le détail des faits
ceux qui lisent sans réfléchir, revenons à ce siècle
de Louis XIV, cette époque si brillante de la litté-
rature françoise, dont on confond mal à propos la
gloire avec celle de l'Académie.
Est-ce pour entrer à l'Académie françoise qu'il
fit ses chefs-d'œuvre, ce Racine provoqué, excité
dès sa première jeunesse par les bienfaits immédiats
î34 MAXIMES ET PENSEES
de Louis XIV; ce Racine qui, après avoir composé
Andromaquc, Britannicus , Bérénice^ Bajazet, Mi-
thridate ^ n'étoit pas encore de l'Académie, et n'y
fut admis que par la volonté connue de Louis XIV,
par un mot du roi équivalant à une lettre de ca-
chet ? Je veux que vous en soyez. Il en fut.
Espéroit-il être de l'Académie, ce Boileau dont
les premiers ouvrages furent la satire de tant d'aca-
démiciens; qui croyoit s'être fermé les portes de
cette compagnie, ainsi qu'il le fait entendre dans
son discours de réception, et qui, comme Racine,
n'y fut admis que par le développement de l'in-
fluence royale?
Étoit-il excité par un tel mobile , ce Molière
que son état de comédien empêchoit même d'y
prétendre, et qui n'en multiplia pas moins d'année
en année les chefs-d'œuvre de son théâtre, devenu
presque le seul théâtre comique de la nation ?
Pense-t-on que l'Académie ait été aussi l'ambi-
tion du bon La Fontaine, que la liberté de ses
contes, et surtout son attachement à Fouquet,
sembloient exclure de ce corps ; qui n'y fut admis
qu'à soixante-trois ans, après la mort de Colbert,
persécuteur de Fouquet? et pense-t-on que, sans
l'Académie, le fablier n'eût point porté de fables?
Faut-il parler d'un homme moins illustre , mais
distingué par un talent nouveau? Qui croira que
l'auteur d'Atys et d'Armide, comblé des bienfaits de
LITTÉRAIRES l35
Louis XIV, n'eût point, sans la perspective aca-
démique, fait des opéras pour un roi qui en payoit
si bien les prologues ?
Voilà pour les poètes ; et, quant aux grands écri-
vains en prose, est-il vrai que Bossuet, Fléchier,
Fénelon, Massillon, appelés par leurs talens aux
premières dignités de l'Église, avoient besoin de ce
foible aiguillon pour remplir la destinée de leur
génie ? Dans cette liste des seuls vrais grands écri-
vains du siècle de Louis XIV, nous n'avons omis
que le philosophe La Bruj'ère, qui sans doute ne
pensa pas plus à l'Académie, en composant ses Ca-
ractères, que La Rochefoucauld en écrivant ses
Maximes. Nous ne parlons pas de ceux à qui
cette idée fut toujours étrangère : Pascal, Nicole,
Arnaud, Bourdaloue , Malebranche , que leurs
habitudes ou leur état en écartoient absolu-
ment. Il est inutile d'ajouter à cette liste de noms
si respectables plusieurs noms profanes, mais célè-
bres, tels que ceux de Dufresny, Le Sage, et quel-
ques autres, poètes comiques qui n'ont jamais
prétendu à ce singulier honneur, ne l'ayant pas
vu du côté plaisant, quoiqu'ils en fussent bien
les maîtres.
Après avoir éclairci des idées dont la confusion
faisoit attribuer à l'existence d'un corps la gloire
de ses plus illustres membres, examinons l'Académie
dans ce qui la constitue comme corporation, c'est-
l36 MAXIMES ET PENSEES
à-dire dans ses travaux, dans ses fonctions et dans
l'esprit général qui en résulte.
Le premier et le plus important de ses travaux
est son Dictionnaire. On sait combien il est mé-
diocre, incomplet, insuffisant; combien il indigne
tous les gens de goût, combien il révoltoit surtout
Voltaire, qui, dans le court espace qu'il passa dans
la capitale avant sa mort, ne put venir à l'Académie
sans proposer un nouveau plan, préliminaire indis-
pensable, et sans lequel il est impossible de rien
faire de bon. On sait qu'à dessein de triompher de
la lenteur ordinaire aux corporations, il profita de
l'ascendant qu'il exerçoit à l'Académie pour exiger
qu'on mît sur-le-champ la main à l'œuvre, prit lui-
même la première lettre, distribua les autres à
ses confrères, et s'excéda d'un travail qui peut-être
hâta sa fin. Il vouloit apporter le premier sa tâche
à l'Académie, et obtenir de l'émulation particulière
ce que lui eût refusé l'indifîérence générale. Il
mourut, et avec lui tomba l'effervescence momen-
tanée qu'il avoit communiquée à l'Académie. Il
résulta seulement de ses critiques sévères et âpres
que les dernières lettres du Dictionnaire furent
travaillées avec plus de soin; qu'en revenant en-
suite avec plus d'attention sur les premières, les
académiciens, étonnés des fautes, des omissions,
des négligences de leurs devanciers, sentirent que
le Dictionnaire ne pouvoir, en cet état, être livré
LITTÉRAIRES iSy
au public sans exposer l'Académie aux plus grands
reproches, et surtout au ridicule, châtiment qu'elle
redoute toujours, malgré l'habitude. Voilà ce qui
reculera de plusieurs années encore la nouvelle
édition d'un ouvrage qui paroissoit à peu près tous
les vingt ans, et qui se trouve en retard précisé-
ment à l'époque actuelle, comme pour attester
victorieusement l'inutilité de cette compagnie.
Vingt ans, trente ans pour un dictionnaire ! Et
autrefois un seul homme, même un académicien,
Furetière, en un moindre espace de temps, de-
vança l'Académie dans la publication d'un Diction-
naire qu'il avoit fait lui seul, ce qui occasionna
entre l'Académie et Fauteur un procès fort diver-
tissant, où le public ne fut pas pour elle. Il existe
un Dictionnaire anglois, le meilleur de tous : c'est
le travail du célèbre Johnson, qui n'en a pas moins
publié, avant et après ce Dictionnaire, quelques
ouvrages estimés en Europe. Plusieurs autres
exemples, choisis parmi nos littérateurs, montrent
assez ce que peut en ce genre le travail obstiné
d'un seul homme : Moréri, mort à vingt-neuf ans,
après la première édition du Dictionnaire qui porte
son nom; Thomas Corneille, épuisé de travaux,
commençant et finissant dans sa vieillesse deux
grands ouvrages de ce genre, le Dictionnaire des
Sciences et des Arts, en trois volumes in-folio, un
Dictionnaire géographique, en trois autres volumes
l38 MAXIMES ET PENSEES
in-folio; La Martinière, auteur d'un Dictionnaire
de Géographie, en dix volumes toujours in-folio;
enfin Bajle, auteur d^un Dictionnaire en quatre
volumes in-folio, où se trouvent cent articles pleins
de génie, luxe dont les in-folio sont absolument
dispensés, et dont s'est préservé surtout le Diction-
naire de l'Académie.
Et pourtant là se bornent tous ses travaux. Les
statuts de ce corps, enregistrés au Parlement, lui
permettoient (c'étoit presque lui commander) de
donner au public une grammaire et une rhétori-
que : voilà tout, car, pour une logique, les parle-
mens ne l'eussent pas permis. Eh bien! où sont
cette grammaire et cette rhétorique? Elles n'ont
jamais paru. Cependant, auprès de la capitale, aux
portes de l'Académie, un petit nombre de solitaires,
MM. de Port-Royal, indépendamment de la tra-
duction de plusieurs auteurs anciens, travail qui ne
sort point du département des mots, et qui par
conséquent étoit permis à l'Académie françoise,
MM. de Port-Royal publièrent une Grammaire
universelle raisonnée, la meilleure qui ait existé
pendant cent ans; ils publièrent non pas une rhé-
torique, mais une logique : car, pour ceux-ci, le
Parlement, un peu complice de leur jansénisme,
vouloit bien leur permettre de raisonner, et l'Art
de raisonner fut même le titre qu'ils donnèrent à
leur logique. Observons qu'en même temps ces
LITTÉRAIRES lS<)
auteurs solitaires donnoient, sous leur nom parti-
culier, différens ouvrages qui ne sont point encore
tombés dans l'oubli.
Passons au second devoir académique, les dis-
cours de réception. Je ne vous présenterai pas,
Messieurs, le tableau d'un ridicule usé. Sur ce
point, les amis, les ennemis de ce corps, parlent
absolument le même langage. Un homme loué,
en sa présence, par un autre homme qu'il vient de
louer lui-même en présence du public, qui s'amuse
de tous les deux; un éloge trivial de l'Académie et
de ses protecteurs : voilà le malheureux canevas
oîi , dans ces derniers temps , quelques hommes
célèbres, quelques littérateurs distingués, ont semé
des fleurs, écloses non de leur sujet, mais de leur
talent. D'autres, usant de la ressource de Simonide
et se jetant à côté, y ont joint quelques disserta-
tions de philosophie ou de littérature, qui seroient
ailleurs mieux placées. Sans doute, quelque main
amie des lettres, séparant et rassemblant ces mor-
ceaux, prendra soin de les soustraire à l'oubli dans
lequel le recueil académique va s'enfonçant de
tout le poids de son immortalité.
Nous avons vu des étrangers illustres, confon-
dant, ainsi que tant de François, les ouvrages des
académiciens célèbres et les travaux de la corpo-
ration appelée Académie française, se procurer avec
empressement le recueil académique, seule pro-
140 MAXIMES ET PENSEES
priété véritable de ce corps, outre son Diction-
naire, et, après avoir parcouru ce volumineux
verbiage, cédant à la colère qui suit l'espérance
trompée, rejeter avec mépris cette insipide collec-
tion.
Ici se présente, Messieurs, une objection dont
on croira vous embarrasser. On vous dira que ces
hommes célèbres ont déclaré dans leur discours de
réception qu'ils ont désiré vivement l'Académie,
et que ce prix glorieux étoit en secret l*âme de
leurs travaux. Il est vrai qu'ils le disent presque
tous, et comment s'en dispenseroient-ils, puisque
Corneille et Racine l'ont dit? Corneille, qui ne
connut d'abord l'Académie que par la critique
qu'elle fît d'un de ses chefs-d'œuvre; Racine,
admis chez elle en dépit d'elle, comme on .sait î
Qui ne voit d'ailleurs que cette misérable formule
est une ressource contre la pauvreté du sujet, et
trop souvent contre la nullité du prédécesseur au-
quel on doit un tribut d'éloges ?
A l'égard de l'empressement réel que des grands
hommes ont quelquefois montré pour le fauteuil
académique, il faut savoir que l'opinion, qui sous
le despotisme se pervertit si facilement, avoit fait
une sorte de devoir aux gens de lettres un peu
distingués d'être admis dans ce corps; et la mode,
souveraine absolue chez une nation sans principes,
la mode, ajoutant son prestige aux illusions d'une
LITTERAIRES I4I
vanité qu'elle aiguillonnoit encore, perpétuoit l'é-
garement de l'opinion publique. Le gouvernement
le savoit bien, et savoit bien aussi l'art de s'en
prévaloir. Avec quelle adresse habile, éclairée par
l'instinct des tyrans, n'entretenoit-il pas le pré-
jugé qui, en subjuguant les gens de lettres, les en-
chaînoit sous sa main ! Une absurde prévention
avoit réglé, avoit établi que les places acadé-
miques donnoient seules aux lettrés ce que l'or-
gueil d'alors appeloit un état : et vous savez quelle
terrible existence c'étoit que celle d'un homme
sans état; autant vouloit dire presque un homme
sans aveu : tant les idées sociales étoient justes et
saines ! Ajoutons qu'être un homme sans état ex-
posoit, il vous en souvient. Messieurs, à d'assez
grandes vexations. Il falloit donc tenir à des corps,
à des compagnies : car, là où la société générale
ne vous protège point, il faut bien être protégé
par des sociétés partielles; là où l'on n'a pas de
concitoyens, il faut bien avoir des confrères; là où
la force publique n'étoit souvent qu'une violence
légale, il convenoit de se mettre en force pour la
repousser. Quand les voyageurs redoutent les
grands chemins, ils se réunissent en caravane.
Tels étoient les principaux motifs qui faisoient
rechercher l'admission dans ces corps ; et, le gouver-
nement refusant quelquefois cet honneur à des
hommes célèbres dont les principes l'inquiétoient,
142 MAXIMES ET PENSEES
ces écrivains, aigris d'un refus qui exagéroit un
moment à leurs yeux l'importance du fauteuil,
mettoient leur amour-propre à triompher du gouver-
nement. On en a vu plusieurs exemples; et voilà
ce qui explique des contradictions inexplicables
pour quiconque n'en a pas la clef.
Qui jamais s'est plus moqué, surtout s'est mieux
moqué de l'Académie françoise que le président de
Montesquieu dans ses Lettres Persanes ? Et cepen-
dant, révolté des difficultés que la cour opposoit
à sa réception académique, pour des plaisanteries
sur des objets plus sérieux, il fit faire une édition
tronquée de ces mêmes lettres où ces plaisanteries
étoient supprimées : ainsi, pour pouvoir accuser
ses ennemis d'être des calomniateurs, il le devint
lui-même, il commit un faux. II est vrai qu'en ré-
compense il eut l'honneur de s'asseoir dans cette
Académie à laquelle il avoit insulté ; et le souvenir
de ses railleries, approuvées de ses confrères comme
du public, n'empêcha pas que, dans sa harangue
de compliment, le récipiendaire n'attribuât tous
ses travaux à la sublime ambition d'être membre
de l'Académie.
On voit par les lettres de Voltaire, publiées de-
puis sa mort, le mépris dont il étoit pénétré pour
cette institution ; mais il n'en fut pas moins forcé
de subir le joug d'une opinion dépravée, et de
solliciter plusieurs années ce fauteuil, qui lui fut
LITTÉRAIRES I4J-
refusé plus d'une fois par le gouvernement. C'est
un des moyens dont se servoit la cour pour ré-
primer l'essor du génie, ei pour lui couper les ailes,
suivant l'expression de ce même Voltaire, qui re-
prochoit à d'Alembert de se les être laissé arra-
cher. De là vint que tous ceux qui depuis vou-
lurent garder leurs ailes, et à qui leur caractère,
leur fortune, leur position, permit de prendre un
parti courageux, renoncèrent aux prétentions aca-
démiques ; et ce sont ceux qui ont le plus préparé
la révolution, en prononçant nettement ce qu'on
ne dit qu'à moitié dans les académies : tels sont
Helvétius, Rousseau, Diderot, Mably, Raynal et
quelques autres. Tous ont montré hardiment leur
mépris pour ce corps, qui n'a point fait grands
ceux qui honorent sa liste, mais qui les a reçus
grands, et les a rapetisses quelquefois.
Qu'on ne nous oppose donc plus, comme un
objet d'émulation pour les gens de lettres, le désir
d'être admis dans ce corps, dont les membres les
plus célèbres se sont toujours moqués; et croyez
ce qu'ils en ont dit dans tous les temps, hors le
jour de leur réception.
Nous arrivons à la troisième fonction acadé-
mique : les complimens aux rois, reines, princes, prin-
cesses; aux cardinaux quand ils sont ministres, etc.
Vous voyez, Messieurs, par ce seul énoncé, que
cette partie des devoirs académiques est dimi-
144 MAXIMES ET PENSEES
nuée considérablement, vos décrets ne laissant
plus en France que des citoyens.
Quatrième et dernière fonction de l'Académie :
la distribution des prix d'éloquence, de poésie, et
de quelques autres fondés dans ces derniers temps.
Cette fonction, au premier coup d'œil, paroît
plus intéressante que celle des complimens, et au
fond elle ne l'est guère davantage. Cependant,
comme il est des hommes, ou malveillans ou peu
éclairés, qui nous supposeroient ennemis de la
poésie, de l'éloquence, de la littérature, si nous
supprimions ces prix, ainsi que ceux d'encourage-
ment et d'utilité, nous vous proposerons un moyen
facile d'assurer cette distribution. On ne prétendra
pas sans doute qu'une salle du Louvre soit la seule
enceinte où l'on puisse réciter des vers bons, mé-
diocres ou mauvais. On ne prétendra pas que pour
cette fonction seule il faille, contre vos principes,
soutenir un établissement public, quelque peu coû-
teux qu'il puisse être : car nous rendons cette jus-
tice à l'Académie françoise qu'elle entre pour très-
peu dans le déficit et qu'elle est la moins dispen-
dieuse de toutes les inutilités.
Puisque personne ne se permettra donc les ob-
jections absurdes que leur seul énoncé réfute suf-
fisamment, nous avons d'avance répondu à ceux
qui croient ou feignent de croire que le maintien
de ces p.ix importe à l'encouragement de la
LITTÉRAIRES 145
poésie et de l'éloquence. Mais qui ne sait ce qu'on
doit penser de l'éloquence académique? Et, puis-
qu'elle étoit mise à sa place même sous le despo-
tisme, que paroitia-t-elle bientôt auprès de l'élo-
quence vivante et animée dont vous avez mis
l'école dans le sanctuaire de la liberté publique ?
C'est ici, c'est parmi vous, Messieurs, que se for-
meront les vrais orateurs; c'est de ce foyer que
jailliront quelques étincelles qui même animeront
plus d'un grand poëte. Leur ambition ne se bor-
nera plus à quelques malheureux prix académiques,
qui à peine depuis cent ans ont fait naître quel-
ques ouvrages au-dessus du médiocre. Il ne faut
point appliquer aux temps de la liberté les idées
étroites connues aux jours de la servitude. Vous
avez assuré au génie le libre exercice et l'utile em-
ploi de ses facultés : vous lui avez fait le plus
beau des présens, vous l'avez rendu à lui; vous
l'avez mis, comme le peuple, en état de se pro-
téger lui-même. Indépendamment de ces prix que
vous laisserez subsister, la poésie ne deviendra pas
muette, et la France peut encore entendre de
beaux vers, même après messieurs de l'Académie
françoise.
Il est un autre prix plus respectable, décerné
tous les ans par le même corps d'après une fonda-
tion particulière, prix dont la conservation paroit
d'abord recommandée par sa dénomination même,
Chamfort. I. 19
146 MAXIMES ET PENSEES
la plus auguste de touies les dénominations : leprix
de la vertu.
Tel est l'intérêt attaché à l'objet de cette fon-
dation qu'au premier aperçu des inconvenances mo-
rales qui en résultent, on hésite, on s'efforce de
repousser ce sentiment pénible ; on s'afflige de la
réflexion qui le confirme ; on se fait une peine de
le communiquer et d'ébranler dans autrui les pré-
ventions favorables, mais peu réfléchies, qui pro-
tègent cette institution. Il le faut néanmoins, car
ce qui dans un régime absurde en toutes ses par-
ties paroissoit moins choquant présente tout à
coup une difformité révoltante dans un système
opposé, qui, ayant fondé sur la raison tout l'é-
difice social , doit le fortifier par elle , et l'en-
ceindre en quelque sorte du rempart de toutes les
considérations morales capables de l'aff"ermir et de
le protéger. Ne craignons donc pas d'examiner
sous cet aspect l'établissement de ce prix de vertu,
bien sûrs que, si cette fondation est utile et con-
venable, elle peut, comme la vertu, soutenir le
coup d'œil de la raison.
Et d'abord, laissant à part cette affiche, ce con-
cours périodique, ce programme d'un prix de vertu
pour l'année prochaine, je fis les termes de la fon-
dation, et je vois ce prix destiné aux vertus des
citoyens dans la classe indigente. Quoi donc !
Qu'est-ce à dire? La classe opulente a-t-elle relé-
LITTERAIRES I47
gué la vertu dans la classe des pauvres? Non, sans
doute. Elle prétend bien, comme l'autre, pouvoir
faire éclater des vertus. Elle ne veut donc pas du
prix? Non certes : ce prix est de l'or; le riche, en
l'acceptant, se croiroit avili. J'entends: il n'y en a
point assez, il ne le prendroit pas. Le riche l'ose
dire ! Et pourquoi ne le prendroit-il pas? le pauvre
le prend bien ! Payez-vous la vertu ? ou bien l'ho-
norez-vous? Vous ne la payez pas : ce n'est ni
votre prétention, ni votre espérance. Vous l'honorez
donc! Eh bien ! commencez par ne pas l'avilir en
mettant la richesse au-dessus de la vertu indigente.
O renversement de toutes les idées morales, né
de l'excès de la corruption publique et fait pour
l'accroître encore! Mesurons de l'œil l'abîme d'où
nous sortons : dans quel corps, dans quelle com-
pagnie eût-il été admis, le ci-devant gentilhomme
qui eût accepté le prix de vertu dans une assemblée
publique? 11 y avoit parmi nous la roture de la
vertu! Retirez donc votre or, qui ne peut récom-
penser une belle action du riche. Rendez à la
vertu cet hommage de croire que le pauvre aussi
peut être payé par elle; qu'il a, comme le riche,
une conscience opulente et solvable ; qu'enfin i"
peut, comme le riche, placer une bonne action
entre le ciel et lui. Législateurs, ne décrétez pas la
divinité de l'or en le donnant pour salaire à ces
mouvemens sublimes, à ces grands sacrifices qui
148 MAXIMES ET PENSEES
semblent mettre l'homme en commerce avec son
éternel Auteur. Il seroit annulé, votre décret; il
l'est d'avance dans l'âme du pauvre... oui, du
pauvre, au moment où il vient de s'honorer par un
acte généreux.
Il est commun, il est partout, le sentiment qui
atteste cette vérité. Eh ! n'avez-vous pas vu, dans
ces désastres qui provoquent le secours général,
n'avez-vous pas vu quelqu'un de ces pauvres, lors-
qu'au risque de ses jours et par un grand acte de
courage il a sauvé l'un de ses semblables, je veux
dire le riche, l'opulent, l'heureux (car il les prend
pour ses semblables dès qu'il faut les secourir) ;
lorsque après le péril et dans le reste des effusions
de sa reconnoissance, le riche sauvé présente l'or
à son bienfaiteur, à cet indigent, à cet homme
dénué; regardez celui-ci : comme il s'indigne! il
recule, il s'étonne, il rougit... une heure aupara-
vant il eût mendié. D'où lui vient ce noble mouve-
ment ? C'est que vous profanez son bienfait, ingrat
que vous êtes! vous corrompez votre reconnois-
sance : il a fait du bien, il vient de s'enrichir, et
vous le traitez en pauvre ! Au plaisir céleste d'avoir
satisfait le plus beau besoin de son âme, vous sub-
stituez la pensée d'un besoin matériel; vous la
ramenez du ciel, où il est quelque chose, sur la
terre, où il n'est rien. O nature humaine! voilà
comme on t'honore! Quand la vertu t'élève à ta
LITTERAIRES I 49
plus grande hauteur, c'est de l'or qu'on vient
l'offrir, c'est l'aumône qu'on te présente !
Mais, dira-t-on, cette aumône, elle a pourtant
été reçue dans des séances publiques et solennelles.
Eh! qui ne sait, Messieurs, ce qui arrive en ces
occasions? Le pauvre a ses amis qui le servent à
leur manière, et non pas à la sienne; qui, ne pou-
vant sans doute lui donner des secours, le condui-
sent où l'on en donne; et, avant ces derniers
temps, qu'étoit-ce que l'honneur du pauvre? Et
puis on lui parle de fêtes, d'accueils, d'applaudis-
semens. Étonné d'occuper un moment ceux qu'il
croit plus grands que lui, il a la foiblesse de se
tenir pour honoré : qu'il attende.
Plusieurs de vous. Messieurs, ont assisté à quel-
qu'une de ces assemblées oii, parmi des hommes
étrangers à la classe indigente, se présente l'indi-
gence vertueuse, couronnée, dit-on : elle attire les
regards; ils la cherchent, ils s'arrêtent sur elle. .
Je ne les peindrai pas; mais ce n'est point là
l'hommage que mérite la vertu. Il est vrai que le
récit détaillé de l'acte généreux que l'on couronne
excite des applaudissemens, des battemens de
mains... J'ignore si j'ai mal vu; mais, secrètement
blessé de toutes ces inconvenances, et observant
les traits et le maintien de la personne ainsi cou-
ronnée, j'ai cru y voir, d'autres l'ont cru comme
moi, l'impression marquée d'une secrète et invo-
l5o MAXIMES ET PENSÉES
lontaire tristesse; non l'embarras de la modestie,
mais la gêne du déplacement.
O vous qu'on amenoit ainsi sur la scène, âmes
nobles et honnêtes, mais simples et ignorantes,
savez-vous d'où vient ce mal-être intérieur qui
affecte même votre maintien? C'est que vous por-
tez le poids d'un grand contraste, celui de la vertu
et du regard des hommes. Laissons là. Messieurs,
toute cette pompe puérile , tout cet appareil dra-
matique qui montre l'immorale prétention d'agran-
dir la vertu. Une constitution, de sages lois, le
perfectionnement de la raison, une éducation vrai-
ment politique, voilà les sources pures , fécondes,
intarissables, des mœurs, des vertus, des bonnes
actions. L'estime, la confiance, l'amour de vos
frères et de vos concitoyens... : hommes libres,
hommes raisonnables, recevez ces prix; tout le
reste, jouet d'enfant ou salaire d'esclave.
J'ai arrêté vos regards , Messieurs , sur chacune
des fonctions académiques, dont la réunion montre
sous son vrai jour l'utilité de cette compagnie
considérée comme corporation. C'est à quoi je
pourrois m'en tenir; mais, pour rendre sensible
l'esprit général qui résulte de ces établissemens,
j'observe que l'on peut, que l'on doit même re-
garder comme un monument académique un ou-
vrage avoué par l'Académie, et composé presque
officiellement par un de ses membres les plus célè-
LITTERAIRES l5r
bres, d'Alembert, son secrétaire perpétuel : je
parle du recueil des éloges académiques.
Si l'on veut s'amuser, philosopher, s'affliger des
ridicules attachés non pas aux lettres (que nous
respectons), mais aux corps littéraires (que nous
ne révérons pas), il faut lire cette singulière collec-
tion, qui de l'éloge des membres fait naître la
plus sanglante satire de cette compagnie. C'est là,
c'est dans ce recueil qu'on peut en contempler, en
déplorer les misères, et remarquer tous les effets
vicieux d'une vicieuse institution : la lutte des
petits intérêts, le combat des passions haineuses,
le manège des rivalités mesquines, le jeu de toutes
ces vanités disparates et désassorties entre lettrés,
titrés, mitres; enfin toutes les évolutions de ces
amours-propres hétérogènes, s'observant, se cares-
sant, se heurtant tour à tour, mais constamment
réunis dans l'adoration d'un maître invisible et
toujours présent.
Tels sont, à la longue, les effets de cette dé-
gradante disposition, que, si l'on veut chercher
l'exemple de la plus vive flatterie où des hommes
puissent descendre, on la trouvera (qui le croiroit?)
non dans la cour de Louis XIV, mais dans l'Aca-
démie françoise. Témoin le fameux sujet du prix
proposé par ce corps : Laquelle des vertus du roi est
la plus digne d'admiration? On sait que ce pro-
gramme, présenté officiellement au monarque, lui
l52 MAXIMES ET PENSEES
fit baisser les yeux et couvrir son visage d'une
rougeur subite et involontaire. Ainsi un roi que
cinquante ans de règne, vingt ans de succès et la
constante idolâtrie de sa cour, avoient exercé et en
quelque sorte aguerri à soutenir les plus grands
excès de la louange, une fois du moins s'avoua
vaincu ! Et c'est à l'Académie françoise qu'étoit
réservé l'honneur de ce triomphe. Se flatteroit-on
que ce fut là le dernier terme d'un coupable avilis-
sement? On se tromperoit. Il faut voir, après la
mort de Louis XIV, la servitude obstinée de cette
compagnie punir, dans un de ses membres les plus
distingués, le crime d'avoir osé juger sur les prin-
cipes de la justice et de la raison la gloire de ce
règne fastueux; il faut voir l'Académie, pour ven-
ger ce prétendu outrage à la mémoire du roi,
effacer de la hste académique le nom du seul écri-
vain patriote qu'elle y eût jamais placé, le respec-
table abbé de Saint-Pierre : lâcheté gratuite, qui
semble n'avoir eu d'autre objet que de protester
d'avance contre les tentatives futures ou possibles
de la liberté françoise, et de voter solennellement
pour l'éternité de l'esclavage national.
Je sais que le nouvel ordre de choses rend
désormais impossibles de pareils scandales, et qu'il
sauveroit même à l'Académie une partie de ses
ridicules accoutumés. On ne verroit plus l'avantage
du rang tenir lieu de mérite, ni la faveur de la
LITTÉRAIRES l53
cour influer, du moins au même degré, sur les
nominations. Non, ces abus et quelques autres
ont disparu pour jamais; mais ce qui restera, ce
qui même est inévitable, c'est la perpétuité de
l'esprit qui anime ces compagnies. En vain tente-
riez-vous d'organiser pour la liberté des corps
créés pour la servitude : toujours ils chercheront,
par le renouvellement de leurs membres successifs,
à conserver, à propager les principes auxquels ils
doivent leur existence, à prolonger les espérances
insensées du despotisme , en lui offrant sans cesse
des auxiliaires et des affidés. Dévoués par leur na-
ture aux agens de l'autorité , seuls arbitres et dis-
pensateurs des petites grâces dans un ordre de
choses où les législatures ne peuvent distinguer
que les grands talens, il existe entre ces corps et
les dépositaires du pouvoir exécutif une bienveil-
lance mutuelle, une faveur réciproque, garant
tacite de leur alliance secrète, et, si les circonstances
le permettoient, de leur complicité future. En
voulez- vous la preuve? Je puis la produire; je
puis mettre sous vos yeux les bases de ce traité,
et pour ainsi dire les articles préliminaires. Ecoutez
ce même d'Alembert dans la préface du recueil de
ces mêmes éloges, révélant le honteux secret des
académies, et enseignant aux rois l'usage qu'ils
peuvent faire de ces corporations pour perpétuer
l'esclavage des peuples.
l54 MAXIMES ET PENSEES
Celui qui se marie, dit Bacon (c'est d'Alembert
qui parle), donne des otages à la fortune. Vhomme
de lettres qui tient à V Académie (qui tient, c'est-à-
dire, est tenu, enchaîné), l'homme de lettres donne
des otages à la décence (vous allez savoir ce que
c'est que cette décence académicienne). Cette
chaîne (cette fois il l'appelle par son nom); cette
chaîne j d'autant plus forte qu'elle sera volontaire (la
pire de toutes les servitudes est en effet la servi-
tude volontaire : on savoit cela) ; cette chaîne le re-
tiendra sans effort dans les bornes qu'il seroit tenté
de franchir (on pouvoit en effet, sous l'ancien
régime, être tenté de franchir les bornes). L'écri-
vain isolé et qui veut toujours l'être est une espèce de
célibataire (un vaurien qu'il faut ranger en le
mariant à l'Académie) : célibataire qui, ayant moins
à ménager, est par là plus sujet ou plus exposé aux
écarts (aux écarts, par exemple, d'écrire des
vérités utiles aux hommes et nuisibles à leurs op-
presseurs).
Parmi les vérités importantes que les gouvernemens
ont besoin d'accréditer (pour les travestir, les défi-
gurer, quand on ne peut plus les dissimuler entière-
ment), il en est qu'il leur importe de ne répandre
que peu à peu, comme par transpiration insensible
(l'Académie laissoit peu transpirer) : un pareil corps,
également instruit et sage (sage, Messieurs!), organe
de la raison par devoir, et de la prudence par état
LITTÉRAIRES l55
(quel état et quelle prudence!), ne fera entrer de
lumière dans les yeux des peuples que ce qu'il en
faudra pour les éclairer peu à peu (l'Académie éco-
nomisoit la lumière). L'auteur ajoute, il est vrai :
sans blesser les yeux des peuples ; et l'on entend
cette tournure vraiment académique.
Ah! Messieurs, c'en est trop : qui de vous n'est
surpris, indigné, révolté? Certes, on ne sait qu'ad-
mirer le plus dans l'avocat des académies, ou la
hardiesse ou l'imprudence qui présente les gens de
lettres sous un pareil aspect; qui, les plaçant entre
les peuples et les rois, dit à ces derniers, dans
une attitude à la fois servile et menaçante : Nous
pouvons à notre choix c'claircir ou doubler sur les
yeux de vos sujets le bandeau des préjugés. Payez
nos paroles ou notre silence; achetez une alliance
utile ou une neutralité nécessaire. Odieuse transac-
tion, commerce coupable, oîi l'on sacrifie le bon-
heur des hommes à des places académiques, à des
faveurs de cour; prime honteuse dans le plus
infâme des trafics, celui de la liberté des nations!
Yous concevez maintenant, Messieurs, ce qu'exi-
gent des académies la décence^ la sagesse, la pru-
dence d'État: d'État! hélas! oui, c'est le mot. Vous
en faut-il une seconde preuve également frappante?
Cherchez-la dans cette autre académie, sœur puî-
née, ou plutôt fille de l'Académie françoise, et fille
digne de sa mère par le même esprit d'abjection.
l56 MAXIMES ET PENSEES
On sait que, d'après une idée de M"^^ de Mon-
tespan (ce mot seul dit tout), l'Académie des
inscriptions et belles-lettres, instituée authentique-
ment pour la gloire du roi, chargée d'éterniser par
les médailles la gloire du roi, d'examiner les dessins
des peintures, sculptures, consacrées à la gloire du
roi, se soutint avec éclat près de trente ans; mais
que, vers la fin du règne, la gloire du roi venant
tout à coup à manquer, il fallut songer à s'étayer
de quelque autre secours. Ce fut alors que, sous un
nouveau régime qui la soumit à la hiérarchie des
rangs, tâche dont l'Académie françoise parut du
moins exempte, l'Académie des belles-lettres cher-
cha les moyens de se montrer utile. Elle eut recours
aux antiquités judaïques, grecques et romaines,
dont elle fit l'objet de ses recherches et de ses tra-
vaux Eh ! que ne s'y bornoit-elle ! Nous étions si
reconnoissans d'avoir appris par elle ce qu'étoient
dans la Grèce les dieux cabires, quels étoient les
noms de tous les ustensiles composant la batterie
de cuisine de Marc-Antoine ! Nous applaudissions
à la découverte d'un vieux roi de Jérusalem, perdu
depuis dix-huit cents ans dans un recoin de la
chronologie : on sourit malgré soi de voir des
esprits graves et sérieux s'occuper de ces bagatelles.
Certes, il valoit mieux en faire son éternelle oc-
cupation que d'étudier nos antiquités françoises
pour les dénaturer, que d'empoisonner les sources
LITTÉRAIRES iSy
de notre histoire, que de mettre aux ordres du
despotisme une érudition faussaire, que de com-
battre et condamner d'avance l'Assemblée natio-
nale, en déclarant fausse et dangereuse l'opinion
qui conteste au roi le pouvoir législatif pour le
donner à la nation : c'est l'avis de MM. Secousse,
Foncemagne, et de plusieurs autres membres de
cette compagnie. Tel est l'esprit de ces corps, ils
en font trophée ; telle est leur profession de foi
publique. La principale occupation de l'Académie des
belles-lettres y dit l'un de ses membres les plus cé-
lèbres, Mabillon, doit être la gloire du roi...
Qu'elles soient fermées pouf jamais, ces écoles
de flatterie et de servilité ! Vous le devez à vous-
mêmes, à vos invariables principes. Eh ! quelle
protestation plus noble et plus solennelle contre
d'avilissans souvenirs, contre de méprisables habi-
tudes, dont il faut effacer jusqu'aux vestiges, enfin
contre l'infatigable adulation dont, au scandale de
l'Europe, ces deux compagnies ont fatigué vos
deux derniers rois? Eh! Messieurs, l'extinction de
ces corps n'est que la conséquence nécessaire du
décret qui a détaché les esclaves enchaînés dans
Paris à la statue de Louis XIV.
Vous avez tout affranchi : faites pour les talens
ce que vous avez fait pour tout autre genre d'in-
dustrie. Point d'intermédiaire; personne entre les
talens et la nation. Kange-toi de mon soleil ^
l58 MAXIMES ET PENSEES
disoit Diogène à Alexandre, et Alexandre se ran-
gea; mais les compagnies ne se rangent point : il
faut les anéantir. Une corporation pour les arts de
génie ! c'est ce que les Anglois n'ont jamais conçu,
et, en fait de raison, vous ne savez plus rester en
arrière des Anglois. Homère ni Virgile ne furent
d'aucune académie, non plus que Pope et Dryden,
leurs immortels traducteurs. Corneille, critiqué par
l'Académie françoise, s'écrioit : J'imite l'un de mes
trois HoraceSj j'en appelle au peuple. Croyez- en
Corneille : appelez au peuple comme lui.
Eh! qui réclameroit contre votre jugement?
Parmi les gens de lettres eux-mêmes, les académies
n'avoient guère pour défenseurs que les ennemis
de la Révolution. Encore, au nombre de ces défen-
seurs, s'en trouve-t-il quelques-uns d'une espèce
assez étrange. A quoi bon détruire, disent-ils, des
établissemens prêts à tomber d'eux-mêmes à la
naissance de la liberté? En vous laissant. Mes-
sieurs, apprécier ce moyen de défense, je crois
pouvoir applaudir à la conjecture; et n'a-t-on pas
vu, dans ces dernières années, l'accroissement de
l'opinion publique servir de mesure à la décrois-
sance proportionnelle de ces corps, jusqu'au mo-
ment où, toute proportion venant à cesser tout à
coup, il n'est resté entre ces compagnies et la
nation que l'intervalle immense qui sépare la servi-
tude et la liberté.
LITTERAIRES 169
Eh! comment l'Académie, conservant sa mala-
dive et incurable petitesse au milieu des objets
qui s'agrandissent autour d'elle; comment l'Acadé-
mie seroit-elle aperçue ? Qui recherchera désormais
ses honneurs, obscurcis devant une gloire à la fois
littéraire et patriotique ? Pense-t-on que ceux de
vos orateurs qui auront discuté dans la tribune,
avec l'applaudissement de la nation, les grands in-
térêts de la France, ambitionneront beaucoup une
frivole distinction à laquelle le despotisme bornoit,
ou plutôt condamnoit les plus rares talens ? Qui ne
sent que, si Corneille et Racine ont daigné appor-
ter dans une si étroite enceinte les lauriers du
théâtre , cette bizarrerie tenoit à plusieurs vices
d'un système social qui n'est plus : au prestige
d'une vanité qui ne peut plus être ; à la tyrannie
d'un usage établi, comme un impôt, sur les talens;
enfin à de petites convenances fugitives, mainte-
nant disparues devant la liberté, et englouties dans
l'égalité civile et politique comme un ruisseau dans
l'Océan?
Epargnez donc. Messieurs, à l'Académie une
mort naturelle; donnez à ses partisans, s'il en
reste, la consolation de croire que sans vous elle
étoit immortelle; qu'elle ait du moins l'honneur
de succomber dans une époque mémorable , et
d'être ensevelie avec de plus puissantes corpora-
tions. Pour cette fois, vous avez peu de clameurs
l6o MAXIMES ET PENSEES LITTERAIRES
à craindre : car c'est une chose remarquable que
l'Académie, quoique si peu onéreuse au public,
n'ait jamais joui de la faveur populaire. Quant au
chagrin que vous causerez à ses membres par leur
séparation, croyez qu'il se contiendra dans les
bornes d'une hypocrite et facile décence. Dé-
ployez donc à la fois et votre fidélité à vos prin-
cipes sur les corporations, et votre estime pour les
lettres, en détruisant ces corps et en traitant les
membres avec une libérale équité. Celle dont vous
userez envers des hommes d'un mérite reconnu,
plus ou moins distingué, membres de sociétés lit-
téraires peu nombreuses, oii l'on n'est admis que
dans l'âge de la maturité, ne peut fatiguer la gé-
nérosité de la nation. Plût au Ciel qu'en des occa-
sions plus importantes vous eussiez pu réparer, par
des dédommagemens aussi faciles, les maux indivi-
duels opérés pour le bonheur général ! plût au Ciel
qu'il vous eût été permis de placer aussi aisément
à côté de vos devoirs publics la preuve consolante
de votre commisération pour les infortunes parti-
culières !
MAXIMES ET PENSÉES
POLITIQUES
La Cour, les Grands, la Noblesse,
le Gouvernement, la Police.
La plupart des nobles rappellent leurs ancêtres
^ peu près comme un cicérone d'Italie rappelle
Cicéron.
Rien de si difficile à faire tomber qu'une idée
triviale ou un proverbe accrédité. Louis XV a fait
banqueroute en détail trois ou quatre fois, et l'on
n'en jure pas moins foi de gentilhomme. Celle de
M. de Guéménée n'y réussira pas mieux.
Un curé de campagne dit au prône à ses parois-
Chamfort. I. 2 i
102 MAXIMES ET PENSEES
siens : « Messieurs, priez Dieu pour le possesseur
de ce château, mort à Paris de ses blessures. » (Il
avoit été roué.)
Histoire de M. de Villars, qui, le jour de Noël^
entend trois messes, et se persuade que les deux
dernières sont pour lui. Il envoie trois louis au
prêtre, qui répond : a Je dis la messe pour mon
plaisir. »
On disoit de M... qu'il tenoit d'autant plus à
un grand seigneur qu'il avoit fait plus de bassesses
pour lui. C'est comme le lierre qui s'attache en
rampant.
Un homme fort riche disoit en parlant des pau-
vres : « On a beau ne leur rien donner, ces drôles-
là demandent toujours. » Plus d'un prince pourroit
dire cela de ses courtisans.
Un provincial, à la messe du roi, pressoit de
questions son voisin : « Quelle est cette dame? —
C'est la reine. — Celle-ci? — Madame. — Celle-
là, là ? — La comtesse d'Artois. — Cette autre ? »
L'habitant de Versailles, impatienté, lui répondit :
« C'est la feue reine. »
On demandoit à une duchesse de Rohan à quelle
POLITIQUES l63
époque elle comptoit accoucher. « Je me flatte,
dit-elle, d'avoir cet honneur dans deux mois. »
L'honneur étoit d'accoucher d'un Rohan !
M. de *** promettoit je ne sais quoi à M. de
L... et juroit foi de gentilhomme. Celui-ci lui dit :
« Si cela vous est égal, ne pourriez-vous pas dire
foi d'honnête homme ? »
Les bourgeois, par une vanité ridicule, font de
leurs filles un fumier pour les terres des gens de
qualité.
Les courtisans sont des pauvres enrichis par la
mendicité.
Parvenir à la fortune, à la considération, malgré
le désavantage d'être sans aïeux, et cela à travers
tant de gens qui ont tout apporté en naissant,
c'est gagner ou remettre une partie d'échecs,
ayant donné la tour à son adversaire. Souvent
aussi les autres ont sur vous trop d'avantages con-
ventionnels, et alors il faut renoncer à la partie.
On peut bien céder une tour, mais non la dame.
Les gens qui élèvent les princes et qui préten-
dent leur donner une bonne éducation, après s'être
soumis à leurs formalités et à leurs avilissantes éti-
quettes, ressemblent à des maîtres d'arithmétique
164 MAXIMES ET PENSÉES
qui voudroient former de grands calculateurs après
avoir accordé à leurs élèves que trois et trois font
huit.
Quel est l'être le plus étranger à ceux qui l'en-
vironnent? Est-ce un François à Pékin ou à Ma^
cao? est-ce un Lapon au Sénégal? ou ne seroit-ce
pas, par hasard, un homme démérite sans or et sans
parchemins au milieu de ceux qui possèdent l'un de
ces deux avantages ou tous les deux réunis? N'est-
ce pas une merveille que la société subsiste avec la
convention tacite d'exclure du partage de ses droits
les dix-neuf vingtièmes de la société?
Un courtisan disoit à la mort de Louis XIV :
« Après la mort du roi, on peut tout croire. »
Un courtisan disoit : a Ne se brouille pas avec
moi qui veut. »
Les gens qui croient aimer un prince dans
l'instant où ils viennent d'en être bien traités me
rappellent les enfans qui veulent être prêtres le
lendemain d'une belle procession, ou soldats le
lendemain d'une revue à laquelle ils ont assisté.
Les favoris, les hommes en place, mettent quel-
quefois de l'intérêt à s'attacher des hommes de
POLITIQ^UES l65
mérite; mais ils en exigent un avilissement préli-
minaire qui repousse loin d'eux tous ceux qui ont
quelque pudeur. J'ai vu des hommes dont un fa-
vori ou un ministre auroient eu bon marché aussi
indignés de cette disposition qu'auroient pu l'être
des hommes d'une vertu parfaite. L'un d'eux me
disoit : « Les grands veulent qu'on se dégrade non
pour un bienfait, mais pour une espérance; ils pré-
tendent vous acheter non par un lot, mais par un
billet de loterie; et je sais des fripons, en apparence
bien traités par eux, qui dans le fait n'en ont pas
tiré meilleur parti que ne l'auroient fait les plus
honnêtes gens du monde. »
Les actions utiles, même avec éclat, les services
réels et les plus grands qu'on puisse rendre à la
nation et même à la cour, ne sont, quand on n'a
point la faveur de la cour, que des péchés splen-
didcs, comme disent les théologiens.
Quelques folies qu'aient écrites certains physio-
nomistes de nos jours, il est certain que l'habitude
de nos pensées peut déterminer quelques traits de
notre physionomie. Nombre de courtisans ont
l'œil faux, par la même raison que la plupart des
courtisans sont cagneux.
Il y a une profonde insensibilité aux vertus qui
66
MAXIMES ET PENSEES
surprend et scandalise beaucoup plus que le vice.
Ceux que la bassesse publique appelle grands sei-
gneurs ou grands, les hommes en place, pa-
roissent pour la plupart doués de cette insensibi-
lité odieuse. Cela ne viendroit-il pas de l'idée
vague et peu développée dans leur tête que les
hommes doués de ces vertus ne sont pas propres
à être des instrumens d'intrigue? Ils les négligent,
ces hommes, comme inutiles à eux-mêmes et aux
autres dans un pays où, sans l'intrigue, la fausseté
et la ruse, on n'arrive à rien !
Quelle vie que celle de la plupart des gens de
la cour! Ils se laissent ennuyer, excéder, avilir, as-
servir, tourmenter, pour des intérêts misérables; ils
attendent, pour vivre, pour être heureux, la mort
de leurs ennemis, de leurs rivaux d'ambition, de
ceux mêmes qu'ils appellent leurs amis; et, pendant
que leurs vœux appellent cette mort, ils sèchent,
ils dépérissent, meurent eux-mêmes en deman-
dant des nouvelles de la santé de monsieur tel, de
madame telle, qui s'obstinent à ne pas mourir.
Plusieurs courtisans sont haïs sans profit et pour
le plaisir de l'être : ce sont des lézards qui, à
ramper, n'ont gagné que de perdre leur queue.
• En voyant les princes faire de leur propre mou-
POLITIQ^UES 167
vement certaines choses honnêtes, on est tenté de
reprocher à ceux qui les entourent la plus grande
partie de leurs torts ou de leurs foiblesses; on dit:
« Quel malheur que ce prince ait pour amis
Damis ou Aramont ! » On ne songe pas que, si
Damis ou Aramont avoient été des personnages qui
eussent de la noblesse ou du caractère, ils n'au-
roient pas été les amis de ce prince.
L'expérience, qui éclaire les particuliers, cor-
rompt les princes et les gens en place.
L'état de courtisan est un métier dont on a voulu
faire une science. Chacun cherche à se hausser.
A la cour, tout est courtisan : le prince du sang,
ie chapelain de semaine, le chirurgien de quartier,
l'apothicaire.
Je conseillerois à quelqu'un qui veut obtenir
une grâce d'un ministre de l'aborder d'un air
triste plutôt que d'un air riant. On n'aime pas à
voir plus heureux que soi.
Amitié de cour, foi de renards et société de
loups.
Quand les princes sortent de leurs misérables
étiquettes, ce n'est jamais en faveur d'un homme
l68 MAXIMES ET PENSEES
de mérite, mais d'une fille ou d'un bouffon. Quand
les femmes s'affichent, ce n'est presque jamais
pour un honnête homme, c'est pour une espèce.
En tout, lorsque l'on brise le joug de l'opinion,
c'est rarement pour s'élever au-dessus, mais pres-
que toujours pour descendre au-dessous.
Etes-vous l'ami d'un homme de la cour, d'un
homme de qualité, comme on dit, et souhaitez-
vous lui inspirer le plus vif attachement dont le
cœur humain soit susceptible, ne vous bornez
pas à lui prodiguer les soins de la plus tendre
amitié, à le soulager dans ses maux, à le consoler
dans ses peines, à lui consacrer tous vos momens,
à lui sauver, dans l'occasion, la vie ou l'honneur;
ne perdez point votre temps à ces bagatelles:
faites plus, faites mieux, faites sa généalogie.
Vous croyez qu'un ministre , un homme en
place, a tel ou tel principe, et vous le croyez
parce que vous le lui avez entendu dire. En con-
séquence, vous vous abstenez de lui demander
telle ou telle chose qui le mettroit en contradic-
tion avec sa maxime favorite. Vous apprenez
bientôt que vous avez été dupe, et vous lui voyez
faire des choses qui vous prouvent qu'un ministre
n'a point de principes, mais seulement l'habitude^
le tic, de dire telle ou telle chose.
POLITIQ^UES 169
Les corps (parlemens, académies, assemblées)
ont beau se dégrader, ils se soutiennent par leur
masse, et on ne peut rien contre eux. Le déshon-
neur, le ridicule, glissent sur eux comme les balles
de fusil sur un sanglier, sur un crocodile.
On s'est beaucoup moqué de ceux qui parloient
avec enthousiasme de l'état sauvage en opposition
à l'état social; cependant je voudrois savoir ce
qu'on peut répondre à ces trois objections : Il est
sans exemple que chez les sauvages on ait vu
1° un fou, 2^ un suicide, 3*^ un sauvage qui ait
voulu embrasser la vie sociale ; tandis qu'un grand
nombre d'Européens, tant au Cap que dans les
deux Amériques, après avoir vécu chez les sau-
vages, se trouvant ramenés chez leurs compatriotes,
sont retournés dans les bois. Qu'on réplique à
cela sans verbiage, sans sophisme.
Le malheur de l'humanité, considérée dans l'état
social, c'est que, quoiqu'en morale et en politique
on puisse donner comme définition que le mal est
ce qui nuit, on ne peut pas dire que le bien est ce
qui sert : car ce qui sert un moment peut nuire
longtemps ou toujours.
Lorsque l'on considère que le produit du travail
et des lumières de trente ou quarante siècles a été
lyo MAXIMES ET PENSEES
de livrer trois cents millions d'hommes répandus
sur le globe à une trentaine de despotes, la plu-
part ignorans et imbéciles, dont chacun est gou-
verné par trois ou quatre scélérats quelquefois
stupides, que penser de l'humanité et qu'attendre
d'elle à l'avenir?
Presque toute l'histoire n'est qu'une suite d'hor-
reurs. Si les tyrans la détestent tandis qu'ils vivent,
il semble que leurs successeurs souffrent qu'on
transmette à la postérité les crimes de leurs de-
vanciers pour faire diversion à l'horreur qu'ils in-
spirent eux-mêmes. En effet, il ne reste guère, pour
consoler les peuples, que de leur apprendre que
leurs ancêtres ont été aussi malheureux ou plus
malheureux.
Le caractère naturel du François est composé
des qualités du singe et du chien couchant. Drôle
et gambadant comme le singe, et, dans le fond,
très-malfaisant comme lui, il est, comme le chien
de chasse, né bas, caressant, léchant son maître
qui le frappe, se laissant mettre à la chaîne, puis
bondissant de joie quand on le déHe pour aller à
la chasse.
Autrefois le trésor royal s'appeloit l'épargne. On
a roue;i de ce nom, qui sembloit une contre-vérité
POLITIQ^UES 171
depuis qu'on a prodigué les trésors de l'État, et
on l'a tout simplement appelé le trésor royal.
Le titre le plus respectable de la noblesse Fran-
çoise, c'est de descendre immédiatement de quel-
ques-uns de ces trente mille hommes casqués,
cuirassés, brassardés, cuissardes, qui, sur de grands
chevaux bardés de fer, fouloient aux pieds huit ou
neuf millions d'hommes nus, qui sont les ancêtres
de la nation actuelle. Voilà un droit bien avéré à
î'amour et au respect de leurs descendans ! Et, pour
achever de rendre cette noblesse respectable, elle
se recrute et se régénère par l'adoption de ces
iiommes qui ont accru leur fortune en dépouillant
la cabane du pauvre hors d'état de payer les impo-
sitions. Misérables institutions humaines, qui,
faites pour inspirer le mépris et l'horreur, exigent
qu'on les respecte et qu'on les révère !
La nécessité d'être gentilhomme pour être capi-
taine de vaisseau est tout aussi raisonnable que
celle d'être secrétaire du roi pour être matelot ou
mousse.
Cette impossibilité d'arriver aux grandes places
à moins que d'être gentilhomme est une des ab-
surdités les plus funestes dans presque tous les
172 MAXIMES ET PENSEES
pays. II me semble voir des ânes défendre les car-
rousels et les tournois aux chevaux.
La nature, pour faire un homme vertueux ou un
homme de génie, ne va pas consulter Chérin.
Qu'importe qu'il y ait sur le trône un Tibère ou
un Titus, s'il a des Séjans pour ministres?
Si un historien tel que Tacite eût écrit l'his-
toire de nos meilleurs rois en faisant un relevé
exact de tous les actes tyranniques, de tous les
abus d'autorité, dont la plupart sont ensevelis dans
l'obscurité la plus profonde, il y a peu de règnes
qui ne nous inspirassent la même horreur que celui
de Tibère.
On peut dire qu'il n'y eut plus de gouvernement
civil à Rome après la mort de Tibérius Gracchus,
et Scipion Nasica, en partant du sénat pour em-
ployer la violence contre le tribun, apprit aux Ro-
mains que la force seule donneroit des lois dans le
Forum. Ce fut lui qui avoit révélé avant Sylla ce
mystère funeste.
Ce qui fait Tmtérêt secret qui attache si fort à la
lecture de Tacite, c'est le contraste continuel et
toujours nouveau de l'ancienne liberté républicaine
POLITIQ^UES iy3
avec les vils esclaves que peint l'auteur; c'est la
comparaison des anciens, Scaurus, Scipion, etc.,
avec les lâchetés de leurs descendans; en un mot,
ce qui contribue à l'effet de Tacite, c'est Tite-
Live.
Les rois et les prêtres, en proscrivant la doctrine
du suicide, ont voulu assurer la durée de notre es-
clavage. Ils veulent nous tenir enfermés dans un
cachot sans issue, semblables à ce scélérat, dans le
Dante, qui fait murer la porte de la prison où
étoit enfermé le malheureux Ugolin.
On a fait des livres sur les intérêts des princes;
on parle d'étudier les intérêts des princes : quel-
qu'un a-t-il jamais parlé d'étudier les intérêts des
peuples ?
Il n'y a d'histoire digne d'attention que celle des
peuples libres : l'histoire des peuples soumis au
despotisme n'est qu'un recueil d'anecdotes.
La vraie Turquie d'Europe, c'étoit la France.
On trouve dans vingt écrivains anglois : Les pays
despotiques, tels que la France et la Turquie.
Les ministres ne sont que des gens d'affaires, et
iy4 MAXIMES ET PENSEES
ne sont si importans que parce que la terre dn
gentilhomme leur maître est très-considérable.
Un ministre, en faisant faire à ses maîtres de^
fautes et des sottises nuisibles au public, ne fait
souvent que s'affermir dans sa place : on diroit
qu'il se lie davantage avec eux par les liens de cette
espèce de complicité.
Pourquoi arrive-t-il qu'en France un ministre
reste placé après cent mauvaises opérations, et
pourquoi est-il chassé pour la seule bonne qu'il ait
faite ?
Croiroit-on que le despotisme a des partisans
sous le rapport de la nécessité d'encouragement
pour les beaux-arts ? On ne sauroit croire combien
l'état du siècle de Louis XIV a multiplié le nombre
de ceux qui pensent ainsi. Selon eux, le dernier
terme de toute société humaine est d'avoir de belles
tragédies j de belles comédies, etc. Ce sont des
gens qui pardonnent à tout le mal qu'ont fait les
prêtres en considérant que, sans les prêtres, nous
n'aurions pas la comédie de Tartufe.
En France, le mérite et la réputation ne donnent
pas plus de droit aux places que le chapeau de ro-
POLITIQ^UES 1^3
sière ne donne à une villageoise le droit d'être
présentée à la cour.
La France, pays où il est souvent utile de mon-
trer ses vices, et toujours dangereux de montrer ses
vertus.
C'est une chose remarquable que la multitude
des étiquettes dans une nation aussi vive et aussi
gaie que la nôtre; on peut s'étonner aussi de l'es-
prit pédantesque et de la gravité des corps et des
compagnies : il semble que le législateur ait cherché
à mettre un contre-poids qui arrêtât la légèreté du
François.
C'est une chose avérée qu'au moment où M. de
Guibert fut nommé gouverneur des Invalides, il se
trouva aux Invalides six cents prétendus soldats
qui n'étoient point blessés et qui, presque tous,
n'avoient jamais assisté à aucun siège, à aucune
bataille, mais qui, en récompense, avoient été co-
chers ou laquais de grands seigneurs ou de gens
en place. Quel texte et quelle matière à réflexions!
En France, on laisse en repos ceux qui mettent
le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin.
Presque toutes les femmes, soit de Versailles,
ï-jà MAXIMES ET PENSEES
soit de Paris, quand ces dernières sont d'un état
un peu considérable, ne sont autre chose que des
bourgeoises de qualité, des M™^ Naquart présen-
tées ou non présentées.
En France, il n'y a plus de public ni de nation,
par la raison que de la charpie n'est pas du linge.
Le public est gouverné comme il raisonne. Son
droit est de dire des sottises, comme celui des mi-
nistres est d'en faire.
Quand il se fait quelque sottise publique, je
songe à un petit nombre d'étrangers qui peuvent
se trouver à Paris, et je suis prêt à m'affliger, car
j'aime toujours ma patrie.
Les Anglois sont le seul peuple qui ait trouvé le
moyen de limiter la puissance d'un homme dont la
figure est sur un petit écu.
Comment se fait-il que sous le despotisme le
plus affreux on puisse se résoudre à se reproduire?
C'est que la nature a ses lois plus douces, mais
plus impérieuses que celles des tyrans; c'est que
l'enfant sourit à sa mère sous Domitien comme sous
Titus
POLITIQ^UES 177
Un philosophe disoit : « Je ne sais pas comment
un François qui a été une fois dans l'antichambre
du roi ou dans l'Œil-de-Bœuf peut dire de qui
que ce puisse être : C'est un grand seigneur. »
Les flatteurs des princes ont dit que la chasse
étoit une image de la guerre; et, en effet, les
paysans dont elle vient de ravager les champs
doivent trouver qu'elle la représente assez bien.
Il est malheureux pour les hommes, heureux
peut-être pour les tyrans, que les pauvres, les mal-
heureux, n'aient pas l'instinct ou la fierté de l'élé-
phant, qui ne se reproduit point dans la servitude.
Dans la lutte éternelle que la société amène
€ntre le pauvre et le riche, le noble et le plébéien,
l'homme accrédité et l'homme inconnu, il y a deux
observations à faire. La première est que leurs ac-
tions, leurs discours, sont évalués à des mesures
différentes, à des poids différens, l'un d'une livre,
l'autre de dix ou de cent, disproportion convenue
et dont on part comme d'une chose arrêtée ; et cela
même est horrible. Cette acception de personnes,
autorisée par la loi et par l'usage, est un des vices
énormes de la société, qui suffiroit seul pour ex-
pliquer tous ses vices. L'autre observation est qu'en
partant même de cette inégalité il se fait ensuite une
Chamfort. I. 2 3
lyo MAXIMES ET PENSEES
autre malversation : c'est qu'on diminue la livre du
pauvre, du plébéien, qu'on la réduit à un quart,
tandis qu'on porte à cent livres les dix livres du
riche ou du noble, à mille ses cent livres, etc.
C'est l'effet naturel et nécessaire de leur position
respective, le pauvre et le plébéien ayant pour
envieux tous leurs égaux, et le riche, le noble^
ayant pour appuis et pour complices le petit
nombre des siens qui le secondent pour partager
les avantages et en obtenir de pareils.
C'est une vérité incontestable qu'il y a en
France sept millions d'hommes qui demandent l'au-
mône, et douze millions hors d'état de la leur faire,
La noblesse, disent les nobles, est un intermé-
diaire entre le roi et le peuple... Oui, comme le
chien de chasse est un intermédiaire entre le chas-
seur et les lièvres.
Qu'est-ce que c'est qu*un cardinal? C'est un
prêtre habillé de rouge, qui a cent mille écus du.
roi pour se moquer de lui au nom du pape.
La plupart des institutions sociales paroissent
avoir pour objet de maintenir l'homme dans une
médiocrité d'idées et de sentimens qui le rendent
plus propre à gouverner ou à être gouverné.
POLITIQ^UES 179
Un citoyen de Virginie, possesseur de cinquante
acres de terre fertile, paye quarante-deux sous
de notre monnoie pour jouir en paix, sous des
lois justes et douces, de la protection du gou-
vernement, de la sûreté de sa personne et de sa
propriété, de la liberté civile et religieuse, du droit
de voter aux élections, d'être membre du congrès,
et par conséquent législateur, etc. Tel paysan fran-
çois, de l'Auvergne ou du Limousin, est écrasé de
tailles, de vingtièmes, de corvées de toute espèce,
pour être insulté par le caprice d'un subdélégué,
emprisonné arbitrairement, etc., et transmeUre à
une famille dépouillée cet héritage d'infortune et
d'avilissement.
L'Amérique septentrionale est l'endroit de l'u-
nivers où les droits de l'homme sont le mieux
connus. Les Américains sont les dignes descendans
de ces fameux républicains qui se sont expatriés
pour fuir la tyrannie. C'est là que se sont formés
des hommes dignes de combattre et de vaincre les
Anglois mêmes, à l'époque où ceux-ci avoient re-
couvré leur liberté et étoient parvenus à se former
le plus beau gouvernement qui fut jamais. La ré-
volution de l'Amérique sera utile à l'Angleterre
même en la forçant à faire un examen nouveau
de sa constitution et à en bannir les abus. Qu'ar-
rivera-t-il ? Les Anglois, chassés du continent de
l8o MAXIMES ET l'ENSÉES
l'Amérique septentrionale, se jetteront sur les îles
et sur les possessions françoises et espagnoles, leur
donneront leur gouvernement, qui est fondé sur
l'amour naturel que les hommes ont pour la liberté,
et qui augmente cet amour même. Il se formera
dans ces îles espagnoles et françoises, et surtout
dans le continent de l'Amérique espagnole, alors
devenue angloise, il se formera de nouvelles con-
stitutions dont la liberté sera le principe et la base.
Ainsi, les Anglois auront la gloire unique d'avoir
formé presque les seuls peuples libres de l'univers,
les seuls, à proprement parler, dignes du nom
d'hommes, puisqu'ils seront les seuls qui aient su
connoître et conserver les droits des hommes.
Mais combien d'années ne faut-il pas pour opérer
cette révolution? Il faut avoir purgé de François
et d'Espagnols ces terres immenses, où il ne pour-
roit se former que des esclaves, y avoir transplanté
des Anglois pour y porter les premiers germes de
la liberté. Ces germes se développeront, et, pro-
duisant des fruits nouveaux, opéreront la révolution
qui chassera les Anglois eux-mêmes des deux Améri-
ques et de toutes les îles.
L'Anglois respecte la loi et repousse ou mé-
prise l'autorité; le François, au contraire, res-
pecte l'autorité et méprise la loi. Il faut lui en-
seigner à faire le contraire, et peut-être la chose
POLITK^UES l8l
est-elle impossible, vu l'ignorance dans laquelle
on tient la nation, ignorance qu'il ne faut pas con-
tester en jugeant d'après les lumières répandues
dans les capitales.
« Moi, tout; le reste, rien. » Voilfi le despotisme,
l'aristocratie et leurs partisans. « Moi, c'est un aiitie;
un autre, c'est moi. » Voilà le régime populaire et
ses partisans. Après cela, décidez.
Tout ce qui sort de la classe du peuple s'arme
contre lui pour l'opprimer, depuis le milicien , le
négociant devenu secrétaire du roi, le prédicateur
sorti d'un village pour prêcher la soumission au
pouvoir arbitraire, l'historiographe fils d'un bour-
geois, etc. Ce sont les soldats de Cadmus : les
premiers armés se tournent contre leurs frères et
se précipitent sur eux.
Les pauvres sont les nègres de l'Europe.
Semblable aux animaux qui ne peuvent respi-
rer l'air à une certaine hauteur sans périr, l'es-
clave meurt dans l'atmosphère de la liberté.
On gouverne les hommes avec la tête; on ne
joue pas aux échecs avec un bon cœur.
Il faut recommencer la société humaine, comme
182 MAXIMES ET PENSEES
Bacon disoit qu'il faut recommencer l'entende-
ment humain.
Diminuez les maux du peuple, vous diminuez
sa férocité, comme vous guérissez ses maladies avec
du bouillon.
J'observe que les hommes les plus extraordi-
naires et qui ont fait des révolutions, lesquelles
semblent être le produit de leur seul génie, ont été
secondés par les circonstances les plus favorables et
par l'esprit de leur temps. On sait toutes les ten-
tatives faites avant le grand voyage de Vasco de
Gama aux Indes occidentales ; on n'ignore pas
que plusieurs navigateurs étoient persuadés qu'il y
avoit de grandes îles et sans doute un continent
à l'ouest avant que Colomb l'eût découvert, et il
avoit lui-même entre les mains les papiers d'un
célèbre pilote avec qui il avoit été en liaison. Phi-
lippe avoit tout préparé pour la guerre de Perse
avant sa mort. Plusieurs sectes d'hérétiques, dé-
chaînées contre les abus de la communion romaine,
précédèrent Luther et Calvin, et même Wiclef.
On croit communément que Pierre le Grand
se réveilla un jour avec l'idée de tout créer en
Russie. M. de Voltaire avoue lui-même que son
père Alexis forma le dessein d'y transporter les
POLITIQ^UES l83
arts. II y a dans tout une maturité qu'il faut atten-
dre : heureux l'homme qui arrive dans le moment
de cette maturité !
L'Assemblée nationale de 1789 a donné au
peuple François une constitution plus forte que lui.
Il faut qu'elle se hâte d'élever la nation à cette
hauteur par une bonne éducation publique. Les
législateurs doivent faire comme ces médecins
habiles qui, traitant un malade épuisé, font passer
Jcs restaurans à l'aide des stomachiques.
En voyant le grand nombre des députés à
l'Assemblée nationale de 1789, et tous les préjugés
dont la plupart étoient remplis, on eût dit qu'ils
ne les avoient détruits que pour les prendre,
comme ces gens qui abattent un édifice pour s'ap-
proprier les décombres.
Une des raisons pour lesquelles les corps et les
assemblées ne peuvent guère faire autre chose
que des sottises, c'est que, dans une délibération
publique, la meilleure chose qu'il y ait à dire pour
ou contre l'affaire ou la personne dont il s'agit ne
peut presque jamais se dire tout haut sans de grands
dangers ou d'extrêmes inconvéniens.
Dans l'instant où Dieu créa le monde, le mou-
I54 MAXIMES ET PENSEES
vement du chaos dut faire trouver le chaos pkis
désordonné que lorsqu'il reposoit dans un dé-
sordre paisible. C'est ainsi que chez nous l'em-
barras d'une société qui se réorganise doit paroître
l'excès du désordre.
Les courtisans et ceux qui vivoient des abus
monstrueux qui écrasoient la France sont sans
cesse à dire qu'on pouvoit réformer les abus sans
détruire comme on a détruit. Ils auroient bien
voulu qu'on nettoyât l'étable d'Augias avec un
plumeau.
Dans l'ancien régime, un philosophe écrivoit
des vérités hardies. Un de ces hommes que la nais-
sance ou des circonstances favorables appeloient
aux places lisoit ces vérités, les affoiblissoit, les
modifîoit, en prenoit un vingtième, passoit pour
un homme inquiétant, mais pour homme d^esprit.
11 tempéroit son zèle et parvenoit à tout. Le phi-
losophe étoit mis à la Bastille. Dans le régime
nouveau, c'est le philosophe qui parvient à tout;
ses idées lui servent non plus à se faire enfermer,
non plus à déboucher l'esprit d'un sot, à le placer,
mais à parvenir lui-même aux places. Jugez comme
la foule de ceux qu'il écarte peut s'accoutumer à
ce nouvel ordre de choses !
N'est-il pas trop plaisant de voir le marquis
POLITIQ^UES l85
de Bièvre, petit-fils du chirurgien Maréchal, se
croire obligé de fuir en Angleterre, ainsi que
M. de Luxembourg et les grands aristocrates
fugitifs après la catastrophe du 14 juillet 1789 ?
Les théologiens, toujours fidèles au projet
d'aveugler les hommes, les suppôts des gouver-
nemens, toujours fidèles à celui de les opprimer,
supposent gratuitement que la grande majorité des
hommes est condamnée à la stupidité qu'entraînent
les travaux purement mécaniques ou manuels; ils
supposent que les artisans ne peuvent s'élever aux
connoissances nécessaires pour faire valoir les droits
d'hommes et de citoyens. Ne diroit-on pas que ces
connoissances sont bien compliquées? Supposons
qu'on eût employé, pour éclairer les dernières
classes, le quart du temps et des soins qu'on a mis
à les abrutir; supposons qu'au lieu de mettre dans
leurs mains un catéchisme de métaphysique absurde
et inintelligible, on en eût fait un qui eût contenu
les premiers principes des droits des hommes et
de leurs devoirs fondés sur leurs droits, on seroit
étonné du terme où ils seroient parvenus en sui-
vant cette route, tracée dans un bon ouvrage élé-
mentaire. Supposez qu'au lieu de leur prêcher cette
doctrine de patience, de souffrance, d'abnégation
de soi-même et d^avilissement , si commode aux
usurpateurs, on leur eût prêché celle de connoîtrc
l86 MAXIMES ET PENSÉES
leurs droits et le devoir de les défendre, on eût
vu que la nature, qui a formé les hommes pour la
société, leur a donné tout le bon sens nécessaire
pour former une société raisonnable.
Les magistrats chargés de veiller sur l'ordre pu-
blic, tels que le lieutenant criminel, le lieutenant
civil, le lieutenant de police et tant d'autres, fi-
nissent presque toujours par avoir une opinion
horrible de la société. Ils croient connoître les
hommes et n'en connoissent que le rebut. On ne
juge pas d'une ville par ses égouts, et d'une mai-
son par ses latrines. La plupart de ces magistrats
me rappellent toujours le collège oi^i les correcteurs
ont une cabane auprès des commodités, et n'en
sortent que pour donner le fouet.
M... disoit plaisamment qu'à Paris chaque hon-
nête homme contribue à faire vivre les espions de
police, comme Pope dit que les poètes nourrissent
les crit'ques e. les journalistes.
Il y a des choses indevinables pour un jeune
homme bien né. .. Comment se défieroit-on, à vingt
ans, d'un espion de police qui a le cordon rouge?
L'abbé De La Ville vouloit engager à entrer
dans la carrière politique M. de ***, homme mo-
POLITIQ^UES 187
deste et honnête, qui doutoit de sa capacité et qui
5e refusoit à ses invitations. « Eh! Monsieur, lui
dit l'abbé, ouvrez VAlmanach royal! ))
A l'époque de l'Assemblée des notables (1787),
lorsqu'il fut question du pouvoir qu'il falloit ac-
corder aux intendans dans les assemblées provin-
ciales, un certain personnage important leur étoit
très-favorable. On en parla à un homme d'esprit
lié avec lui. Celui-ci promit de le faire changer
d'opinion, et il y réussit. On lui demanda comment
il s'y étoit pris; il répondit : « Je n'ai point insisté
sur les abus tyranniques de l'influence des inten-
dans; mais vous savez qu'il est très-entêté de no-
blesse, et je lui ai dit que de fort bons gentils-
hommes étoient obligés de les appeler Monseigneur
Il a senti que cela étoit énorme, et c'est ce qui l'a
amené à notre avis. »
Définition d'un gouvernement despotique : un
ordre de choses où le supérieur est vil et l'infé-
rieur avili.
Les ministres ont amené la destruction de l'au-
torité royale, comme le prêtre celle de la religion.
Dieu et le roi ont porté la peine des sottises de
leurs valets^
l88 MAXIMES ET PENSÉES POLITIQUES
Un homme disoit naïvement à un de ses amis :
« Nous avons, ce matin, condamné trois hommes
k mort. Il y en avoit deux qui le méritoient bien. )>
«On dit la puissance spirituelle, disoit M..., par
opposition à la puissance bête. Spirituelle, parce
qu'elle a eu l'esprit de s'emparer de l'autorité. »
PETITS DIALOGUES
PHILOSOPHIQUES
DIALOGUE I^^
A. Comment avez-vous fait pour n'être plus
sensible?
B. Cela s'est fait par degrés.
A, Comment?
B. Dieu m'a fait la grâce de n'être plus aimable.
Je m'en suis aperçu, et le reste a été tout seul.
DIALOGUE II.
A. Vous ne voyez plus M... ?
B. Non, il n'est plus possible.
A. Comment?
B. Je l'ai vu tant qu'il n'éioit que de mauvaises
190 PETITS DIALOGUES
mœurs; maïs, depuis qu'il est de mauvaise compa-
gnie, il n'y a pas moyen.
DIALOGUE III.
A. Je suis brouillé avec elle,
B. Pourquoi?
A. J'en ai dit du mal.
B. Je me charge de vous raccommoder... Quel
mal en avez-vous dit?
A. Qu'elle est coquette.
B. Je vous réconcilie.
A. Qu'elle n'est pas belle.
B Je ne m'en mêle plus.
DIALOGUE IV.
A. Croiriez-vous que j'ai vu MP^ de *** pleu-
rer son ami en présence de quinze personnes?
B. Quand je vous disois que c'étoit une femme
qui réussiroit à tout ce qu'elle voudroit entre-
prendre !
DIALOGUE V.
A. Vous marierez-vous?
B. Non.
A. Pourquoi?
jB. Parce que je serois chagrin.
A. Pourquoi?
PHILOSOPHIQ^UES I^I
B. Parce que je serois jaloux.
A. Et pourquoi seriez-vous jaloux?
B. Parce que je serois cocu.
A. Qui vous a dit que vous seriez cocu?
JB. Je serois cocu parce que je le mériterois.
A. Et pourquoi le mériteriez-vous?
B. Parce que je me serois marié.
DIALOGUE VI.
Le Cuisinier, Je n'ai pu acheter ce saumon.
Le Docteur de Sorbonne. Pourquoi?
Le Cuisinier. Un conseiller le marchandoit.
Le Docteur de Sorbonne. Prends ces cent écus,
et va m'acheter le saumon et le conseiller.
DIALOGUE VII.
A. Vous êtes bien au fait des intrigues de nos
ministres.
B. C'est que j'ai vécu avec eux.
A. Vous vous en êtes bien trouvé, j'espère?
B. Point du tout..» Ce sont des joueurs qui m'ont
montré leurs cartes, qui ont même, en ma pré-
sence, regardé dans le talon, mais qui n'ont point
partagé avec moi les profits du gain de la partie.
DIALOGUE VIII.
Le Vieillard. Vous êtes misanthrope de biern
bonne heure! Quel âge avez-vous?
192 PETITS DIALOGUES
Le Jeune Homme. Vingt-cinq ans.
Le Vieillard. Comptez-vous vivre plus de cent
ans ?
Le Jeune Homme. Pas tout à fait.
Le Vieillard. Croyez-vous que les hommes se-
ront corrigés dans soixante-quinze ans?
Le Jeune Homme. Cela seroit absurde à croire.
Le Vieillard. Il faut que vous le pensiez pour-
tant, puisque vous vous emportez contre leurs
vices... Encore cela ne seroit-il pas raisonnable
quand ils seroient corrigés d'ici à soixante-quinze
ans, car il ne vous resteroit plus de temps pour
jouir de la réforme que vous auriez opérée.
Le Jeune Homme. Votre remarque mérite quel-
que considération... J'y penserai.
DIALOGUE IX.
A. Il a cherché à vous humilier.
B. Celui qui ne peut être honoré que par lui-
même n'est guère humilié par personne.
DIALOGUE X.
A. La femme qu'on me propose n'est pas riche.
B. Vous l'êtes.
A, Je veux une femme qui le soit. Il faut bien
s'assortir.
PHILOSOPHIQ^UES IçS
DIALOGUE XI.
A. Je l'ai aimée à la folie; j'ai cru que j'en
mourrois de chagrin,
B. Mourir de chagrin! Mais vous l'avez eue?
A. Oui.
B. Elle vous aimoit?
A. A la fureur, et elle a pensé en mourir aussi.
B. Eh bien ! comment donc pouviez-vous mou-
rir de chagrin?
A. Elle vouloit que je l'épousasse.,
B. Eh bien! Une jeune femme, belle et riche,
■qui vous aimoit, dont vous étiez fou?
A. Cela est vrai; mais épouser, épouser! Dieu
merci, j'en suis quitte à bon marché.
DIALOGUE XIL
A. La place est honnête.
B. Vous voulez dire lucrative.
A. Honnête ou lucratif, c'est tout un.
DIALOGUE XIII.
A. Ces deux femmes sont fort amies, je crois.
B. Amies! là... vraiment?
A. Je le crois, vous dis-je : elles passent leur vie
ensemble. Au surplus, je ne vis pas assez dans leur
Chamfort. I. 2 5
194 PETITS DIALOGUES
société pour savoir si elles s'aiment ou se haïssent.
DIALOGUE XIV.
A. M. de R parle mal de vous.
B. Dieu a mis le contre-poison de ce qu'il peut
dire dans l'opinion qu'on a de ce qu'il peut faire.
DIALOGUE XV.
A. Vous connoissez M. le comte de ***: est-il
aimable?
B. Non. C'est un homme plein de noblesse,
d'élévation, d'esprit, de connoissances : voilà tout.
DIALOGUE XVI.
A. Je lui ferois du mal volontiers.
B. Mais il ne vous en a jamais fait.
A. 11 faut bien que quelqu'un commence.
DIALOGUE XVII.
Damon. Clitandre est plus jeune que son âge.
Il est trop exalté. Les maux publics, les torts de la
société, tout l'irrite et le révolte.
Célimène. Oh! il est jeune encore, mais il a un
bon esprit; il finira par se faire vingt mille livres-
de rente, et prendre son parti sur tout le reste.
PHILOSOPHIQUES 195
DIALOGUE XVIII.
A. Il paroît que tout le mal dit par vous sur
madame de ^** n'est que pour vous conformer au
bruit public : car il me semble que vous ne la con-
naissez point.
B. Moi? Point du tout.
DIALOGUE XIX.
A. Pouvez-vous me faire le plaisir de me mon-
trer le portrait en vers que vous avez fait de ma-
dame de***?
B. Par le plus grand hasard du monde, je l'ai
sur moi.
A. C'est pour cela que je vous le demande.
DIALOGUE XX.
Damon. Vous me paroissez bien revenu des
femmes, bien désintéressé à leur égard.
Clitandre, Si bien que pour peu de chose je vous
dirois ce que je pense d'elles.
Damon. Dites-le-moi.
Clitandre. Un moment. Je veux attendre encore
quelques années. C'est le parti le plus prudent.
196 PETITS DIALOGUES
DIALOGUE XXI.
A. J*ai fait comme les gens sages quand ils font
une sottise.
B. Que font-ils?
A. Ils remettent la sagesse à une autre fois.
DIALOGUE XXIL
A. Voilà quinze jours que'nous perdons. Il faut
pourtant nous remettre...
B. Oui, dès la semaine prochaine.
A. Quoi! sitôt?
DIALOGUE XXIII.
A. On a dénoncé à M. le garde des sceaux
une phrase de M. de L ?
B. Comment retient-on une phrase de L ?
A. Un espion.
DIALOGUE XXIV.
A. Il faut vivre avec les vivans.
B. Cela n'est pas vrai : il faut vivre avec les
morts.
PHILOSOPHIQ^UES I97
DIALOGUE XXV.
A. Non, Monsieur, votre droit n'est point d'être
enterré dans cette chapelle.
B. C^est mon droit : cette chapelle a été balte
par mes ancêtres.
A. Oui; mais il y a eu depuis une transaction
qui ordonne qu'après monsieur votre père, qui est
mort, ce soit mon tour.
B. Non, je n'y consentirai pas. J'ai le droit d'y
être enterré, d'y être enterré tout à l'heure-
DIALOGUE XXVI.
A. Monsieur, je suis un pauvre comédien de
province qui veut rejoindre sa troupe : je n'ai pas
de quoi...
B. Vieille ruse! Monsieur, il n'y a point là d'in-
vention, point de talent.
A. Monsieur, je venois sur votre réputation...
B. Je n'ai point de réputation, et neveux point
en avoir.
A. Ah ! Monsieur!
B, Au surplus, vous voyez à quoi elle sert, et ce
qu'elle rapporte.
190 PETITS DIALOGUES
DIALOGUE XXVII.
A. Vous aimez M^'^ ***. q\\q sera une riche
héritière.
B. Je i'ignorois; je croyois seulement qu'elle
seroit un riche héritage.
DIALOGUE XXVIII.
Le Notaire. Fort bien, Monsieur, dix mille écus
de legs. Ensuite?
Le Mourant. Deux mille écus au notaire.
Le Notaire. Monsieur, mais où prendra-t-on
l'argent de tous ces legs?
Le Mourant. Eh! mais, vraiment, voilà ce qui
m'embarrasse.
DIALOGUE XXIX.
A. M"ie ***^ jeune encore, avoit épousé un
homme de soixante-dix-huit ans, qui lui fit cinq
enfans.
B. Ils n'étoient peut-être pas de lui.
A. Je crois qu'ils en étoient, et je l'ai jugé à la
haine que la mère avoit pour eux.
PHfLOSOPHIQ^UES 199
DIALOGUE XXX.
La Bonne à l'Enfant. Cela vous a-t-il amusée
ou ennuyée?
Le Père. Quelle étrange question ! Plus de sim-
plicité. Ma petite!
La petite Fille. Papa!
Le Père. Quand tu es revenue de cette maison-
là, quelle étoit ta sensation?
DIALOGUE XXXI.
A. Connoissez-vous M™^ de B...?
B. Non.
A. Mais vous l'avez vue souvent?
B. Beaucoup.
A. Eh bien?
B. Je ne l'ai pas étudiée.
A. J'entends.
DIALOGUE XXXIL
Clitandre. Mariez-vous.
Damis. Moi! point du tout. Je suis bien avec
moi, je me conviens, et je me suffis. Je n'aime
point, je ne suis point aimé. Vous voyez que c'est
comme si j'étois en ménage, ayant maison et vingt-
cinq personnes à souper tous les jours.
200 PETITS DIALOGUES
DIALOGUE XXXIÎI.
A. M. de *** vous trouve une conversation
charmante.
B. Je ne dois pas mon succès à mon partner
lorsque je cause avec lui.
DIALOGUE XXXIV.
A. Concevez-vous M. ***? Comme il a été peu
étonné d'une infamie qui nous a confondus!
B. Il n'est pas plus étonné des vices d'autrui
que des siens.
DIALOGUE XXXV.
A. Jamais la cour n'a été si ennemie des gens
d'esprit.
jB. Je le crois : jamais elle n'a été plus sotte;
et quand les deux extrêmes s'éloignent, le rappro-
chement est plus difficile.
DIALOGUE XXXVI.
Damon. Vous marierez-vous ?
Clitandre. Quand je songe que, pour me marier,
il faudroit que j'aimasse, il me paroît non pas im-
possible, mais difficile que je me marie ; mais quand
je songe qu'il faudroit que j'aimasse et que je fusse
PHILOSOPHIQUES 20I
aimé, alors je crois qu'il est impossible que je me
marie.
DIALOGUE XXXVII.
Damon- Pourquoi n'avez-vous rien dit quand
on a parlé de M. ***?
Clitandre. Parce que j'aime mieux que l'on
calomnie mon silence que mes paroles.
DIALOGUE XXXVIII.
Madame de ***. Qui est-ce qui vient vers nous?
Madame de C... C'est M^e de Ber .
Madame de ***. Est-ce que vous laconnoissez?
Madame de C... Comment! vous ne vous sou-
venez donc pas du mal que nous en avons dit hier ?
DIALOGUE XXXIX.
A. Ne pensez-vous pas que le changement
arrivé dans la constitution sera nuisible aux beaux-
arts ?
B Au contraire. Il donnera aux âmes, aux génies,
un caractère plus ferme, plus noble, plus imposant.
Il nous restera le goût, fruit des beaux ouvrages
du siècle de Louis XIV, qui, se mêlant à l'énergie
nouvelle qu'aura prise l'esprit national, nous fera
26
202 PETITS DIALOGUES
sortir du cercle des petites conventions qui avoient
DIALOGUE XL.
A. Détournez la tête, voilà M. de L...
B. N'ayez pas peur: il a la vue basse.
A. Ah! que vous me faites de plaisir! Moi, j'ai
la vue longue, et je vous jure que nous ne nous
rencontrerons jamais.
DIALOGUE XLI.
SUR UN HOMME SANS CARACTERE.
Dorante. Il aime beaucoup M. de B...
Philinte. D'où le sait-il? qui lui a dit cela?
DIALOGUE XLII.
DE DEUX COURTISANS.
A. Il y a long-temps que vous n'avez vu M. Tur-
got?
B. Oui.
A. Depuis sa disgrâce, par exemple?
B. Je le crois : j'ai peur que ma présence ne lui
rappelle l'heureux temps où nous nous rencontrions
tous les jours chez le roi.
PHILOSOPHIQUES 2o3
DIALOGUE XLIII.
DU ROI DE PRUSSE ET DE d'aRGET
Le Koi. Allons, d'Arget, divertis-moi : conte-
moi l'étiquette du roi de France. Commence par
son lever.
(Alors d^Arget entre dans tout le détail de ce
qui se fait; dénombre les officiers, valets de cham-
bre, leurs fonctions, etc.)
Le Koi (en éclatant de rire). Ah ! grand Dieu ! si
j'étois roi de France, je ferois un autre roi pour
faire toutes ces choses-là à ma place.
DIALOGUE XLIV.
DE l'empereur et DU ROI DE NAPLES.
Le Koi. Jamais éducation ne fut plus négligée
que la mienne.
L'Empereur. Comment? [A part.) Cet homme
vaut quelque chose.
Le Koi. Figurez-vous qu'à vingt ans je ne savois
pas faire une fricassée de poulet; et le peu de cui-
sine que je sais, c'est moi qui me le suis donné.
DIALOGUE XLV.
entre madame de B... et MONSIEUR DE L...
Monsieur de L... C'est une plaisante idée de
204 PETITS DIALOGUES
nous faire dîner tous ensemble. Nous étions sept,
sans compter votre mari.
Madame de B... J'ai voulu rassembler tout ce
que j'ai aimé, tout ce que j'aime encore d'une
manière différente, et qui me le rend. Cela prouve
qu'il y a encore des mœurs en France; car je n'ai
eu à me plaindre de personne, et j'ai été fidèle à
chacun pendant son règne.
Monsieur de L... Cela est vrai; il n'y a que
votre mari qui, à toute force, pourroit se plaindre.
Madame de B... J'ai bien plus à me plaindre de
lui, qui m'a épousée sans que je l'aimasse.
Monsieur de L... Cela est juste. A propos, mais
un tel, vous ne me l'avez point avoué : est-ce
avant ou après moi ?
Madame de B... C'est avant. Je n'ai jamais osé
vous le dire : j'étois si jeune quand vous m'avez
eue !
Monsieur de L... Une chose m'a surpris.
Madame de B... Qu'est-ce?
Monsieur de L... Pourquoi n'aviez-vous pas prié
le chevalier de S... ? Il nous manquoit.
Madame de B... J'en ai été bien fâchée. Il est
parti il y a un mois pour l'Isle de France.
Monsieur de L... Ce sera pour son retour.
PHILOSOPHIQ^UES 2o5
DIALOGUE XLVI.
ENTRE LES MEMES.
Monsieur de L... Ah! ma chère amie, nous
sommes perdus : votre mari sait tout.
Madame de B... Comment? Quelque lettre sur-
prise ?
Monsieur de L... Point du tout.
Madame de B... Une indiscrétion? une mé-
chanceté de quelques-uns de nos amis?
Monsieur de L... Non,
Madame de B... Eh bien! quoi? qu'est-ce?
Monsieur de L... Votre mari est venu ce matin
m'emprunter cinquante louis.
Madame de B... Les lui avez-vous prêtés?
Monsieur de L... Sur-le-champ.
Madame de B... Oh bien ! il n'y a pas de mal :
il ne sait plus rien.
DIALOGUE XLVII.
ENTRE QUELQUES PERSONNES, APRES LA PREMIERE RE-
PRESENTATION DE l'opéra DES DANAIDES, PAR LE
BARON DE TSCHOUDY.
/4. Il y a dans cet opéra quatre-vingt-aix-huit
morts.
2o6 PETITS DIALOGUES
jB. Comment?
C. Oui. Toutes les filles de Danaùs, hors Hy-
permnestre, et tous les fils d'Égyptus, hors Lyncée.
D. Cela fait bien quatre-vingt-dix-huit morts.
E., médecin de profession. Cela fait bien des
morts; mais il y a en effet bien des épidémies.
F., prêtre de son métier. Dites-moi un peu , dans
quelle paroisse cette épidémie s'est-elle déclarée ?
Cela a dû rapporter beaucoup au curé.
DIALOGUE XLVIII.
ENTRE d'aLEMBERT ET UN SUISSE DE PORTE.
Le Suisse. Monsieur, où allez-vous?
D'Alembert. Chez M. de ***.
Le Suisse. Pourquoi ne me parlez-vous pas?
D'Alemhert. Mon ami, on s'adresse à vous pour
savoir si votre maître est chez lui.
Le Suisse. Eh bien donc ?
D*Alembert. Je sais qu'il y est, puisqu'il m*a
donné rendez-vous.
Le Suisse. Cela est égal; on parle toujours. Si
on ne me parle pas, je ne suis rien.
DIALOGUE XLIX.
ENTRE LE NONCE PAMPHILl ET SON SECRETAIRE.
Le Nonce. Qu'est-ce qu'on dit de moi dans le
monde?
PHILOSOPHIQUES 20'j
Le Secrétaire. On vous accuse d'avoir empoisonné
un tel, votre parent, pour avoir sa succession.
Le Nonce. Je l'ai fait empoisonner, mais pour
une autre raison. Après?
Le Secrétaire. D'avoir assassiné la Signora... pour
vous avoir trompé.
Le Nonce. Point du tout : c*est parce que je
craignois pour un secret que je lui avois confié.
Ensuite ?
Le Secrétaire. D'avoir donné la à un de nos
pages.
Le Nonce. Tout le contraire : c'est lui qui me l'a
donnée. Est-ce là tout?
Le Secrétaire. On vous accuse de faire le bel esprit,
de n'être point l'auteur de votre dernier sonnet.
Le Nonce. Cazzo! Coquin ! sors de ma présence.
DIALOGUE L.
* A Je n'en sais rien; mais on le dit, et je le
crois.
B. Vous commencez par croire, et c'est peut-
être ce que n'ont pas fait ceux qui ont mis ce bruit-
là dans le monde.
DIALOGUE Lï.
* Vous m'aviez dit que c'étoit un honnête
homme.
20Ô PETITS DIALOGUES
Non ; je vous ai dit que c'étoit un assez honnête
homme.
DIALOGUE LU.
* A. Vous m'avez accusé de malhonnêteté?
B. Cela n'est pas vrai. Au surplus, quel mal cela
vous fait-il? On sait bien que Ton n'est pas pendu
pour être malhonnête.
DIALOGUE LUI.
^ A. W n'a pu vous voir; il a eu des affaires.
jB. Je le crois : comme il n'en finit aucune, il
ne sauroit manquer d'en avoir toujours beaucoup.
DIALOGUE LIV
* Dovincoiirt. Je le lui ferai entendre à lui-r
même; je lui dirai : Monsieur.. o
Aramont. Si vous lui disiez Mons/eur, toute con-
versation finiroit, car il n'aime à être appelé que
Monseigneur.
DIALOGUE LV.
ENTRE UN MAITRE ET SON VALET.
* Le Maître. Coquin, depuis que ta femme est
PHILOSOPHIQ^UES 209
TTiorte, je m'aperçois que tu t'enivres tous les jours.
Tu ne t'enivrois autrefois que deux ou trois fois
par semaine. Je veux que tu te remaries dès de-
main.
Le Valet. Ah ! Monsieur, laissez quelques jours
à ma douleur!
DIALOGUE LVI.
* — Je suppose, Monsieur, que vous me devez
dix mille écus..
— Monsieur, prenez, je vous prie, une autre
hypothèse.
DIALOGUE LVII.
d'un homme brouillé avec un ancien ami.
* A. Je vous parle de M. de L...
B. Je ne le connois pas.
vl.Queme dites-vous là? Je vous ai vus très-bien.
B. Je croyois le connoître.
DIALOGUE LVIII.
* B. Ne trouvez-vous pas M... très-aimable?
C. Pas autrement.
B. Cela est extraordinaire.
C. Il l'est davantage que vous le trouviez tel.
Chainfort. I. 27
2IO PETITS DIALOGUES
B. Je n'en reviens pas. Vous ne l'avez peut-être
jamais vu que chez lui; il faut le voir dans les mai-
sons où il est à son aise. (C'étoit un homme que sa
femme maîtrisoit au point de V empêcher déparier.)
DIALOGUE LIX.
* A. Cet homme a-t-il de l'esprit? (Il parioit.)
B. Vous ressemblez aux gens qui demandent
l'heure qu'il est tandis que la pendule sonne.
DIALOGUE LX.
* A. Vous avez trop mauvaise opinion des
hommes : il se fait beaucoup de bien.
B, Le diable ne peut pas être partout.
DIALOGUE LXI.
* A. N'auriez-vous pas besoin d'argent?
B. Toujours.
DIALOGUE LXII.
* Madenwiselle ***. Je lui ai confié notre amour ;
je lui ai tout dit.
JB. Comment avez-vous tourné cela?
Mademoiselle***. Je lui ai prononcé votre nom.
PHILOSOPHIQ^UES
DIALOGUE LXIII.
* A. On dit que vous voulez épouser M^'e ***.
jB. Non. Quel étrange propos!
A. Pourquoi pas?
B. Le nœud est trop fort pour l'intrigue.
DIALOGUE LXIV.
* Cleon. Je ne vous vois pas. C'est que votre
mari n'est pas fait comme un autre homme.
Céphise. Il croit par là éviter de ressembler à
tous les maris.
DIALOGUE LXV.
* A. Mme de *** vous trouve très-aimable.
B. J'ai cela de bon que je fais peu de cas de
mes succès.
DIALOGUE LXVI.
* Cidalise. Vous aimez ma sœur : elle n'a pour^
tant pas d'esprit.
Dorise. Cela est vrai, et je ne m'en pique point.
Damon. Vous avez plus d'esprit que moi : car
sans m'aimer vous avez l'esprit de me plaire, et
moi je n'ai pas celui de vous claire en vous aimant.
212 PETITS DIALOGUES
DIALOGUE LXVII.
* A, Si vous faites cela, je ne vous le pardonne-
rai jamais.
B. Parbleu! c'est bien ce que j'espère.
DIALOGUE LXVIII.
* A. Je dois me défier de tout le monde, à ce
qu'il prétend.
B. Eh bien?
A. Je fais ce qu'il ordonne, à commencer par
lui.
DIALOGUE LXIX.
* A. Vous avez beaucoup à vous plaindre de son
ingratitude.
B. Pensez-vous que lorsque je fais le bien je
n'aye pas l'esprit de le faire pour moi?
DIALOGUE LXX.
* Céline. Il ne m'aime pas.
Damon. Comment vous aimeroit-il? vous réu-
nissez presque toutes les perfections.
Céline. Eh bien?
PHILOSOPHIQUES 2l3
Damon. L'amour aime qu'elles soient son ou-
vrage. Il n'a rien à parer chez vous. Son imagina-
tion ne peut ni créer ni embellir. Elle reste en
repos.
DIALOGUE LXXI.
* Chloé. Madame, n'avez-vous jamais été jeune?
Artémise. Jamais tant que vous, Madame.
DIALOGUE LXXII.
* A. Il faut le quitter.
B. Le quitter! Plutôt la mort!... Que me con-
seillez-vous ?
DIALOGUE LXXIII.
^ Damon (au bal, à Églé sous le masque). Êtes-
vous jolie?
Eglé. Je l'espère.
QUESTION
Pourquoi ne donnez-vous plus rien au public?
RÉPONSES.
C'est que le public me paroît avoir le comble
du mauvais goût et la rage du dénigrement.
C'est qu'un homme raisonnable ne peut agir
sans motif, et qu'un succès ne me feroit aucun
plaisir, tandis qu'une disgrâce me feroit peut-être
beaucoup de peine.
C'est que je ne dois pas troubler mon repos,
parce que la compagnie prétend qu'il faut divertir
la compagnie.
C'est que je travaille pour les Variétés Amu-
santes, qui sont le théâtre de la nation, et que je
mène de front avec cela un ouvrage philosophique,
qui doit être imprimé à l'Imprimerie royale.
C'est que le public en use avec les _gens de
2l6 Q^UESTION
lettres comme les racoleurs du pont Saint-Micheî
avec ceux qu'ils enrôlent : enivrés le premier jour,
dix écus; et des coups de bâton le reste de la vie.
C'est qu'on me presse de travailler par la même
raison que, quand on se met à sa fenêtre, on sou-
haite de voir passer dans la rue des singes ou
des meneurs d'ours.
Exemple de M. Thomas insulté pendant toute
sa vie et loué après sa mort.
Gentilshommes de la chambre, comédiens, cen-
seurs, la police, Beaumarchais.
C'est que j'ai peur de mourir sans avoir vécu.
C'est que tout ce qu'on me dit pour m'engager
à me produire est bon à dire à Saint-Ange et à
Murville.
C'est que j'ai à travailler, et que les succès per-
dent du temps.
C'est que je ne voudrois pas faire comme les
gens de lettres, qui ressemblent à des ânes ruant
et se battant devant un râtelier vide.
C'est que, si j'avois donné à mesure les baga-
telles dont je pouvois disposer, il n'y auroit plus
pour moi de repos sur la terre.
C'est que j'aime mieux l'estime des honnêtes
gens et mon bonheur particulier que quelques
éloges, quelques écus, avec beaucoup d'injures et
de calomnies.
C'est que, s'il y a un homme sur la terre qui ait
Q^UESTION 217
le droit de vivre pour lui, c'est moi, après les mé-
chancetés qu'on m'a faites à chaque succès que
j'ai obtenu.
C'est que jamais, comme dit Bacon, on n'a vu
marcher ensemble la gloire et le repos.
Parce que le public ne s'intéresse qu'aux succès
qu'il n'estime pas.
Parce que je resterois à moitié chemin de la
gloire de Jeannot.
Parce que j'en suis à ne plus vouloir plaire qu'à
qui me ressemble.
C'est que plus mon affiche littéraire s'efface,
plus je suis heureux.
C'est que j'ai connu presque tous les hommes
célèbres de notre temps, et que je les ai vus mal-
heureux par cette belle passion de célébrité, et
mourir après avoir dégradé par elle leur caractère
moral.
QUESTION
Si, dans la société , un homme doit ou peut laisser
prendre sur lui ces droits qui souvent humilient
V amour-propre.
Cette question est plus difficile à résoudre qu'elle
ne le paroît d'abord. Ceux qui sont pour l'affir-
mative prétendent que l'amitié véritable est un
contrat par lequel chacune des parties consacre à
l'autre toute son existence. Ils disent que, si l'ami-
tié ne laisse pas le droit de donner des secours à
son ami, ou d'en recevoir, elle est une chimère
ridicule; que son principal bonheur consiste à lever
ou déchirer ce voile de décence que les hommes
ont jeté sur leurs besoins pour se dispenser de se
secourir, en continuant de se prodiguer les marques
de l'affection la plus vive; que c'est celui qui donne
qui est honoré et obligé, etc.
Ceux qui sont pour la négative me paroissent
appuyer leur opinion par des raisons plus solides.
Ils disent que l'amitié étant une union pure des
(QUESTION 219
âmes, elle ne doit pas se laisser soupçonner d'un
autre motif. On peut appliquer cette réflexion à
l'amour même. En tout état de cause, on fait tou-
jours très-bien de ne donner que le moins qu'on
peut atteinte à cette règle. Celui qui reçoit n'ac-
cepte sûrement que parce qu'il respecte l'âme de
celui qui donne; mais d'où sait-il que cette âme
ne se dégradera point? et alors quel désespoir de
lui avoir obligation! D'où sait-il que cette âme,
en supposant qu'elle reste noble, ne cessera point
de l'aimer, voudra bien ne jamais se prévaloir de
ses avantages? Quelle âme il faut avoir pour laisser
à celle d'un autre la liberté de tous ses mouve-
mens, tandis que je pourrois les contraindre et les
diriger vers mon bonheur apparent ! Ce sacrifice
continuel de mon intérêt est peut-être plus difficile
que le sacrifice momentané de ma personne; et le
bienfaiteur qui en est capable a nécessairement
l'avantage sur celui qu'il a obligé, en leur suppo-
sant d'ailleurs une égale élévation dans le caractère.
Or j'ai peine à croire que l'homme puisse sup-
porter l'idée de la supériorité d'une âme sur la
sienne. J'en juge par la peine avec laquelle les
âmes les plus fortes voient une supériorité fondée
sur des choses moins essentielles. Il suit au moins
de tout ceci que dès que je reçois un bienfait, je
m'engage, pour mon bienfaiteur, qu'il sera tou-
jours vertueux, qu'il n'aura jamais tort avec moi;
2 20 (QUESTION
qu'il ne cessera point de m'aimer, ni moi de lui
être attaché. Si les deux premières de ces condi-
tions n'ont pas lieu, c'est au bienfaiteur à rougir;
mais celui qui a reçu le bienfait doit pleurer.
ELOGE
DE LA FONTAINE
Discours qui a remporté le prix de l'Académie
de Marseille en 1774.
iEsopo ingentem statuam posuere Attici.
Phed., 1. II, EpUog.
fpj)X^^jj^ plus modeste des écrivains, La Fon-
I^^r^taine, a lui-même, sans le savoir, fait
Si l'apologue est un présent des hommes,
Celui qui nous l'a fait mérite des autels.
C'est lui qui a fait ce présent à l'Europe; et
c'est vous, Messieurs, qui, dans ce concours so-
lennel, allez, pour ainsi dire, élever en son honneur
222 ELOGE
Tautel que lui doit notre reconnoissance. Il semble
qu'il vous soit réservé d'acquitter la nation envers
deux de ses plus grands poètes, ses deux poètes
les plus aimables. Celui que vous associez aujour-
d'hui à Racine, non moins admirable par ses écrits,
enco-re plus intéressant par sa personne, plus simple,
plus près de nous, compagnon de notre enfance,
est devenu pour nous un ami de tous les momens.
Mais, s'il est doux de louer La Fontaine, d'avoir
à peindre le charme de cette morale indulgente
qui pénètre dans le cœur sans le blesser, amuse
l'enfant pour en faire un homme, l'homme pour
en faire un sage , et nous mèneroit à la vertu en
nous rendant à la nature, comment découvrir le
secret de ce style enchanteur, de ce style inimitable
et sans modèle, qui réunit tous les tons sans blesser
l'unité? Comment parler de cet heureux instinct
qui sembla le diriger dans sa conduite comme dans
ses ouvrages; qui se fait également sentir dans la
douce facilité de ses mœurs et de ses écrits, et
forma d'une âme si naïve et d'un esprit si fin un
ensemble si piquant et si original? Faudra-t-il
raisonner sur le sentiment, disserter sur les grâces,
et ennuyer nos lecteurs pour montrer comment
La Fontaine a charmé les siens? Pour moi. Mes-
sieurs, évitant de discuter ce qui doit être senti,
et de vous offrir l'analyse de la naïveté, je tâcherai
seulement de fixer vos regards sur le charme de sa
DE LA FONTAINE 223
morale, sur la finesse exquise de son goût, sur
l'accord singulier que l'un et l'autre eurent tou-
jours avec la simplicité de ses mœurs; et, dans
ces différens points de vue, je saisirai rapidement
les principaux traits qui le caractérisent.
PREMIÈRE PARTIE.
L'apologue remonte à la plus haute antiquité,
car il commença dès qu'il y eut des tyrans et des
esclaves : on offre de face la vérité à son égal ;
on la laisse entrevoir de profil à son maître. Mais,
quelle que soit l'époque de ce bel art, la philosophie
s'empara bientôt de cette invention de la servitude,
et en fit un instrument de la morale. Lokman et
Pilpay dans l'Orient, Ésope et Gabrias dans la
Grèce, revêtirent la vérité du voile transparent de
Tapologue; mais le récit d'une petite action réelle
ou allégorique, aussi diffus dans les deux premiers
que serré et concis dans les deux autres, dénué des
charmes du sentiment et de la poésie, découvroit
trop froidement, quoique avec esprit, la moralité
qu'il présentoit. Phèdre, né dans l'esclavage comme
ses trois premiers prédécesseurs, n'affectant ni le
laconisme excessif de Gabrias, ni même la brièveté
d'Esope, plus élégant, plus orné, parlant à la cour
d'Auguste le langage de Térence ; Faërne, car
224 ÉLOGE
j'omets Avienus, trop inférieur à son devancier;
Faërne, qui dans sa latinité du seizième siècle
sembleroit avoir imité Phèdre, s'il avoit pu con-
noître des ouvrages ignorés de son temps, ont
droit de plaire à tous les esprits cultivés, et leurs
bonnes fables donneroient même l'idée de la per-
fection dans ce genre si la France n'eût produit
un homme unique dans l'histoire des lettres, qui
devoit porter la peinture des mœurs dans l'apo-
logue et l'apologue dans le champ de la poésie.
C'est alors que la fable devient un ouvrage de gé-
nie, et qu'on peut s'écrier, comme notre fabuliste,
dans l'enthousiasme que lui inspire ce bel art :
C'est proprement un charme. Oui, c'en est un sans
doute; mais on ne l'éprouve qu'en lisant La Fon-
taine, et c'est à lui que le charme a commencé.
L'art de rendre la morale aimable existoit à peine
parmi nous. De tous les écrivains profanes, Mon-
taigne seul (car pourquoi citerois-je ceux qu'on ne
lit plus?) avoit approfondi avec agrément cette
science si compliquée, qui, pour l'honneur du
genre humain, ne devroit pas même être une
science. Mais, outre l'inconvénient d'un langage
déjà vieux, sa philosophie audacieuse, souvent
libre jusqu'au cynisme, ne pouvoit convenir ni à
tous les âges ni à tous les esprits; et son ouvrage,
précieux à tant d'égards, semble plutôt une pein-
ture fidèle des inconséquences de l'esprit humain
DE LA FONTAINE 225
qu'un traité de philosophie pratique. Il nous falloit
un livre d'une morale douce, aimable, facile, appli-
cable à toutes les circonstances, faite pour tous les
états, pour tous les âges, et qui pût remplacer
enfin, dans l'éducation de la jeunesse,
Les quatrains de Pibrac et les doctes sentences
Du conseiller Mathieu :
( Molière. )
car c'étoient là les livres de l'éducation ordinaire.
La Fontaine cherche ou rencontre le genre de la
fable, que Quintilien regardoit comme consacré à
l'instruction de l'ignorance. Notre fabuliste, si
profond aux yeux éclairés, semble avoir adopté
l'idée de Quintilien : écartant tout appareil d'in-
struction, toute notion trop compliquée, i! prend
sa philosophie dans les sentimens universels, dans
les idées généralement reçues, et pour ainsi dire
dans la morale des proverbes, qui, après tout, sont
le produit de l'expérience de tous les siècles. C'étoit
le seul moyen d'être à jamais l'homme de toutes
les nations, car la morale, si simple en elle-même,
devient contentieuse au point de former des sectes
lorsqu'elle veut remonter aux principes d'où dé-
rivent ses maximes, principes presque toujours con-
testés. Mais La Fontaine, en partant des notions
£ommunes et des sentimens nés avec nous, ne voit
Chamfort. — I 29
22b ELOGE
point dans l'apologue un simple récit qui mène à
une froide moralité; il fait de son livre
Une ample comédie à cent acteurs divers.
C'est en effet comme de vrais personnages dra-
matiques qu'il faut les considérer, et, s'il n'a point
la gloire d'avoir eu le premier cette idée si heureuse
d'emprunter aux différentes espèces d'animaux
l'image des difîérens vices que réunit la nôtre ;
s'ils ont pu se dire comme lui ;
Le roi de ces gens-là n'a pas moins de défauts
Que ses sujets...
lui seul a peint les défauts que les autres n'ont
fait qu'indiquer. Ce sont des sages qui nous con-
seillent de nous étudier; La Fontaine nous dispense
de cette étude en nous montrant à nous-mêmes,
différence qui laisse le moraliste à une si grande
distance du poète. La bonhomie réelle ou apparente
qui lui fait donner des noms, des surnoms, des mé-
tiers, aux individus de chaque espèce; qui lui fait
envisager les espèces mêmes comme des républi-
ques, des royaumes, des empires, est une sorte de
prestige qui rend leur femte existence réelle aux
yeux de ses lecteurs. Ratopolis devient une grande
capitale, et l'illusion où il nous amène est le fruit
de l'illusion parfaite où il a su se placer lui-même.
Ce genre de talent si nouveau, dont ses devanciers
DE LA FONTAINE 227
n'avoient pas eu besoin pour peindre les premiers
traits de nos passions ', devient nécessaire à La Fon-
taine, qui doit en exposer à nos yeux les nuances
les plus délicates : autre caractère essentiel, né de
ce génie d'observation dont Molière étoit si frappé
dans notre fabuliste.
Je pourrois, Messieurs, saisir une multitude de
rapports entre plusieurs personnages de Molière
et d'autres de La Fontaine, montrer entre eux des
ressemblances frappantes dans la marche et dans le
langage des passions; mais, négligeant les détails
de ce genre, j'ose considérer l'auteur des fables
d'un point de vue plus élevé. Je ne cède point au
I. Qui peint le mieux, par exemple, les effets de la pré-
vention, ou M. de Sotenville repoussant un homme à jeun,
et lui disant : Retirez-vous, vous puez le vin; ou l'ours qui,
s'écartant d'un corps qu'il prend pour un cadavre, se dit à
lui-même : Otons-nous, car il sent? Et le chien, dont le
raisonnement seroit fort bon dans la bouche d'un maître,
mais qui, n'étant que d'un simple chien, fut trouvé fort
mauvais, ne rappelle-t-il pas Sosie?
Tous mes discours sont des sottises.
Partant d'un homme sans éclat •
Ce seroient paroles exquises
Si c'étoit un grand qui parlât.
On pourroit rapprocher plusieurs traits de cette espèce;
mais il suffit d'en citer quelques exemples. La Fontaine est,
après la nature et Molière, la meilleure étude d'un poète
comique.
220 ELOGE
vain désir d'exagérer mon sujet, maladie trop
commune de nos jours; mais, sans méconnoître
l'intervalle immense qui sépare l'art si simple de
l'apologue et l'art si compliqué de la comédie,
j'observerai, pour être juste envers La Fontaine, que
la gloire d'avoir été avec Molière le peintre le
plus fidèle de la nature et de la société doit rap-
procher ici ces deux grands hommes. Molière,
dans chacune de ses pièces, ramenant la peinture
des mœurs à un objet philosophique, donne à la
comédie la moralité de l'apologue; La Fontaine,
transportant dans ses fables la peinture des mœurs,
donne à l'apologue une des grandes beautés de la
comédie : les caractères. Doués tous les deux au
plus haut degré du génie d'observation , génie
dirigé dans l'un par une raison supérieure , guidé
dans l'autre par un instinct non moins précieux,
ils descendent dans le plus profond secret de nos
travers et de nos foiblesses; mais chacun, selon la
double différence de son genre et de son caractère,
les exprime différemment. Le pinceau de Molière
doit être plus énergique et plus ferme, celui de
La Fontaine plus délicat et plus fin. L'un rend les
grands traits avec une force qui le montre comme
supérieur aux nuances; l'autre saisit les nuances
avec une sagacité qui suppose la science des
grands traits. Le poëte comique semble s'être
plus attaché aux ridicules, et a peint quelquefois
DE LA FONTAINE 229
les formes passagères de la société; le fabuliste
semble s'adresser davantage aux vices, et a peint
une nature encore plus générale. Le premier me
fait plus rire de mon voisin; le second me ramène
plus à moi-même. Celui-ci me venge davantage
des sottises d'autrui; celui-là me fait mieux songer
aux miennes. L'un semble avoir vu les ridicules
comme un défaut de bjenséance, choquant pour
la société; l'autre, avoir vu les vices comme un
défaut de raison, fâcheux pour nous-mêmes. Après
la lecture du premier, je crains l'opinion publique;
après la lecture du second, je crains ma conscience.
Enfin l'homme corrigé par Molière, cessant d'être
ridicule, pourroit demeurer vicieux; corrigé par La
Fontaine, il ne seroit plus ni vicieux ni ridicule : il
seroit raisonnable et bon, et nous nous trouverions
vertueux, comme La Fontaine étoit philosophe,
sans nous en douter.
Tels sont les principaux traits qui caractérisent
chacun de ces grands hommes, et, si l'intérêt
qu'inspirent de tels noms me permet de joindre à
ce parallèle quelques circonstances étrangères à
leur mérite, j'observerai que, nés l'un et l'autre
précisément à la même époque, tous deux sans
modèle parmi nous, sans rivaux, sans successeurs,
liés pendant leur vie d'une amitié constante, la
même tombe les réunit après leur mort, et que la
même poussière couvre les deux écrivains les plus
23o ÉLOGE
originaux que la France ait jamais produits '.
Mais ce qui distingue La Fontaine de tous les
moralistes, c'est la facilité insinuante de sa morale;
c'est cette sagesse, naturelle comme lui-même, qui
paroît n'être qu'un heureux développement de son
instinct. Chez lui, la vertu ne se présente point
environnée du cortège effrayant qui l'accompagne
d'ordinaire : rien d'affligeant, rien de pénible.
Offre-t-il quelque exemple de générosité, quelque
sacrifice, il le fait naître de l'amour, de l'amitié,
d'un sentiment si simple, si doux, que ce sacrifice
même a dû paroître un bonheur. Mais, s'il écarte
en général les idées tristes d'efforts, de privations,
de dévouement, il semble qu'ils cesseroient d'être
nécessaires et que la société n'en auroit plus
besoin. Il ne vous parle que de vous-même ou
pour vous-même, et de ses leçons, ou plutôt de
ses conseils, naîtroit le bonheur général. Combien
cette morale est supérieure à celle de tant de phi-
losophes qui paroissent n'avoir point écrit pour
des hommes, et qui taillent, comme dit Montaigne,
nos obligations à la raison d^un autre être! Telles
sont, en effet, la misère et la vanité de l'homme,
qu'après s'être mis au-dessous de lui-même par ses
vices, il veut ensuite s'élever au-dessus de sa na-
I . Ils ont été enterrés dans l'église Saint-Joseph, rue Mont-r-
martre.
DE LA FONTAINE 23l
ture par le simulacre imposant des vertus auxquelles
il se condamne, et qu'il deviendroit, en réalisant
les chimères de son orgueil, ausài méconnoissable
à lui-même par sa sagesse qu'il l'est en effet par
sa folie. Mais, après tous ces vains efforts, rendu
à sa médiocrité naturelle, son cœur lui répète ce
mot d'un vrai sage : que c'est une cruauté de vou-
loir élever l'homme à tant de perfection. Aussi
tout ce faste philosophique tombe-t-il devant la
raison simple, mais lumineuse, de La Fontaine.
Un ancien osoit dire qu'il faut combattre souvent
les lois par la nature : c'est par la nature que La
Fontaine combat les maximes outrées de la phi-
losophie. Son livre est la loi naturelle en action •
c'est la morale de Montaigne épurée dans une
âme plus douce, rectifiée par un sens encore plus
droit , embellie des couleurs d'une imagination
plus aimable, moins forte peut-être, mais non pas
moins brillante.
N'attendez point de lui ce fastueux mépris de
la mort qui, parmi quelques leçons d'un courage
trop souvent nécessaire à l'homme, a fait débiter
aux philosophes tant d'orgueilleuses absurdités.
Tout sentiment exagéré n'avoit point de prise sur
son âme, s'en écartoit naturellement, et la facilité
même de son caractère sembloit l'en avoir pré-
servé. La Fontaine n'est point le poëte de l'hé-
roïsme ' il est celui de la vie commune, de la raison
232 i:loge
vulgaire. Le travail, la vigilance, l'économie, la
prudence sans inquiétude, l'avantage de vivre avec
ses égaux, le besoin qu'on peut avoir de ses infé-
rieurs, la modération, la retraite : voilà ce qu'il
aime et ce qu'il fait aimer. L'amour, cet objet de
tant de déclamations,
Ce mal qui peut-être est un bien,
dit La Fontaine, il le montre comme une foiblesse
naturelle et intéressante. Il n'affecte point ce mé-
pris pour l'espèce humaine qui aiguise la satire
mordante de Lucien, qui s'annonce hardiment
dans les écrits de Montaigne, se découvre dans la
folie de Rabelais, et perce quelquefois même dans
l'enjouement d'Horace. Ce n'est point cette aus-
térité qui appelle, comme dans Boileau , la plai-
santerie au secours d'une raison sévère, ni cette
dureté misanthropique de La Bruyère et de Pascal^
qui, portant le flambeau dans l'abîme du cœur
humain, jette une lueur effrayante sur ses tristes
profondeurs. Le mal qu'il peint, il le rencontre :
les autres l'ont cherché. Pour eux, nos ridicules
sont des ennemis dont ils se vengent; pour La
Fontaine, ce sont des passans incommodes dont il
songe à se garantir. Il rit et ne hait point'. Cen-
seur assez indulgent de nos foiblesses, l'avarice est
I . Ridet et odit. Juvénal.
DE LA FONTAINE 233
de tous nos travers celui qui paroît le plus révolter
son bon sens naturel. Mais, s'il n'éprouve et n'in-
spire point
Ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses,
au moins préserve-t-il ses lecteurs du poison de la
misanthropie, effet ordinaire de ces haines. L'âme,
après la lecture de ses ouvrages, calme, reposée,
et pour ainsi dire rafraîchie comme au retour
d'une promenade solitaire et champêtre, trouve en
soi-même une compassion douce pour l'humanité,
une résignation tranquille à la Providence, à la né-
cessité, aux lois de Tordre établi; enfin l'heureuse
disposition de supporter patiemment les défauts
d'autrui, et même les siens, leçon qui n'est peut-
être pas une des moindres que puisse donner la
philosophie.
Ici, Messieurs, je réclame pour La Fontaine
l'indulgence dont il a fait l'âme de sa morale; et
déjà l'auteur des fables a sans doute obtenu la
grâce de l'auteur des contes, grâce que ses der-
niers momens ont encore mieux sollicitée. Je le
vois, dans son repentir, imitant en quelque sorte
ce héros dont il fut estimé '_, qu'un peintre ingé-
nieux nous représente déchirant de son histoire le
I . Le grand Condé.
3o
2^4 ÉLOGE
récit des exploits que sa vertu condamnoit; et,
si le zèle d'une pieuse sévérité reprochoit encore
à La Fontaine une erreur qu'il apleurée lui-même,
j'observerois qu'elle prit sa source dans l'extrême
simplicité de son caractère : car c'est lui qui, plus
que Boileau,
Fit, sans être malin, ses plus grandes malices;
(Boileau.)
je remarquerois que les écrits de ce genre ne pas-
sèrent longtemps que pour des jeux d'esprit, des
joyeusetés folâtres, comme le dit Rabelais dans un
livre plus licencieux, devenu la lecture favorite et
publiquement avouée des hommes les plus graves
de la nation; j'ajouterois que la reine de Navarre,
princesse d'une conduite irréprochable et même de
mœurs austères, publia des contes beaucoup plus
libres, sinon par le fond, du moins par la forme,
sans que la médisance se permît, même à la cour,
de soupçonner sa vertu. Mais, en abandonnant
une justification trop difficile de nos jours, s'il est
vrai que la décence dans les écrits augmente
avec la licence des mœurs, bornons-nous à rappe-
ler que La Fontaine donna dans ses contes le mo-
dèle de la narration badine; et, puisque je me
permets d'anticiper ici sur ce que je dois dire de
son st)'le et de son goût, observons qu'il eut sur
Pétrone, Machiavel et Boccace, malgré leur élé-
DE LA FONTAINE 233
gance et la pureté de leur langage, cette même
supériorité que Boileau , dans sa dissertation sur
Joconde, lui donne sur l'Arioste lui-même. Et,
parmi ses successeurs, qui pourroit-on lui com-
parer? Seroit-ce ou Vergier ou Grecourt, qui, dans
la foiblesse de leur style, négligeant de racheter la
liberté du genre par la décence de l'expression,
oublient que les Grâces, pour être sans voile, ne
sont pourtant pas sans pudeur? ou Sénecé, esti- *
mable pour ne s'être pas traîné sur les traces de
La Fontaine en lui demeurant inférieur? ou l'au-
teur de la Métromanie, dont l'originalité, souvent
heureuse, paroît quelquefois trop bizarre? Non
sans doute, et il faut remonter jusqu'au plus grand
poëte de notre âge, exception glorieuse à La Fon-
taine lui-même, et pour laquelle il désavoueroit
le sentiment qui lui dicta l'un de ses plus jolis vers :
L'or se peut partager, mais non pas la louange.
Où existoit avant lui, du moins au même degré,
cet art de préparer, de fonder, comme sans des-
sein, les incidens; de généraliser des peintures lo-
cales; de ménager au lecteur ces surprises qui font
l'âme de la comédie; d'animer ses récits par cette
gaieté de style qui est une nuance du style co-
mique, relevée par les grâces d'une poésie légère
qui se montre et disparoît tour à tour? Que di-
rai-je de cet art charmant de s'entretenir avec son
f.
236 ÉLOGE
lecteur, de se jouer de son sujet, de changer ses
défauts en beautés, de plaisanter sur les objections,
sur les invraisemblances, talent d'un esprit supé-
rieur à ses ouvrages, et sans lequel on demeure
trop souvent au-dessous? Telle est la portion de
sa gloire que La Fontaine vouloit sacrifier, et j'au-
rois essayé moi-même d'en dérober le souvenir à
mes juges, s'ils n'admiroient en hommes de goût
ce qu'ils réprouvent par des motifs respectables, et
si je n'étois forcé d'associer ses contes à ses apo-
logues en m'arrêtant sur le style de cet immortel
écrivain.
SECONDE PARTIE
Si jamais on a senti à quelle hauteur le mérite
du style et l'art de la composition pouvoient élever
un écrivain, c'est par l'exemple de La Fontaine. Il
règne dans la littérature une sorte de convention
qui assigne les rangs d'après la distance reconnue
entre les différens genres, à peu près comme
l'ordre civil marque les places dans la société d'a-
près la différence des conditions; et, quoique la
considération d'un mérite supérieur puisse faire
déroger à cette loi, quoiqu'un écrivain parfait dans
un genre subalterne soit souvent préféré à d'autres
écrivains d'un genre plus élevé, et qu'on néglige
Stace pourTibulle, ce même Tibulle n'est point
DE LA FONTAINE 287
mis à côté de Virgile. La Fontaine seul, envi-
ronné d'écrivains dont les ouvrages présentent tout
ce qui peut réveiller l'idée de génie, l'invention,
la combinaison des plans, la force et la noblesse
du style, La Fontaine paroît avec des ouvrages de
peu d'étendue, dont le fond est rarement à lui, et
dont le style est ordinairement familier; le bon-
homme se place parmi tous ces grands écrivains,
comme l'avoit prévu Molière, et conserve au mi-
lieu d'eux le surnom d'inimitable. C'est une révo-
lution qu'il a opérée dans les idées reçues, et qui
n'aura peut-être d'effet que pour lui; mais elle
prouve au moins que, quelles que soient les con-
ventions littéraires qui distribuent les rangs, le gé-
nie garde une place distinguée à quiconque vien-
dra, dans quelque genre que ce puisse être, instruire
et enchanter les hommes. Qu'importe, en effet, de
quel ordre soient les ouvrages, quand ils offrent
des beautés du premier ordre? D'autres auront
atteint la perfection de leur genre : le fabuliste aura
élevé le sien jusqu'à lui.
Le style de La Fontaine est peut-être ce que
l'histoire littéraire de tous les siècles offre de plus
étonnant : c'est à lui seul qu'il étoit réservé de
faire admirer, dans la brièveté d'un apologue,
l'accord des nuances les plus tranchantes et l'har-
monie des couleurs les plus opposées. Souvent une
seule fable réunit la naïveté de Marot, le badinage
;3i
ELOGE
et l'esprit de Voiture , des traits de la plus haute
poésie et plusieurs de ces vers que la force du
sens grave à jamais dans la mémoire. Nul auteur
n'a mieux possédé cette souplesse de l'âme et de
l'imagination qui suit tous les mouvemens de son
sujet. Le plus familier des écrivains devient tout à
coup et naturellement le traducteur de Virgile ou
ée Lucrèce, et les objets de la vie commune sont
relevés chez lui par ces tours nobles et cet heureux
choix d'expressions qui les rendent dignes du poëme
épique. Tel est l'artifice de son style que toutes
ces beautés semblent se placer d'elles-mêmes dans
sa narration, sans interrompre ni retarder sa mar-
che. Souvent même la description la plus riche, la
plus brillante, y devient nécessaire, et ne paroît,
comme dans la fable du Chêne et du Koseaii, dans
celle du Soleil et Borée, que l'exposé même du
fait qu'il raconte. Ici, Messieurs, le poëte des
Grâces m'arrête et m'interdit, en leur nom, les
détails et la sécheresse de l'analyse. Si l'on a dit
de Montaigne qu'il faut le montrer et non le
peindre, le transcrire et non le décrire, ce juge-
ment n'est-il pas plus applicable à La Fontaine ?
Et combien de fois, en effet, n'a-t-il pas été tran-
scrit ? Mes juges me pardonneroient-ils d'offrir à
leur admiration cette foule de traits présens au
souvenir de tous ses lecteurs, et répétés dans tous
ces livres consacrés à notre éducation, comme le
DE LA FONTAINE 289
livre qui les a fait naître? Je suppose, en effet, que
mes rivaux relèvent, l'un l'heureuse alliance de ses
expressions, la hardiesse et la nouveauté de ses
figures, d*autant plus étonnantes qu'elles parois-
sent plus simples; que l'autre fasse valoir ce charme
continu du style qui réveille une foule de sentimens,
embellit de couleurs si riches et si variées tous les
contrastes que lui présente son sujet, m'intéresse-à
des bourgeons gâtés par un écolier, m'attendrit
sur le sort de l'aigle qui vient de perdre
Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce espérance;
qu'un troisième vous vante l'agrément et le sel de
sa plaisanterie, qui rapproche si naturellement les
grands et les petits objets, voit tour à tour dans
un renard Patrocle, Ajax, Annibal ; Alexandre
dans un chat; rappelle, dans le combat de deux
coqs pour une poule, la guerre de Troie pour
Hélène; met de niveau Pyrrhus et la laitière; se
représente dans la querelle de deux chèvres qui se
disputent le pas, fières de leur généalogie si poé-
tique et si plaisante, Philippe IV et Louis XIV
s'avançant dans l'île de la Conférence : que prou-
veront-ils, ceux qui vous offriront tous ces traits,
sinon que des remarques devenues communes peu-
vent être plus ou moins heureusement rajeunies par
le mérite de l'expression ? Et d'ailleurs, comment
peindre un poëte qui souvent semble s'abandonner
240 ELOGE
comme dans une conversation facile; qui, citant
Ulysse à propos des voyages d'une tortue, s'é-
tonne lui-même de le trouver là; dont les beautés
paroissent quelquefois une heureuse rencontre, et
possèdent ainsi, pour me servir d'un mot qu'il
aimoil , la grâce de la soudaineté ; qui s'est fait une
langue et une poétique particulières; dont le tour
est naïf quand sa pensée est ingénieuse, l'expression
simple quand son idée est forte; relevant ses grâces
naturelles par cet attrait piquant qui leur prête ce
que la physionomie ajoute à la beauté; qui se joue
sans cesse de son art; qui, à propos de la tardive
maternité d'une alouette, me peint les délices du
printemps, les plaisirs, les amours de tous les êtres,
et met l'enchantement de la nature en contraste
avec le veuvage d'un oiseau ?
Pour moi, sans insister sur ces beautés diffé-
rentes, je me contenterai d'indiquer les sources
principales d'oîi le poëte les a vues naître; je
remarquerai que son caractère distinctif est cette
étonnante aptitude à se rendre présent à l'action
qu'il nous montre, de donner à chacun de ses per-
sonnages un caractère particulier dont l'unité se
conserve dans la variété de ses fables et le fait
reconnoître partout. Mais une autre source de
beautés bien supérieures, c'est cet art de savoir,
en paroissant vous occuper de bagatelles, vous
placer d'un mot dans un grand ordre de choses.
DE LA FONTAINE 241
Quand le loup, par exemple, accusant, auprès du
lion malade, l'indifférence du renard sur une santé
si précieuse,
Daube, au coucher du roi, son camarade absent,
suis-je dans l'antre du lion? suis-je à la cour?
Combien de fois l'auteur ne fait-il pas naître du
fond de ses sujets, si frivoles en apparence, des
détails qui se lient comme d'eux-mêmes aux objets
les plus imporlans de la morale et aux plus grands
intérêts de la société? Ce n'est pas une plaisanterie
d'affirmer que la dispute du lapin et de la belette
qui s'est emparée d'un terrier dans l'absence du
maître , l'une faisant valoir la raison du premier
occupant et se moquant des prétendus droits de
Jean Lapin, l'autre réclamant les droits de succes-
sion transmis au susdit Jean par Pierre et Simon
ses aïeux, nous offre précisément le résultat de
tant de gros ouvrages sur la propriété. Et La
Fontaine, faisant dire à la belette :
Et quand ce seroit un royaume?
disant lui-même ailleurs :
Mon sujet est petit, cet accessoire est grand,
ne me force-t-il point d'admirer avec quelle adresse
il me montre les applications générales de son sujet
dans le badinage même de son style? Voilà sans
doute un de ses secrets; voilà ce qui rend sa lec-
Chamfort. — I. 3 i
242 ÉLOGE
ture si attachante, même pour les esprits les plus
élevés ; c'est qu'à propos du dernier insecte il se
trouve plus naturellement qu'on ne croit près
d'une grande idée, et qu'en effet il touche au
sublime en parlant de la fourmi. Et craindrois-je
d'être égaré par mon admiration pour La Fontaine
si j'osois dire que le système abstrait Tout est bien
paroît peut-être plus vraisemblable, et surtout plus
clair, après le discours de Garo, dans la fable de la
Citrouille et le Gland, qu'après la lecture de Leib-
nitz et de Pope lui-même?
S'il sait quelquefois simplifier ainsi les questions
les plus compliquées, avec quelle facilité la morale
ordinaire doit-elle se placer dans ses écrits? Elle y
naît sans effort, comme elle s'y montre sans faste :
car La Fontaine ne se donne point pour un philo-
sophe; il semble même avoir craint de le paroître.
C'est en effet ce qu'un poëte doit le plus dissi-
muler; c'est pour ainsi dire son secret, et il ne
doit le laisser surprendre qu'à ses lecteurs les plus
assidus et admis à sa confiance intime. Aussi La
Fontaine ne veut-il être qu'un homme, et même
un homme ordinaire. Peint-il les charmes de la
beauté.
Un philosophe, un marbre, une statue,
Auroient senti comme nous ces plaisirs.
C'est surtout quand il vient de reprendre quelques-
uns de nos travers qu'il se plaît à faire cause com-
DE LA FONTAINE 248
mune avec nous et à devenir le disciple des ani-
maux qu'il a fait parler. Veut-il faire la satire d'un
vice, il raconte simplement ce que ce vice fait
faire au personnage qui en est atteint; et voilà la
satire faite : c'est du dialogue, c'est des actions,
c'est des passions des animaux que sortent les le-
çons qu'il nous donne. Nous en adresse-t-il direc-
tement, c'est la raison qui parle avec une dignité
modeste et tranquille. Cette bonté naïve, qui jette
tant d'intérêt sur la plupart de ses ouvrages, le ra-
mène sans cesse au genre d'une poésie simple qui
adoucit l'éclat d'une grande idée, la fait descendre
jusqu'au vulgaire par la familiarité de l'expression,
et rend la sagesse plus persuasive en la rendant
plus accessible. Pénétré lui-même de tout ce qu'il
dit, sa bonne foi devient son éloquence et pro-
duit cette vérité de style qui communique tous les
mouvemens de l'écrivain. Son sujet le conduit à
répandre la plénitude de ses pensées, comme il
épanche l'abondance de ses sentimens, dans cette
fable charmante où la peinture du bonheur de deux
pigeons attendrit par degrés son âme, lui rappelle
les souvenirs les plus chers et lui inspire le regret
des illusions qu'il a perdues.
Je n'ignore pas qu'un préjugé vulgaire croit
ajouter à la gloire du fabuliste en le représentant
comme un poëte qui , dominé par un instinct
aveugle et involontaire, fut dispensé par la nature
244 ELOGE
du soin d'ajouter à ses dons, et de qui l'heureuse
indolence cueilloit nonchalamment des fleurs qu'il
n'avoit point fait naître. Sans doute, La Fontaine
dut beaucoup à la nature, qui lui prodigua la sen-
sibilité la plus aimable et tous les trésors de l'ima-
gination ; sans doute, le fablier étoit né pour porter
des fables; mais par combien de soins cet arbre si
précieux n'avoit-il pas été cultivé? Qu'on se rap-
pelle cette foule de préceptes, du goût le plus fin
et le plus exquis, répandus dans ses préfaces et
dans ses ouvrages; qu'on se rappelle ce vers si
heureux qu'il met dans la bouche d'Apollon lui-
même :
Il me faut du nouveau, n'en fùt-il plus au monde,
doutera-t-on que La Fontaine ne l'ait cherché, et
que la gloire, ainsi que la fortune, ne vende ce
qu*on croit qu'elle donne? Si ses lecteurs, séduits
par la facilité de ses vers, refusent d'y reconnoître
les soins d'un art attentif, c'est précisément ce qu'il
a désiré. Nier son travail, c'est lui en assurer la
plus belle récompense. O La Fontaine! ta gloire
en est plus grande : le triomphe de l'art est d'être
ainsi méconnu.
Et comment ne pas apercevoir ses progrès et ses
études dans la marche même de son esprit? Je vois
cet homme extraordinaire, doué d'un talent qu'à
la vérité il ignore lui-même jusqu'à vingt-deux ans.
DE LA FONTAINE 245
s'enflammer tout à coup à la lecture d'une ode de
Malherbe, comme Malebranche à celle d'un livre
de Descartes, et sentir cet enthousiasme d'une âme
qui, voyant de plus près la gloire, s'étonne d'être
née pour elle. Mais pourquoi Malherbe opéra-t-il
le prodige refusé à la lecture d'Horace et de Vir-
gile? C'est que La Fontaine les voyoit à une tiop
grande distance; c'est qu'ils ne lui montroient pas,
comme le poëte François, quel usage on pouvoit
faire de cette langue qu'il devoit lui-même illustrer
un jour. Dans son admiration pour Malherbe, au-
quel il devoit, si je puis parler ainsi, sa naissance
poétique, il le prit d'abord pour son modèle ; mais,
bientôt revenu au ton qui lui appartenoit, il s'aper-
çut qu'une naïveté fine et piquante étoit le vrai
caractère de son esprit, caractère qu'il cultiva par
la lecture de Rabelais, de Marot et de quelques-
uns de leurs contemporains. Il parut ainsi faire ré-
trograder la langue, quand les Bossuet, les Racine,
les Boileau, en avançoient le progrès par l'élévation
et la noblesse de leur style; mais elle ne s'enri-
chissoit pas moins dans les mains de La Fontaine,
qui lui rendoit les biens qu'elle avoit laissé perdre,
et qui, comme certains curieux rassemblant avec
soin des monnoies antiques, se composoit un véri-
table trésor. C'est dans notre langue ancienne
qu'il puisa ces expressions imitatives ou pitto-
resques qui présentent sa pensée avec toutes les
246 ÉLOGE
nuances accessoires, car nul auteur n'a mieux senti
le besoin de rendre son âme visible : c'est le terme
dont il se sert pour exprimer un des attributs de la
poésie. Voilà toute sa poétique, à laquelle il pa-
roît avoir sacrifié tous les préceptes de la poétique
ordinaire et de notre versification, dont ses écrits
sont un modèle, souvent même parce qu'il en brave
les règles. Eh 1 le goût ne peut-il pas les en-
freindre, comme l'équité s'élève au-dessus des lois?
Cependant La Fontaine étoit né poëte, et cette
partie de ses talens ne pouvoit se développer dans
les ouvrages dont il s'étoit occupé jusqu'alors. Il
la cultivoit par la lecture des modèles de l'Italie
ancienne et moderne, par l'étude de la nature et
de ceux qui l'ont su peindre. Je ne dois point dis-
simuler le reproche fait à ce rare écrivain par le
plus grand poëte de nos jours, qui refuse ce titre
de peintre à La Fontaine. Je sens comme il con-
vient le poids d'une telle autorité; mais celui qui
loue La Fontaine seroit indigne d'admirer son cri-
tique s'il ne se permettoit d'observer que l'auteur
des fables, sans multiplier ces tableaux où le poëte
s'annonce à dessein comme peintre, n'a pas laissé
d'en mériter le nom. Il peint rapidement et d'un
trait; il peint par le mouvement de ses vers, par la
variété de ses mesures et de ses repos, et surtout
par l'harmonie imitative. Des figures vraies et frap-
pantes, mais peu de bordure et point de cadre.
DE LA FONTAINE 247
voilà La Fontaine. Sa muse aimable et nonchalante
rappelle ce riant tableau de l'Aurore, dans un de
ses poèmes, où il représente cette jeune déesse,
qui, se balançant dans les airs,
La tète sur son bras, et son bras sur la nue,
Laisse tomber des fleurs et ne les répand pas.
Cette description charmante est à la fois une ré-
ponse à ses censeurs et l'image de sa poésie.
Ainsi se formèrent par degrés les divers talens
de La Fontaine, qui tous se réunirent enfin dans
ses fables; mais elles ne purent être que le fruit
de sa maturité : c'est qu'il faut du temps à de cer-
tains esprits pour connoître les qualités différentes
dont l'assemblage forme leur vrai caractère, les
combiner, les assortir, fortifier ces traits primitifs
par l'imitation des écrivains qui ont avec eux quel-
que ressemblance, et pour se montrer enfin tout
entiers dans un genre propre à déployer la variété
de leurs talens. Jusqu'alors l'auteur, ne faisant pas
usage de tous ses moyens, ne se présente point
avec tous ses avantages : c'est un athlète doué
d'une force réelle , mais qui n'a point encore
appris à se placer dans une attitude qui puisse
la développer tout entière. D'ailleurs, les ouvrages
qui, tels que les fables de La Fontaine, dem.andent
une grande connoissance du cœur humain et du
système de la société, exigent un esprit mûri par
248 ÉLOGE
l'étude et par l'expérience; mais aussi, devenu»
une source féconde de réflexions, ils rappellent
sans cesse le lecteur, auquel ils offrent de nouvelles
beautés et une plus grande richesse de sens, à
mesure qu'il a lui-même, par sa propre expérience,
étendu la sphère de ses idées; et c'est ce qui nous
ramène si souvent à Montaigne, à Molière et à
La Fontaine.
Tels sont les principaux mérites de ces écrits.
Toujours plus beaux, plus ils sont regardés,
( BOILEAU. )
et qui, mettant l'auteur des fables au-dessus de son
genre même, me dispensent de rappeler ici la foule
de ses imitateurs étrangers ou françois. Tous se
déclarent trop honorés de le suivre de loin, et,
s'il eut la bêtise, suivant l'expression de M. de
Fontenelle, de se mettre au-dessous de Phèdre,
ils ont l'esprit de se mettre au-dessous de La
Fontaine et d'être aussi modestes que ce grand
homme. Un seul, plus confiant, s'est permis l'es-
pérance de lutter avec lui, et cette hardiesse, non
moins que son mérite réel, demande peut-être une
exception. Lamotte, qui conduisit son esprit par-
tout , parce que son génie ne l'emporta nulle
part, Lamotte fit des fables... O La Fontaine!
la révolution d'un siècle n'avoit point encore
appris à la France combien tu étois un homme
DE LA FONTAINE 249
rare; mais, après un moment d'illusion, il fallut
bien voir qu'un philosophe froidement ingénieux,
ne joignant à la finesse ni le naturel
Ni la grâce, plus belle encor que la beauté;
ne possédant point ce qui plaît plus d'un jour; dis-
sertant sur son art et sur la morale; laissant percer
l'orgueil de descendre jusqu''à nous, tandis que son
devancier paroît se trouver naturellement à notre
niveau; tâchant d'être naïf, et prouvant qu'il a dû
plaire; foible avec recherche, quand La Fontaine
ne l'est jamais que par négligence , ne pouvoit
être le rival d'un poëte simple , souvent sublime,
toujours vrai, qui laisse dans le cœur le souvenir
de tout ce qu'il dit à la raison, joint à \' art de
plaire celui de n'y penser pas, et dont les fautes,
quelquefois heureuses, font appliquer à son talent
ce qu'il a dit d'une femme aimable :
La négligence, à mon gré si requise,
Pour cette fois fut sa dame d'atours.
Aussi tous les reproches qu'on a pu lui faire sur
quelques longueurs, sur quelques incorrections,
n'ont point affoibli le charme qui ramène sans
cesse à lui, qui le rend aimable pour toutes les
nations et pour tous les âges, sans en excepter
l'enfance. Quel prestige peut fixer ainsi tous les
esprits et tous les goûts ? qui peut frapper les
25o ÉLOGE
enfans, d'ailleurs si incapables de sentir tant de
beautés? C'est la simplicité de ces formules où ils
retrouvent la langue de la conversation; c'est le
jeu presque théâtral de ces scènes si courtes et si
animées; c'est l'intérêt qu'il leur fait prendre à ses
personnages en les mettant sous leurs yeux, illusion
qu'on ne retrouve plus chez ses imitateurs, qui ont
beau appeler un singe Bertrand et un chat Raton,
ne montrent jamais ni un chat ni un singe. Qui
peut frapper tous les peuples? C'est ce fond de
raison universelle répandu dans ses fables; c'est ce
tissu de leçons convenables à tous les états de la
vie; c'est cette intime liaison de petits objets à de
grandes vérités : car nous n'osons penser que tous
les esprits puissent sentir les grâces de ce style qui
s'évanouissent dans une traduction; et, si on lit
La Fontaine dans la langue originale, n'est-il pas
vraisemblable qu'en supposant aux étrangers la plus
grande connoissance de cette langue, les grâces de
son style doivent toujours être mieux senties chez
un peuple où l'esprit de société, vrai caractère de
la nation, rapproche les rangs sans les confondre;
où, le supérieur voulant se rendre agréable sans
trop descendre , l'inférieur plaire sans s'avilir,
l'habitude de traiter avec tant d'espèces différentes
d'amour-propre, de ne point les heurter dans la
crainte d'en être blessés nous-mêmes, donne à
l'esprit ce tact rapide, cette sagacité prompte qui
DE LA FONTAINE 25l
saisit les nuances les plus fines des idées d'autrui,
présente les siennes dans le jour le plus con-
venable, et lui fait apprécier dans les ouvrages
d'agrément les finesses de la langue, les bien-
séances du style, et ces convenances générales
dont le sentiment se perfectionne par le grand
usage de la société? S'il est ainsi, comment les
étrangers, supérieurs à nous sur tant d'objets et
si respectables d'ailleurs, pourroient-ils... Mais
quoi! puis-je hasarder cette opinion, lorsqu'elle
est réfutée d'avance par l'exemple d'un étranger
qui signale aux yeux de l'Europe son admiration
pour La Fontaine? Sans doute, cet étranger illustre,
si bien naturalisé parmi nous, sent toutes les grâces
de ce style enchanteur. La préférence qu'il accorde
à notre fabuliste sur tant de grands hommes, dans
le zèle qu'il montre pour sa mémoire, en est elle-
même une preuve, à moins qu'on ne l'attribue en
partie à l'intérêt qu'inspirent sa personne et son
•caractère '.
TROISIÈME PARTIE
Un homme ordinaire, qui auroit dans le cœur
les sentimens aimables dont l'expression est si inté-
I. On sait qu'un étranger demanda à rAcadémie de
Marseille la permission de joindre la somme de deux mille
livres à la médaille académique.
252 ÉLOGE
ressante dans les écrits de La Fontaine, seroit cher
à tous ceux qui le connoîtioient; mais le fabuliste
avoit pour eux (et ce charme n'est point tout à fait
perdu pour nous) un attrait encore plus piquant :
c'est d'être l'homme tel qu'il paroît être sorti des
mains de la nature. Il semble qu'elle l'ait fait naître
pour l'opposer à l'homme tel qu'il se compose
dans la société, et qu'elle lui ait donné son esprit
et son talent pour augmenter le phénomène et le
rendre plus remarquable par la singularité du con-
traste. Il conserva jusqu'au dernier moment tous
les goûts simples qui supposent l'innocence des
mœurs et la douceur de l'âme. Il a lui-même es-
sayé de se peindre en partie dans son roman de
Psyché j où il représente la variété de ses goûts
sous le nom de Poljphile, qui aime les jardins ^ les
fieurSy les ombrages, la musique^ les vers, et réunit
toutes ces passions douces qui remplissent le cœur
d'une certaine tendresse. On ne peut assez admirer
ce fond de bienveillance générale qui l'intéresse h
tous les êtres vivans,
Hôtes de l'univers sous le nom d'animaux :
c'est sous ce point de vue qu'il les considère. Cette
habitude de voir dans les animaux des membres de
la société universelle, enfans d'un même père, dis-
position si étrange dans nos mœurs, mais commune
dans les siècles reculés, comme on peut le voir par
DE LA FONTAINE 253
Homère, se retrouve encore chez plusieurs Orien-
taux. La Fontaine est-il bien éloigné de cette dis-
position lorsque^ attendri par le malheur des animaux
qui périssent dans une inondation , châtiment des
crimes des hommes, il s'écrie par la bouche d'un
vieillard :
Les animaux périr ! car encor les humains,
Tous dévoient succomber sous les célestes armes.
Il étend même cette sensibilité jusqu'aux plantes,
qu'il anime non-seulement par ces traits hardis qui
montrent toute la nature vivante sous les yeux
d'un poëte, et qui ne sont que des figures d'ex-
pression, mais par le ton affectueux d'un vif inté-
rêt qu'il déclare lui-même lorsque, voyant le cerf
brouter la vigne qui l'a sauvé, il s'indigne
Que de si doux ombrages
Soient exposés à ces outrages.
Seroit-il impossible qu'il eût senti lui-même le prix
de cette partie de son caractère, et qu'averti par
ses premiers succès il l'eût soigneusement cultivée?
Non, sans doute : car cet homme qu'on a cru'
inconnu à lui-même déclare formellement qu'il
étudioit sans cesse le goût du public, c'est-à-dire
tous les moyens de plaire. Il est vrai que, quoi-
I . A La Fontaine, à lui seul inconnu.
Marmontel, Épître aux poètes.
2^4 ÉLOGE
qu'il se soit formé sur son art une théorie très-fine
et très-profonde, quoiqu'il eût reçu de la nature ce
coup d'œil qui fit donner à Molière le nom de
contemplateur, sa philosophie, si admirable dans les
développemens du cœur humain, ne s'éleva point
jusqu^aux généralités qui forment les systèmes : de
là quelques incertitudes dans ses principes, quelques
fables dont le résultat n'est point irrépréhensible,
et où la morale paroît trop sacrifiée à la prudence;
de là quelques contradictions sur différens objets
de politique et de philosophie. C'est qu'il laisse
indécises les questions épineuses, et prononce rare-
ment sur ces problèmes dont la solution n'est point
dans le cœur et dans un fond de raison univer-
selle. Sur tous les objets de ce genre qui sont ab-
solument hors de lui, il s'en rapporte volontiers à
Plutarque et à Platon, et n'entre point dans les
disputes des philosophes; mais, toutes les fois qu'il
a véritablement une manière de sentir personnelle,
il ne consulte que son cœur et ne s'en laisse im-
poser ni par de grands mots ni par de grands
noms. Sénèque , en nous conservant le mot de
Mécénas, qui veut vivre absolument, dût-il vivre
goutteux, impotent, perclus, a beau invectiver
contre cet opprobre, La Fontaine ne prend point
le change : il admire ce trait avec une bonne foi
plaisante, il le juge digne de la postérité. Selon
lui, Mécénas fut un galant homme ^ et je reconnois
DE LA FONTAINE 255
celui qui déclare plus d'une fois vouloir vivre un
siècle tout au moins.
Cette même incertitude de principes, il faut en
convenir, passa même quelquefois dans sa con-
duite. Toujours droit, toujours bon sans effort, il
n'a point à lutter contre lui-même; mais a-t-il un
mouvement blâmable, il succombe et cède sans
combat. C'est ce qu'on put remarquer dans sa que-
relle avec Furetière et avec Lulli, par lequel il
s'étoit vu trompé, et, comme il dit, enquinaudé :
car on ne peut dissimuler que l'auteur des fables
n'ait fait des opéras peu connus. Le ressentiment
qu'il conçut contre la mauvaise foi de cet Italien
lui fit trouver dans le peu qu'il avoit de bile de quoi
faire une satire violente, et sa gloire est qu'on
puisse en être si étonné; mais, après ce premier
mouvement, redevenu La Fontaine, il reprit son
caractère véritable, qui étoit celui d'un enfant, dont
en effet il venoit de montrer la colère. Ce n'est
pas un spectacle sans intérêt que d'observer les mou-
vemens d'une âme qui, conservant même dans le
monde les premiers traits de son caractère, sembla
toujours n'obéir qu'à l'instinct de la nature. Il
connut et sentit les passions, et, tandis que la plu-
part des moralistes les considéroient comme des
ennemis de l'homme, il les regarda comme les res-
sorts de notre âme, et en devint même l'apolo-
giste. Cette idée, que les philosophes ennemis des
256 ÉLOGE
Stoïciens avoient rendue familière à l'antiquité, pa-
roissoit de son temps une idée nouvelle; et, si l'au-
teur des fables la développa quelquefois avec
plaisir, c'est qu'elle étoit pour lui une vérité de
sentiment; c'est que des passions modérées étoient
les instrumens de son bonheur. Sans doute, le phi-
losophe, dont la rigide sévérité voulut les anéantir
en soi-même, s'indignoit d'être entraîné par elles,
et les redoutoit comme l'intempérant craint quel-
quefois les festins. La Fontaine, défendu par la
nature contre le danger d'abuser de ses dons, se
laissa guider sans crainte à des penchans qui l'éga-
rèrent quelquefois, mais sans le conduire au préci-
pice. L'amour, cette passion qui parmi nous se
compose de tant d'autres, reprit dans son âme sa
simplicité naturelle. Fidèle à l'objet de son goût,
mais inconstant dans ses goûts, il paroît que ce
qu'il aima le plus dans les femmes fut celui de
leurs avantages dont elles sont elles-mêmes le plus
éprises, leur beauté; mais le sentiment qu'elle lui
inspira, doux comme l'âme qui l'éprouvoit, s'em-
bellit des grâces de son esprit, et la plus aimable
sensibilité prit le ton de la galanterie la plus tendre.
Qui a jamais rien dit de plus flatteur pour le sexe
que le sentiment exprimé dans ces vers :
Ce n'est point près des rois que l'on fait sa fortune :
Quelque ingrate beauté qui nous donne des lois,
Encor en tire-t-on un souris quelquefois...?
DE LA FONTAINE 257
C'est ce goût pour les femmes, dont il parle sans
cesse, comme l'Aiioste, en bien et en mal, qui lui
dicta ses contes, se reproduit sans danger et avec
tant de grâces dans ses fables mêmes, et conduisit
sa plume dans son roman de Psyché. Cette déesse
nouvelle, que le conte ingénieux d'Apulée n'avoit
pu associer aux anciennes divinités de la poésie,
reçut de la brillante imagination de La Fontaine
une existence égale à celle des dieux d'Hésiode et
d'Homère , et il eut l'honneur de créer comme
eux une divinité. Il se plut à réunir en elle seule
toutes les foiblesses des femmes, et, comme il le
dit, leurs trois plus grands défauts : la vanité, la
curiosité et le trop d'esprit; mais il l'embellit en
mêm.e temps de toutes les grâces de ce sexe en-
chanteur. Il la place ainsi au milieu des prodiges
de la nature et de l'art, qui s'éclipsent tous auprès
d'elle. Ce triomphe de la beauté, qu'il a pris tant
de plaisir à peindre , demande et obtient grâce
pour les satires qu'il se permet contre les femmes,
satires toujours générales; et, dans cette Psyché
même, il place au Tartare
Ceux dont les vers ont noirci quelque belle.
Aussi ses vers et sa personne furent-ils également
accueillis de ce sexe aimable, d'ailleurs si bien
vengé de la médisance par le sentiment qui en fait
médire. On a remarqué que trois femmes furent
Chamfort. — I. 3 3
258 ÉLOGE
ses bienfaitrices, parmi lesquelles il faut compter
cette fameuse duchesse de Bouillon qui, séduite
par cet esprit de parti fléau de la littérature, se
déclara si hautement contre Racine : car ce grand
tragique, qu'on a depuis appelé le poëte des
femmes, ne put obtenir le suffrage des femmes les
plus célèbres de son siècle , qui toutes s'intéres-
soient à la gloire de La Fontaine. La gloire fut
une de ses passions les plus constantes; il nous-
l'apprend lui-même :
Un vain bruit et l'amour ont occupé mes ans;
et, dans les illusions de l'amour même, cet autre
sentiment conservoit des droits sur son cœur.
Adieu, plaisirs, honneurs, louange bien-aimée 1
s'écrioit-il dans le regret que lui laissoient les
momens perdus pour sa réputation. Ce ne fut pas
sans doute une passion malheureuse : il jouit de
cette gloire si chère, et ses succès le mirent au
nombre de ces hommes rares à qui le suffrage
public donne le droit de se louer eux-mêmes sans
affliger l'amour-propre d'autrui. Il faut convenir
qu'il usa quelquefois de cet avantage, car, tout
étonnant que paroît La Fontaine, il ne fut pour-
tant pas un poëte sans vanité; mais, ne se louant
que pour promettre à ses amis
Un temple dans ses vers,
DE LA FONTAINE 259
pour rendre son encens plus digne d'eux, sa vanité
même devint intéressante, et ne parut que l'aimable
épanchement d'une àme naïve qui veut associer
ses amis à sa renommée. Ne croiroit-on pas encore
qu'il a voulu réclamer contre les portraits qu'on
s'est permis de faire de sa personne, lorsqu'il ose
dire :
Qiii n'admettroit Anacréon chez soi?
Qui banniroit Waller et La Fontaine?
Est-il vraisemblable, en effet, qu'un homme admis
chez les Conti , les Vendôme, et parmi tant de
sociétés illustres, fût tel que nous le représente
une exagération ridicule, sur la foi de quelques
réponses naïves échappées à ses distractions? La
grandeur encourage, l'orgueil protège, la vanité
cite un auteur illustre; mais la société n'appelle ou
n'admet que celui qui sait plaire, et les Chaulieu,
les La Fare, avec lesquels il vivoit familièrement,
n'ignoroient pas l'ancienne méthode de négliger
la personne en estimant les écrits. Leur société,
leur amitié, les bienfaits des princes de Conti et
de Vendôme, et dans la suite ceux de l'auguste
élève de Fénelon, récompensèrent le mérite de La
Fontaine et le consolèrent de l'oubli de la cour,
s'il y pensa.
C'est une singularité bien frappante de voir un
écrivain tel que lui, né sous un roi dont les bien-
260 ÉLOGE
faits allèrent étonner les savans du Nord , vivre
négligé, mourir pauvre, et près d'aller, dans sa
caducité, chercher loin de sa patrie les secours
nécessaires à la simple existence : c'est qu'il porta
toute sa vie la peine de son attachement à Fouquet,
ennemi du grand Colbert. Peut-être n'eût-il pas été
indigne de ce ministre célèbre de ne pas punir une
reconnoissance et un courage qu'il devoit estimer;
peut-être, parmi les écrivains dont il présentoit les
noms à la bienfaisance du roi, le nom de La Fon-
taine n'eût-il pas été déplacé, et la postérité ne
reprocheroit point à sa mémoire d'avoir abandonné
au zèle bienfaisant de l'amitié un homme qui fut
un des ornemens de son siècle, qui devint le suc-
cesseur immédiat de Colbert lui-même à l'Académie
et le loua d'avoir protégé les lettres. Une fois né-
gligé, ce fut une raison de l'être toujours, suivant
l'usage , et le mérite de La Fontaine n'étoit pas
d'un genre à toucher vivement Louis XIV. Peut-
être les rois et les héros sont-ils trop loin de la
nature pour apprécier un tel écrivain : il leur faut
des tableaux d'histoire plutôt que des paysages, et
Louis XIV, mêlant à la grandeur naturelle de son
âme quelques nuances de la fierté espagnole qu'il
sembloit tenir de sa mère; Louis XIV, si sensible
au mérite des Corneille, des Racine, des Boileau,
ne se retrouvoit point dans des fables. C'étoit un
grand défaut, dans un siècle où Despréaux fit un
DE LA FONTAINE 201
précepte de l'Art poétique de former tous les héros
de la tragédie sur le monarque françois ' , et la des-
cription du passage du Rhin importoit plus au roi
que les débats du lapin et de la belette.
Malgré cet abandon du maître, qui retarda même
la réception de l'auteur des fables à l'Académie fran-
çoise, malgré la médiocrité de sa fortune, La Fon-
taine (et l'on aime à s'en convaincre), La Fontaine
fut heureux ; il le fut même plus qu'aucun des gran'Js
poètes ses contemporains. S'il n'eut point cet éclat
imposant attaché aux noms des Racine, des Cor-
neille, des Molière, il ne fut point exposé au dé-
chaînement de l'envie, toujours plus irritée par les
succès de théâtre. Son caractère pacifique le pré-
serva de ces. querelles littéraires qui tourmentèrent
la vie de Despréaux. Cher au public, cher aux plus
grands génies de son siècle , il vécut en paix avec
les écrivains médiocres, ce qui paroît un peu plus
difficile. Pauvre, mais sans humeur, et comme à son
insu; libre de chagrins domestiques, d'inquiétude
sur son sort; possédant le repos, de douces rêveries
et le vrai dormir, dont il fait de grands éloges, ses
jours parurent couler négligemment comme ses
vers. Aussi, malgré son amour pour la solitude.
I . Qiie Racine, enfantant des miracles nouveaux.
De SCS héros sur lui forme tous les tableaux.
BoiLEAU, Art poétique.
202 ELOGE
malgré son goût pour la campagne, ce goût si
ami des arts auxquels il offre de plus près leur
modèle, il se trouvoit bien partout. Il s'écrie, dans
l'ivresse des plus doux sentimens, qu'il aime à la
fois la ville, la campagne ; que tout est pour lui le
souverain bien :
Jusqu'au sombre plaisir d'un cœur mélancolique.
Les chimères, le rien, tout est bon.
Il retrouve en tout lieu le bonheur qu'il porte en
lui-même, et dont les sources intarissables sont
l'innocente simplicité de son âme et le sentiment
d'une imagination souple et légère. Les yeux s'ar-
rêtent, se reposent avec délices sur le spectacle
d'un homme qui, dans un monde trompeur, soup-
çonneux, agité de passions et d'intérêts divers,
marche avec l'abandon d'une paisible sécurité,
trouve sa sûreté dans sa confiance même, et
s'ouvre un accès dans tous les cœurs sans autre
artifice que d'ouvrir le sien, d'en laisser échapper
tous les mouvemens, d'y laisser lire même ses foi-
blesses, garans d'une aimable indulgence pour les
foiblesses d'autrui. Aussi La Fontaine inspira-t-il
toujours cet intérêt qu'on accorde involontairement
à l'enfance. L'un se charge de l'éducation et de la
fortune de son fils ( car il avoit cédé aux désirs de
sa famille, et un soir il se trouva marié), l'autre lui
donne un asile dans sa maison. Il se croit parmi
DE LA FONTAINE 263
des frères : ils vont le devenir en effet, et fa société
reprend les vertus de l'âge d'or pour celui qui en
a la candeur et la bonne foi. Il reçoit des bienfaits :
il en a le droit, car il rendroit tout sans croire s'être
acquitté. Peut-être il est des âmes qu'une simplicité
noble élève naturellement au-dessus de la fierté, et,
sans blâmer le philosophe qui écarte un bienfaiteur
dans la crainte de se donner un tyran , sait se pri-
ver, souffrir et se taire, n'est-il pas plus beau peut-
être, n'est-il pas du moins plus doux de voir La
Fontaine montrer à son ami ses besoins comme ses
pensées, abandonner généreusement à l'amitié le
droit précieux qu'elle réclame et lui rendre hom-
mage par le bien qu'il reçoit d'elle? Il aimoit :
c'étoit sa reconnoissance, et ce fut celle qu'il fit
éclater envers le malheureux Fouquet. J'admirerai
sans doute (il le faut bien) un chef-d'œuvre de
poésie et de sentiment dans sa touchante élégie
sur cette fameuse disgrâce; mais, si je le vois, deux
ans après la chute de son bienfaiteur, pleurer à
l'aspect du château où M. Fouquet avoit été dé-
tenu; s'il s'arrête involontairement autour de cette
fatale prison, dont il ne s'arrache qu'avec peine; si
je trouve l'expression de cette sensibilité non dans
un écrit public, monument d'une reconnoissance
souvent fastueuse, mais dans l'épanchement d'un
commerce secret, je partagerai sa douleur, j'ai-
merai l'écrivain que j'admire. O La Fontaine !
264 ÉLOGE
essuie tes larmes, écris cette fable charmante des
Deux Amis, et je sais où tu trouves l'éloquence
du cœur et le sublime de sentiment. Je reconnois
le maître de cette vertu qu'il nomme, par une
expression nouvelle , le don d'être ami. Qui l'avoit
mieux reçu de la nature , ce don si rare ? qui a
mieux éprouvé les illusions du sentiment? Avec
quel intérêt, avec quelle bonne foi naïve, associant
dans un même recueil plusieurs de ses immortels
écrits à la traduction de quelques harangues an-
ciennes, ouvrage de son ami Maucroix, ne se
livre-t-il pas à l'espérance d'une commune immor-
talité? Que mettre au-dessus de son dévouement
à ses amis, si ce n'est la noble confiance qu'il avoit
lui-même en eux? O vous. Messieurs, vous qui
savez si bien, puisque vous chérissez sa mémoire,
sentir et apprécier ce charme inexprimable de la
facilité dans les vertus, partage des mœurs anti-
ques, qui de vous, allant offrir à son ami l'hospice
de sa maison, n'éprouveroit l'émotion la plus
douce, et même le transport de la joie, s'il en
recevoit cette réponse aussi attendrissante qu'inat-
tendue : J'y allais ? Ce mot si simple, cette expression
si naïve d'un abandon sans réserve, est le plus digne
hommage rendu à l'humanité généreuse, et jamais
bienfaiteur, digne de l'être, n'a reçu une si belle
récompense de son bienfait.
Telle est l'image que mes foibles jeux ont pu
DE LA FONTAINE 265
saisir de ce grand homme, d'après ses ouvrages
mêmes plus encore que d'après une tradition ré-
cente, mais qui, trop souvent infidèle, s'est plu,
sur la foi de quelques plaisanteries de société, à
montrer comme un jeu bizarre de la nature un
homme qui en fut véritablement un prodige, qui
offrit le singulier contraste d'un conteur trop libre
et d'un excellent moraliste, reçut en partage l'es-
prit le plus fin qui fut jamais, et devint en tout le
modèle de la simplicité; posséda le génie de l'ob-
servation, même de la satire, et ne passa jamais
que pour un bonhomme; déroba, sous l'air d'une
négligence quelquefois réelle, les artifices de la
composition la plus savante; fit ressembler l'art au
naturel, souvent même à l'instinct; cacha son génie
par son génie même ; tourna au profit de son talent
l'opposition de son esprit et de son âme, et fut,
dans le siècle des grands écrivains, sinon le pre-
mier, du moins le plus étonnant. Malgré ses défauts,
observés même dans son Éloge, il sera toujours le
plus relu de tous les auteurs, et l'intérêt qu'inspirent
ses ouvrages s'étendra toujours sur sa personne.
C'est que plusieurs de ses défauts même participent
quelquefois des qualités aimables qui les avoient fait
naître; c'est qu'on juge l'homme et l'auteur par
l'assemblage de ses qualités habituellement domi-
nantes; et La Fontaine, désigné de son vivant par
l'épithète de bon . ressemblance remarquable avec
:66
ELOGE DE LA FONTAINE
Virgile, conservera, comme écrivain, le surnom
d'inimitable, titre qu'il obtint avant même d'être
tout à fait apprécié, titre confirmé par l'admiration
d'un siècle, et devenu pour ainsi dire inséparable
de son nom.
NOTES ET VARIANTES
Page 2, ligne 21. Mandeville. Il s'agit ici de Bernard
de Mandeville (1670-1-33), auteur d'un ouvrage ou roman
philosophique et politique , intitulé : La Fable des
Abeilles. — The Fable of the Bées, or P rivale Vices publich
Benefits. La première édition de cet ouvrage, célèbre au
XVIIF siècle, qui a exercé sur ses écrivains les plus illustres
une certaine influence, parut en 1723. Il en existe une tra-
duction française par Bertrand [Londres (Amsterdam) , Jean
Nourse, 1740, 4 vol. in-8).
L'objet de l'auteur est complexe. Il indique cependant
dans sa préface le but principal de son livre dans les ter-
mes suivants :
« J'ai voulu montrer aussi, dans ce que j'ai dit des diffé-
rentes professions , combien les ingrédiens qui composent
une société puissante sont pour la plupart méprisables et
vils, et faire voir l'habileté des législateurs qui ont con-
struit une machine si admirable de matériaux si abjects, et
qui ont trouvé le moyen de faire servir au bonheur de la
société les vices de ses difîérens membres. Enfin, ayant fait
voir les inconvéniens auxquels seroit nécessairement exposée
une nation dans laquelle les vices seroient inconnus, et
dont tous les particuliers seroient pleins d'honnêteté, d'inno-
cence et de toutes sortes de vertus, je démontre que, si les
hommes cessoient d'être ce qu'on appelle vicieux, si l'on
pouvait guérir la nature humaine de tous les défauts et de
268 NOTES ET VARIANTES
toutes les foiblesses, aucun des grands empires ou des socié-
tés polies et florissantes dont les histoires nous parlent, et
que nous voyons de nos jours, n'auroit pu subsister. »
Le dix-huitième siècle trouva à la thèse de ce philosophe,
qui voyait « le bien sortir des racines du mal aussi naturel-
lement que les poules viennent des œufs », la double saveur
d'un optimisme paradoxal. Nous apprenons par une lettre
de M™*^ de Graffigny, datée de Cirey le 2 5 décembre 1738,
que M'^'^ du Châtelet s'occupait à ce moment d'une traduc-
tion de la préface du livre des Abeilles^ traduction à laquelle
notre citation a été empruntée ; et qu'elle avait aussi écrit
une préface du traducteur de l'ouvrage même; de là à en
conclure, par une induction qui n'est pas trop hasardée, que
M™® du Châtelet, déguisée sous le pseudonyme bourgeois
de Bertrand, est l'auteur de la traduction publiée chez Jean
Nourse, à Amsterdam, en 1740, il n'y a qu'un pas, et nous
le faisons volontiers. Voltaire s'est inspiré en plusieurs en-
droits de ses ouvrages des idées de Mandeville, notamment
quand il parle du luxe et de son utilité pour les sociétés.
Dans son Dictionnaire Philosophique^ à l'article Abeilles, il
critique cependant les côtés dangereux et les inconvénients
moraux de la thèse de Mandeville prise à l'absolu. Mon-
tesquieu fait allusion à cette thèse dans le chapitre viii du
livre XIX de l'Esprit des Lois. Diderot cite Mandeville dans
le morceau de lui qui fut inséré par Rousseau dans son Dis-
cours sur l'inégalité des conditions parmi les hommes, et restitué
à ses œuvres par son dernier éditeur (tome IV, p. 102), et il
fait encore allusion à son système dans son Salon de 1765
(X, 299). Ce système, tendant ou paraissant tendre à prouver
que les vices des hommes sont, plus que leurs vertus, le fonde-
ment des sociétés, et dont l'optimisme affecté cachait un pessi-
misme d'autant plus intense; ce livre méconnu, censuré et
dont l'auteur n'échappa point à la persécution inévitable
pour tous ceux qui contrarient l'opinion établie, devait plaire
par son humour sombre et son âpre jovialité à l'âme effa-
rouchée de Chamfort.
P. 9, 1. 3. Je conserve pour M. de LaB... C'est^ croyons-
nous, M. de La Borde.
NOTES ET VARIANTES -269
P. 9, 1. 7. Je regarde comme un grand bonheur que
l'amitié fût déjà parfaite entre M... et moi. 11 s'agit ici de
Mirabeau.
P, 37, 1. 1 Les trois quarts des folies ne sont que des
sottises. Il y a à cette pensée, dans le manuscrit, la variante
suivante : « La plupart des folies ne viennent que de sot-
tise. »
P. 37, 1. i5. Du bois ajouté à un acier pointu, etc.
Chamfort a évidemment voulu indiquer par cette image ce
que l'esprit ajoute de légèreté et de portée à l'arme de
la plaisanterie. Sa rédaction primitive, biffée par lui, était
celle-ci : « Deux plumes attachées à un acier pointu font
une flèche de l'arme qui n'eût été qu'un dard. » Chamfort
est revenu sur l'idée et sur l'image , à propos de l'in-
fluence de l'amour-propre sur la volonté et sur son art
d'aiguiser et d'aiguillonner notre énergie. V. p. 109 1. 9,
P. 41, 1. 16. Variante: La personne indiquée M. de
P... est nommée dans le manuscrit; c'est M'"** de Flahaut.
Le récit est identique, mais finit ainsi : « Dès ce moment
la conversation tomba. »
P. 63, 1. 2 5 ... «emporter la pluralité des suffrages. » Il
y a à cette pensée une variante ainsi conçue : « La pré-
tention la plus absurde et la plus injuste, qui seroit sifflée
dans une assemblée d'honnêtes gens, peut devenir la matière
d'un procès^ et dès lors être déclarée légitime; car tout
procès peut se perdre ou se gagner : de même que, dans les
corps, l'opinion la plus folle et la plus ridicule peut être
admise, et l'avis le plus sage rejeté avec mépris. Il ne s'agit
que de faire regarder l'un ou l'autre comme une affaire de
parti, et rien n'est si facile entre les deux partis opposés qui
divisent presque tous les corps. »
P. 69, 1. 20. Boyle. Il s'agit de Robert Boyle, célèbre
physicien et chimiste anglais, né à Lismore, en Irlande; le
25 janvier 1626, mort à Londres le 3o décembre 1691.
Il naquit l'année même de la mort de Bacon. Fondateur du
collège philosophique (1645), réunion d'hommes voués
NOTES ET VARIANTES
comme lui à l'étude de la nature et à la pratique de la mé-
thode expérimentale, devenue sous Charles II la Société ou
Académie royale des sciences. Voir, sur les travaux, les re-
cherches et les découvertes de Boyle, VHistoire de la Chi-
mie de Ferd. Hoefer.
P. 80, 1. 2 1. Je tiens ma langue vermeille. Le manu-
scrit ajoute : « et mon urine bien briquetée. »
P. 184, 1. 2 3. La Fontaine fut reçu à l'Académie en
1684, après la mort de Colbert (i683), qui n'eCit pas
admis la candidature d'un familier et d'un favori de Fou-
quet.
P. 134, 1. 28. Quinault fut admis à l'Académie en 1670.
Jusqu'alors il n'avait fait que des tragédies : son premier
opéra est de 1672,
P. 154, 1. 17-18. Exposé aux écarts. Voir la Préface
des Éloges de l'Académie lus dans les séances publiques de
l'Académie française, tome 1, p. XVI.
P. 224J 1. 14. C'est proprement un charme. Chamfort,
le lecteur l'a déjà remarqué, s'est plu à emprunter autant
qu'il l'a pu à La Fontaine ses propres expressions.
P. 3 5 1, 1. 2 5 (note). Le Mécène dont il est ici ques-
tion n'était autre que Necker , qui avait augmenté le prix
dans l'espoir qu'il serait décerné b. La Harpe.
TABLE ANALYTIQUE
DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE TOME PREMIER.
Académie Françoise. On diroit qu'elle a pris pour devise
un vers de Lucrèce. Page 1 1 i. — L'honneur d'en être est
comme la croix de Saint-Louis, i 1 1 . — Est comme l'O-
péra. III . — Histoire du discours de réception du duc de
Richelieu. 112.
Académie des inscriptions et belles-lettres. Critique de
son institution et de ses attributions. i56. — Met aux or-
dres du despotisme une érudition faussaire. iSy. — Déclare
fausse et dangereuse l'opinion qui conteste au roi le pou-
voir législatif. 157.
Académie. Rapport sur les Académies. Ouvrage de Chani-
fort que Mirabeau devoit lire à l'Assemblée nationale en i 79 i .
128. — Ce rapport s'applique surtout à l'Académie fran-
çoise ; pourquoi. 128. — Qu'est-ce que l'Académie fran-
çoise? à quoi sert-elle? 129. — Ses débuts, protection de
Richelieu. 129. — Est constituée légalement sous cette pro-
tection. i3o. — Causes qui font entrer dans la compagnie
plusieurs gens de lettres obscurs et quelques gens en place
ou en cour. i3o. — Étrange amalgame, jolie fable de
Patru. 1 3 1. — Regrets des fondateurs de l'Académie. 1 3 1 .
272 TABLE ANALYTIQUE
— Arguments des défenseurs de cette institution. i32. —
Tous leurs sophismes roulent sur la gloire de certains aca-
démiciens célèbres dont ils reportent l'honneur au corps.
i3 2. — Qui peut admettre que la gloire de tous ces grands
hommes soit une propriété académique? i3 3. — Est-ce
pour entrer à l'Académie que Corneille a écrit Horace,
Cinna, Polyeucte ? Est-ce pour entrer à l'Académie que Ra-
cine a fait ses chefs-d'œuvre? i3 3, — Et Boileau, et Mo-
lière, et La Fontaine, et Quinault? i 34-1 3 5. — Il en est
des grands écrivains en prose comme des poètes, i 3 5. — Son
Dictionnaire; critiques sévères et âpres de Voltaire. i36. —
Le retard mis à faire paroître la nouvelle édition du Diction-
naire atteste victorieusement l'inutilité de la compagnie. 137.
— Vingt ans, trente ans, pour un Dictionnaire, ne suffisent pas
à tout un corps, quand Furetière, Johnston, Moréri, Thomas
Corneille, ont pu en faire un en n'y employant qu'une partie
de leur vie. i 36. — Où sont la Grammaire et la Rhétorique
que ses statuts lui permettoient de donner au public? i38.
— Critique des discours de réception, i 39-140. — Objection
tirée de ce que des hommes célèbres ont déclaré dans leur
discours de réception qu'ils ont vivement désiré l'Académie.
140. — L'empressement réel que des grands hommes ont
quelquefois montré pour le fauteuil académique doit être
attribué à la mode et à l'influence du gouvernement. 140-
141. — Avantage de tenir à un corps. 141. — Pourquoi
Montesquieu, après s'être moqué de l'Académie, aspire à
en être. 142. — ■ Voltaire fait de même. 142. — Pourquoi
Montesquieu et Voltaire veulent en être après s'en être
moqués. 142-143. — De la troisième fonction académique :
Complimens aux rois, reines, princes, princesses, cardinaux,
ministres. 143. — Quatrième et dernière fonction : Distri-
bution des prix d'éloquence, de poésie, etc. 144. —
Cette fonction seule ne sauroit imposer l'obligation de
soutenir un établissement public, si peu onéreux qu'il soit.
144. — Vanité de Téloquence académique. 145. — Des
prix de vertu. 145-146. — Critique de leur destination ex-
clusive à la classe indigente. 146-147. — Le pauvre aussi
peut être payé par sa conscience. 147. — Le pauvre s'in-
DES MATIÈRES 278
digne de recevoir de l'or en récompense de la vertu. 148.
— Preuves de cette assertion. 148-149. — L'examen de
chacune des fonctions académiques démontre l'inutilité de
l'institution. i5o, — Examen et critique du Recueil des
éloges académiques, i 5 i . — Si l'on veut trouver l'exemple
de la plus vile flatterie, on la trouvera non dans la cour de
Louis XIV, mais dans l'Académie, i 5 i . — Après la mort
du roi, la tradition de servitude continue. Exclusion de
l'abbé de Saint-Pierre. iSa. — Le nouvel ordre de choses
feroit disparaître les abus, mais resteroit la perpétuité de
l'esprit d'un corps créé pour la servitude. i53. — Preuve
tirée de la Préface du Recueil de d'Alembert. i5 3. —
L'Académie des inscriptions et belles-lettres est la digne ca-
dette de celte aînée i56. — L'extinction de ces corps n'est
que la conséquence nécessaire du décret qui a détaché les
esclaves enchaînés à la statue de Louis XIV. iSy. — Une
corporation pour les arts du génie ! c'est ce que les Anglois
n'ont jamais conçu, i 58. — Qui réclameroit contre la sup-
pression? Les ennemis seuls de la Révolution. i58. — Qui
rechercheroit désormais les honneurs académiques? 169. —
Il faut épargner à l'Académie une mort naturelle. iSg. —
L'Académie n'a jamais joui de la faveur populaire. 160.
Achille. Il faudroit être un Achille sans talon, et c'est ce
qui paroît impossible. 87.
Affaires (Un homme qui a beaucoup d'). 208.
Aimable Un homme qui n'est pas aimable. 194, — Un
homme aimable quand il est à son aise. 210.
Alembert (D'). Courtisan de Voltaire par un intérêt de
vanité. 81. — Voltaire lui reproche de s'être laissé couper
les ailes à l'Académie. 143. — Examen et critique de son
Recueil des éloges académiques, i 5 i . — Il révèle, dans la
préface de son Recueil des éloges académiques, le honteux
secret des Académies. i53. — Extraits à l'appui, i 54-1 5 5.
— Son colloque avec un suisse de porte. 206.
Allégorie. Explication proposée pour celle de l'arbre de
la science du bien et du mal. 3. — Celle qui représente
Minerve rejetant la flûte. 7. — Celle qui fait sortir les
Chamfort. I. 35
274 TABLE ANALYTIQUE
songes vrais par la porte de corne et les songes faux par la
porte d'ivoire. 7.
Ambitieux. Rappelle Ixion mis sur la roue. 7.
Ambition. Sottise sérieuse. 6. — Prend aux petites âmes
plus facilement qu'aux grandes. 7,
Ame. Lorsqu'elle est malade, fait précisément comme le
corps. 5.
Américains. L'Amérique septentrionale est l'endroit de
l'univers où les droits de l'homme sont le mieux connus.
179. — Il se formera dans ces îles espagnoles et françoises,
et surtout dans le continent de l'Amérique espagnole, de
nouvelles constitutions dont la liberté sera le principe et la
base. 180.
Amis. Ce que sont les nouveaux amis que nous faisons
après un certain âge aux anciens amis. 8. — 11 y a peu de
vices qui empêchent un homme d'avoir beaucoup d'amis,
autant que de trop grandes qualités. 10. — Tristesse du
rôle de l'homme prévoyant vis-à-vis de ses amis. 10 et 11.
— M..., non-seulement veut que ses amis soient heureux,
il l'exige. 11. — Raisonnement bien étrange qu'on fait
quelquefois dans le monde en récusant le témoignage d'un
homme sur un autre par ce mot : C'est votre ami. 94.
Amitié. Est souvent blessée du repli d'une rose. 8. —
Dans de certaines amitiés, on a le bonheur des passions et
l'aveu de la raison. 8. — A qui ressemble celui qui dé-
guise la tyrannie sous l'air et le nom de l'amitié, 8. — Il
n'y a que l'amitié qui développe toutes les qualités de l'âme
et de l'esprit de certaines personnes. 8. — Ne souffre l'al-
liage d'aucun autre sentiment. 9. — On partage avec plai-
sir l'amitié de ses amis pour des personnes auxquelles on
s'intéresse peu soi-même. 9. — La plupart des liaisons de
société sont à l'amitié ce que le sigisbéisme est à l'amour.
10. — ^ La plupart des amitiés sont hérissées de si et de
mais. II. — • Peut-être faut-il avoir senti l'amour pour le
bien connoître, 11. — L'âme qui a senti l'amitié dédaigne
les liaisons communes et les petits intérêts. 42. — Les
femmes ne donnent à l'amitié que ce qu'elles empruntent à
l'amour. 45. — Entre deux femmes. 193. — Un ami qu'on
DES MATIÈRES 275
ne connoît pas. 209. — Réponse de Chamfort à cette ques-
tion : si, dans la société, un homme peut ou doit laisser pren-
dre sur lui des droits qui souvent humilient l'amour-propre.
2 18 à 220.
Amour. Folie aimable, 6. — Ce que fait penser à Cham-
fort la vue d'un homme et d'une femme qui ont l'un pour
l'autre une passion violente. 11. — Otez l'amour-propre
de l'amour, il en reste trop peu de chose. 12. — Qu'est
l'amour tel qu'il existe dans la société? 12. — H y a plus
de gens qui veulent être aimés que de gens qui veulent ai-
mer, 12. — Les sages ne font point de conquêtes. 12. —
Le secret de son sexe dit par une femme. 12. — C'est par
notre amour-propre que l'amour nous séduit. i3. — Il n'y
a point de redites pour le cœur. i3 — L'amour n'aime
que les perfections qu'il crée. i3. — L'amant trop aimé de
sa maîtresse semble l'aimer moins. i3. — En amour, tout
est vrai, tout est faux. i3. — De l'homme amoureux qui
plaint l'homme raisonnable, i3. — L'amour, pour paroître
honnête, a besoin de n'être composé que de lui-même. 14.
— Quand on voit de l'engouement chez quelqu'un, il faut
se défier de sa sensibilité. 14. — En fait de sentimens, ce
qui peut être évalué n'a pas de valeur. 14. — Plus on
craint l'amour, plus on y est exposé. 14. — Un homme
amoureux veut être plus aimable qu'il ne peut. 14. —
Commerce orageux qui finit toujours par une banqueroute.
14. — Il y a des hommes et des femmes qui ne demandent
pas l'échange du sentiment contre le sentiment, mais du pro-
cédé contre le procédé. 14. — Mot d'un amant de la duchesse
d'Olonne. i5. — Pourquoi le dauphin père du roi
Louis XVI fut longtemps sans aimer sa seconde femme. i5.
— Mot d'un amoureux passionné, i 5. — Mot d'un homme
attaquant une femme sans être prêt. i5. — L'amour d'a-
près Plutarque. 16. — Mot de M... entendant prêcher
contre l'amour moral, à cause des mauvais effets de l'ima-
gination. 16. — Comment M. de L... supporte l'infidélité
de M°ic de B... 16. — Une femme est une excellente
nuance intermédiaire entre deux couleurs opposées. 16. —
L'amour le plus honnête ouvre l'âme aux petites passions.
276 TAILE ANALYTIQ^UE
5 5. — Dire tout avec un nom. 210. — L'esprit en amour.
211. — Trop de perfection nuit en amour. 212. — Ma-
ternel : c'est à lui que la nature a confié la conservation de
tous les êtres. 40,
Anglois (Les). Sont le seul peuple qui ait trouvé le
moyen de limiter la puissance d'un homme dont la figure
est sur un petit écu. 176. — Auront la gloire unique d'a-
voir formé presque les seuls peuples libres de l'univers. 180.
— Respectent la loi et repoussent ou méprisent l'autorité.
180.
Arget (D') divertit le roi de Prusse en lui décrivant le
lever du roi de France, 2o3.
Arnauld. L'ambition académique lui fut toujours étran-
gère. i3 5.
Assemblée nationale de 1789. A donné au peuple fran-
çois une constitution plus forte que lui. i83. — A voir les
députés avec leurs préjugés, on eiàt dit qu'ils ne les avoient
détruits que pour les prendre. i83.
Assemblées provinciales. Comment fut réglée la question
du pouvoir qu'il falloit accorder aux intendans dans ces
assemblées. 187.
AuBiGNÉ (D'). Texte choisi par le prédicateur à son ma-
riage. 54,
Auteurs. Il y a une certaine énergie ardente, mère ou
compagne nécessaire de telle espèce de talens, laquelle con-
damne ceux qui les possèdent au malheur non d'être sans
morale, mais de se livrer fréquemment à des écarts qui
supposeroient l'absence de toute morale. 1 1 3. — Écrivains en
physique, histoire naturelle, etc., sont d'un caractère doux,
et en général heureux; au contraire, les écrivains de po-
litique, de législation, etc., sont d'une humeur triste et mé-
lancolique ; pourquoi. ii3. — Les poètes sont dans le fait
encore moins de vrais juges que les géomètres. 114. — Il
y a des hommes chez qui l'esprit n'est qu'un talent par le-
quel ils semblent dominés. 11 5. — Les gens de lettres ne
peuvent être portés que par un motif d'intérêt ou de vanité
à plaire à d'autres qu'à leurs amis, i i 5. — Ce qu'on a dit
d3 prendre sur les anciens et de piller les modernes. ii5.
DES MATIERES 277
— Les vers ajoutent de l'esprit à la pensée de l'homme qui
en a assez peu, et ôtent de l'esprit à la pensée de celui qui
a beaucoup d'esprit. 1 1 5-i 16. — La plupart des livres d'à
présent ont l'air d'avoir été faits avec des livres lus de la
veille. 116. — Le bon goût, le tact et le bon ton ont plus
de rapport que n'affectent de le croire les gens de lettres.
116. — Toute métaphore fondée sur l'analogie doit être
également juste dans le sens renversé. 116. — Pour être un
grand homme dans les lettres, il faut trouver tout préparé et
naître à propos. 116. — Ce que font les grands seigneurs
et les beaux esprits en se recherchant. 11 6- 117. — Les
gens de lettres aiment ceux qu'ils amusent. 117, — Qii'est-
ce qu'un homme de lettres qui n'est pas rehaussé par son
caractère, le mérite de ses amis et un peu d'aisance? 117.
— Ce qu'on dit et ce qu'on répète après avoir lu quelque
ouvrage qui respire la vertu. 117. — Ce qu'un auteur homme
de goût est parmi ce public blasé. 118. — Sort que le
public fait à l'écrivain. 118. — Le repos d'un écrivain qui
a fait de bons ouvrages est plus respecté du public que la
fécondité d'un auteur médiocre. 118. — Ce qui fait le suc-
cès de quantité d'ouvrages, i 18-1 19. — Il en est des ré-
putations littéraires comme des fortunes qu'on faisoii autre-
fois dans les îles. 119. — Les succès de littérature ne sont
guère aujourd'hui que des ridicules. 119. — La philosophie
découvre, l'éloquence rend populaires, la poésie rend pro-
verbiales les vertus utiles de la morale et de la politique.
119. — Ce qu'un sophiste éloquent, mais dénué de logi-
que, est à un orateur philosophe. 119. — Il est presque
impossible qu'un philosophe, qu'un poëte, ne soient pas mi-
santhropes. 121. — Les mémoires des gens en place et des
gens de lettres trahissent leur vanité secrète. 121. — C'est
un grand malheur de perdre, par notre caractère , les droits
que nos talens nous donnent sur la société. 121. — La
vanité des gens du monde se sert habilement de la vanité
des gens de lettres. 121. — Définition des économistes.
122. — Pourquoi les gens de lettres ne sont pas jaloux des
réputations quelquefois exagérées des ouvrages des gens de
la cour. 122. — Plusieurs croient aimer la gloire et n'ai-
278 TABLE ANALYTIQ^UE
ment que la vanité. 122. — La postérité ne considère les
gens de lettres que par leurs ouvrages. 122. — Un auteur
qui s'énonce très-clairement pour lui-même est quelquefois
obscur pour son lecteur. 12 3. — Les ouvrages faits avec
plaisir sont souvent les meilleurs. i2 3. — On ne sait bien
que ce qu'on n'a point appris. i23. — Le poëte et le pein-
tre. 12 3. — La perfection idéale d'une comédie de carac-
tère. 123. — Réflexions sur le tombeau de Plantin à An-
vers. 123. — Misères illustres. 124. — Mot dit sur un
faiseur de livres faits. i2 5. — Un mot de l'abbé Trublet.
12 5. — Questions naïves d'une petite fille à l'auteur d'un
livre sur l'Italie, i 2 S. — Mot de M..., à qui on demandoit
fréquemment la lecture de ses vers. 12 5. — Pourquoi notre
langue est amie de la clarté. 126. — Il faut que l'homme
à imagination croie en Dieu. 126. — Les vers sont comme
les olives. 126. — A quoi servent les livres aux sots, aux
ignorans, aux gens malhonnêtes? 126. — Mot sur les éru-
dits. 127. — Portrait d'un pédant. 127. — Mot sur le
Mercure. 127.
Bacon. En le lisant, on cesse presque d'admirer les grands
hommes qui lui ont succédé. 69.
Bayle. Auteur d'un Dictionnaire où se trouvent cent ar-
ticles pleins de génie. i38.
Bienfait. Pourquoi on s'attache par ses bienfaits. 17. —
Ce à quoi doit songer un bienfaiteur délicat. 17. — Le
sentiment qu'on a pour la plupart des bienfaiteurs ressem-
ble à la reconnoissance qu'on a pour les arracheurs de
dents. 17. — Tout bienfait qui n'est pas cher au cœur est
odieux. 17. — La plupart des bienfaiteurs ressemblent à la
Galatée de Virgile. 17. — H y a peu de bienfaiteurs qui ne
disent comme Satan. 18, - — La plupart des bienfaiteurs res-
semblent à des généraux maladroits. 18. — Les bienfaiteurs
maladroits comparés à la chèvre. 18.
Biévre (Le marquis de), petit-fils du chirurgien Maréchal.
Se croit obligé d'émigrer. i85.
BoiLEAU. Ne fut admis à l'Académie françoise que grâce
à l'influence toute-puissante de Louis XIV. 134.
Bonheur. Consisteroit à pouvoir unir les contraires. 18.
DES MATIERES 279
— Deux choses auxquelles il faut se faire, sous peine dç
trouver la vie insupportable, 19. — Robinson dans son île
est heureux par son isolement même. 19. — On est heu-
reux ou malheureux par une foule de choses qu'on ne peut
dire. 19. — Le plaisir peut s'appuyer sur l'illusion, mais le
bonheur repose sur la vérité. 19. — La mort est le bon-
heur suprême. 20. — Celui qui veut trop faire dépendre son
bonheur de sa raison finit par n'en plus avoir. 20. — Le
temps diminue l'intensité des plaisirs absolus et accroît celle
des relatifs. 20. — Il faut éponger la vie à mesure qu'elle
s'écoule. 20. — L'époque du bonheur de la vie commence
au moment où les prétentions finissent. 21. — Il en est du
bonheur comme des montres : les moins compliquées sont
celles qui se dérangent le moins. 21. — Il est très-difficile
de trouver le bonheur en nous, impossible de le trouver ail-
leurs. 22. — Tout est également vain dans les hommes,
22. — L'imagination de... fait naître une illusion au mo-
ment où il vient d'en perdre une. 22.
Bonté. Un homme sans élévation ne peut avoir de la
bonté. 22.
BossuET. Avoit-il besoin du foible aiguillon de l'ambition
académique pour remplir la destinée de son génie? i3 5.
BouRDALOUE. L'ambition académique lui fut toujours
étrangère. i3 5.
Bouvard, médecin. Mot d'un mourant sur lui. 57.
BoYLE. Qu'est-ce qui a fait sa gloire? 75.
Bruyère (De La). Est des moralistes qui n'ont vu la nature
humaine que du côté odieux ou ridicule. 2. — Ne pense
pas plus à l'Académie, en composant ses Caractères , que
La Rochefoucauld en écrivant ses Maximes. i3 5.
Calomnie. Un homme sage se doit à lui-même d'avoir la
prudence qui devine et prévient la calomnie. 22. — Est
pareille à la guêpe. 22-23.
Cardinal. Qu'est-ce qu'un cardinal? 178.
Caractère. Quiconque n'a pas de caractère n'est pas un
homme. 2 3. — Celui qui ne peut pas toujours dire le Moi!
de Médée n'est rien. 2 3. — Celui qui s'est élevé par soa
caractère au point de mériter qu'on devine quelle sera sa
2ÔO TABLE ANALYTIQ^UE
conduite dans toutes les occasions qui intéressent l'honnêteté
est décrié et évité avec soin. 2 3. > — L'amour-propre d'un
cœur généreux est l'égoïsme d'un grand caractère. 2 3. —
Les grands caractères de notre histoire moderne y sont
comme déplacés. 24. — Un homme d'esprit est perdu s'il
ne joint pas à l'esprit l'énergie du caractère. 24. — Il faut
savoir faire les folies que nous demande notre caractère. 24.
— On anéantit son propre caractère dans la crainte d'at-
tirer l'attention. 24. — Il y a quelquefois entre deux
hommes de fausses ressemblances de caractère. 24. — Tel
homme a été craint pour ses talens, haï pour ses vertus, et
n'a rassuré que par son caractère. 24. — Les gens foibles
sont les troupes légères de l'armée des méchans. 2 5. — 11
n'est pas rare de voir des âmes foibles qui veulent s'élever
au-dessus de leur caractère. 2 5. — Comment l'entêtement
représente le caractère. 2 5. — Les caractères vigoureux se
reposent dans l'extrême. 2 5. — L'homme sans principes est
ordinairement sans caractère. 74. — L'honnête homme dé-
trompé de toutes les illusions est l'homme par excellence.
75-76. — Il y a une prudence supérieure qui consiste à
suivre hardiment son caractère. 85. — Comment il est né-
cessaire de juger un homme par l'ensemble de ses principes
et de son caractère. 104. — Tout homme qui se connoît
des sentimens élevés a le droit d'exiger d'être traité non
suivant sa position, mais suivant son caractère. 104. — La
foiblesse de caractère ou le défaut d'idées préservent beau-
coup de gens de la misanthropie. io5. — C'est un grand
malheur de perdre, par notre caractère, les droits que nos
talens nous donnent sur la société. 121.
CÉLÉBRITÉ. Combien de militaires distingués sont morts
sans avoir transmis leurs noms à la postérité. 2 5. — Il faut
qu'un honnête homme ait l'estime publique sans y avoir
pensé. 2 5. — L'estime vaut mieux que la célébrité. 27. —
Célébrité : est l'avantage d'être connu de ceux que vous ne
connoissez pas. 27. — Il est aisé de réduire à des termes
simples la valeur précise de la célébrité. 27. — L'homme
d'un vrai mérite doit avoir peu d'empressement d'être connu.
27. — Est le châtiment du mérite. 29.
DES MATIÈRES 281
Chamfort (^Sébastien-Roch-Nicolas). Notice sur lui.
Pages V à xxxix. Né en 1741, en Auvergne, Est un des
bâtards célèbres du siècle, v. — De qui il étoit fils, vi.
— Sa mère. vi. — Élevé comme boursier au collège des
Grassins. vu. — Remporte tous les prix. vu. — Débuis
précaires vu. — Le Vocabulaire français, viii. — Vend des
sermons, viii. — Premier prix académique, ix. — Succès
galans. ix. — Infirmités précoces, x. — La Jeune In-
dienne. XI. - Vie pénible et dégoiàt ; douces amitiés, xi. —
Éloge de Molière. — Le Marchand de Smyrne. xi. — Géné-
rosité de Chabanon. xi. — VÉloge de La Fontaine est cou-
ronné par l'Académie de Marseille, dont la libéralité de
Necker a accru le prix, xii, — Seconde phase de la vie de
Chamfort. Il est célèbre, il a la faveur de la cour. xii. —
Patronage des Choiseul. xiii. — Bilan de sa situation litté-
raire et pécuniaire, xiii. — Mustapha et Zéangir. xiii. —
Bienveillance de Marie-Antoinette. Chamfort entre à l'Aca-
démie. XIV. — Places et pensions, xv. — Pourquoi Cham-
fort n'est pas heureux, xv. — Un épisode de la vie intime
de Chamfort, xvi-xviii. — La mort dénoue le roman, xviii.
— Don Brusquin d'Algarade, xix, — Misanthropie, xx. —
Désabusement. Diogénisme désintéressé, xxi. — Évolution
politique qui suit cette évolution morale. Collaboration au
Mercure. Intimité avec les Panckoucke. xxii-xxiii. - Liaison
avec Mirabeau, xxiv. — Le rapport sur les académies,
xxiv. — Apostolat démocratique; révélation de Garât, xxv.
— Souffleur de Mirabeau, de Talleyrand, de Sieyès. xxv.
— Désillusion ; Chamfort est dégoiàté de la Révolution par
ses excès, xxvi. — Il ne le cache pas; guerre d'épigrammes.
XXVI. — Résolution stoique. xxvii. — Les chats aux ongles
rognés, xxvii. — Dénonciation de Tobiesen Duby. Em-
prisonnement de Chamfort aux Madelonnettes. xxviii. —
La bonne de Chamfort. xxviii. — Pour éviter de rentrer
dans une maison d'arrêt, Chamfort prend le parti de se tuer.
— Dramatique tentative de suicide, xxix. — Déclaration
cornélienne, xxx. — Longue agonie et mort de Chamfort.
xxx-xxxi, — Sa devise, xxxi. • — ■ Portrait de Chamfort,
par Chateaubriand, xxxii. — Célèbre pendant sa vie, par
36
252 TABLE ANALYTIQ^UE
ses ouvrages légers, Chamfort ne l'est plus que grâce à son
œuvre posthume, xxxiii. — Parallèle entre Rivarol et Cham-
fort. XXXIV. — Moralistes de décadence, xxxiv. — Appré-
ciation de l'esprit de Chamfort par Rœderer. xxxv. —
Clous à pointe d'airain, à tête d'or, xxxvi. — La monnoie
de Chamfort. xxxvn. — Explications sur le plan de la
présente édition, xxxvm et xxxix. — Relation par Ginguené
du suicide et de la mort de Chamfort. xl à xlviii. — Sen-
timent qu'il conserve pour M. de B... 9, et Notes, p. 268.
— Regarde comme un grand bonheur que l'amitié fût déjà
parfaite entre M. (Mirabeau) et lui avant qu'il eût occasion
de lui rendre service. 9, et Notes, p. 269. — Quand son cœur
a besoin d'attendrissement, il se rappelle la perte des amis
qu'il n'a plus, des femmes que la mort lui a ravies 9. —
Sa vie entière est un tissu de contrastes apparens avec ses
principes. 28. — Ne sait plus ce qu'il a appris; ce qu'il
sait encore, il l'a deviné. 28. — Un des grands malheurs
de l'homme, c'est que ses bonnes qualités mêmes lui sont
quelquefois inutiles. 28-29. — Quand il étoit jeune on lui
prêchoit l'amour de la retraite; arrivé à l'âge de quarante
ans, on le tourmente pour revenir dans le monde. 29. —
Sa vanité littéraire a péri dans la destruction de l'intérêt
qu'il prenoit aux hommes. 3o. — -S'aperçoit que qui quitte
la partie la gagne. 3o. — N'a pas toujours été aussi céla-
don qu'on le voit. 3o. — Son bonheur n'a comm.encé que
lorsqu'il a eu perdu l'espérance. 3o. — N'étudie que ce
qui lui plaît. 3o. — A détruit ses passions comme un homme
violent tue son cheval. 3o. — Ses premiers sujets de cha-
grins lui ont servi de cuirasse contre les autres. 3i. — A
à se plaindre certainement des choses et peut-être des
hommes. 3 i . — La fortune passera par ses conditions. 3 i .
— Aime par-dessus tout la paix. 3i.
Chapelle. Droit d'y être enterré. Contestation d'espèce.
197.
Chasse. Image de la guerre, surtout pour le paysan. 177.
Chérin. Généalogiste. La nature ne le consulte pas. 172.
CoNQuÉRANS. Passeront toujours pour les premiers des
hommes. 6/\.
DES MATIÈRES 283
Conscience. Même le mendiant ne doit pas laisser insulter
sa conscience, fijt-ce par le premier souverain de l'Europe.
3 2. — La conviction est la conscience de l'esprit. 3 2, -
On voit des hommes trahir leur conscience pour complaire
à un homme qui a une simarre ou un mortier. 88.
Conseiller. Vénal. 193.
Constitution. De son effet sur les beaux-arts. 201.
Conversation. Les conversations ressemblent aux voyages
qu'on fait sur l'eau. 3 2. — Mot de M..., à qui on repro-
choit de n'avoir pas fait grande dépense d'esprit dans une
réunion. 3 2.
Conversation (Succès deK 200.
Corneille (Pierre). Qui croira qu'il n'ait écrit Horace,
Cinna, Polyeucte, que pour obtenir l'honneur d'être assis en-
tre MM. Granier, Salomon, Porchère, etc.? i33. — Criti-
qué par l'Académie, en appelle au peuple. i5 8. — Pour-
-quoi il a daigné y apporter ses lauriers, i 69.
Corneille (Thomas). Épuisé de travaux, commence et
finit, dans sa vieillesse, le Dictionnaire des Sciences et des
Arts et le Dictionnaire géographique, i^-j.
Corps (Les). Parlements, assemblées, académies, se sou-
tiennent par leur masse, et on ne peut rien contre eux. 169.
— Raison pour laquelle les corps et les assemblées ne peu-
vent guère faire autre chose que des sottises. i83.
Cour (La). Les actions utiles ne sont, quand on n'a point
la faveur de la cour, que des péchés splendides. i65. —
A la cour, tout est courtisan. 167. — Ce qu'est une ami-
tié de cour, 167. — Voulez-vous être l'ami d'un homme
de la cour, faites sa généalogie. 168. — N'a jamais été
plus ennemie des gens d'esprit, 200.
Courtisans. Plus d'un prince pourroit dire de ses courti-
sans ce qu'un homme riche disoit des pauvres. 162. — Mot
sur un courtisan comparé au lierre, qui s'attache en ram-
pant. 162. — Sont des pauvres enrichis par la mendicité.
i63. — Mot d'un courtisan à la mort de Louis XIV. 164.
— Autre mot d'un courtisan. 164. — Ce que rappellent
les gens qui croient aimer un prince dont ils viennent d'être
bien traités. 164. — Pourquoi nombre de courtisans ont
:84
TABLE ANAl.YTIQ^UE
l'œil faux, i65. — Quelle vie que la leur. i66. — Se
font haïr sans profit. i66. — Leur état est un métier dont
on a voulu faire une science. 167. — A la cour, tout est
courtisan. 167. — Ce qu'ils disent de la chasse n'est que
trop vrai. 177. — Auroient voulu qu'on nettoyât l'étable
d'Augias avec un plumeau. 184.
Danaides (Les). Opéra, par le baron de Tschoudy. Con-
versation au sortir de — . 2o5-2o6.
Dauphin (M. le), père de Louis XVI; pourquoi il est
longtemps sans aimer sa seconde femme, i 5.
DÉFAUTS. Certains défauts préservent de quelques vices
épidémiques. 4.
DÉFIANCE Ceux qui la conseillent l'inspirent. 212.
Despotisme. A des partisans sous le rapport de la néces-
sité d'encouragement pour les beaux-arts. C'est la faute de
Louis XIV. 174. — Comment se fait-il que sous le despo-
tisme le plus affreux on puisse se résoudre à se reproduire?
176. — Il est heureux pour les hommes, peut-être pour les
tyrans, que les pauvres n'aient pas la fierté de l'éléphant, qui
ne se reproduit point dans la servitude. 177. — Sa défini-
tion opposée à celle du régime populaire. 181.
Dettes. — Les Hollandois n'ont aucune commisération
de ceux qui font des dettes. 82.
Diderot. Son mot sur la femme et la maîtresse. 5 5. —
Son mépris pour l'Académie, 143.
DioGÉNE. S'il vivoit de nos jours, il faudroit que sa lan-
terne fût sourde. 78.
DuFRESNY. N'a jamais prétendu à l'honneur académique,
i35.
Éducation. Qiielle peut être l'utilité des écrits sur l'édu-
cation, tant qu'on ne fera pas marcher de front les réformes
relatives à la législation, à la religion, à l'opinion publique?
3 3. — Ce seroit une chose curieuse qu'un livre qui indique-
roit toutes les idées corruptrices de l'esprit développées dans
les écrits les plus célèbres. 3 3. — L'éducation doit porter
sur deux bases : la morale et la prudence. 34. — Un père
qui veut de la simplicité. 199.
Éloge de La Fontaine 221a 266,
DES MATIÈRES 285
Empereur (Joseph II). Son entretien avec le roi de Na-
ples sur son éducation. 20 3.
Enfans. Moyen d'en discerner le père. 198.
Ennemis. Il y a une sorte d'indulgence pour ses ennemis
qui paroît une sottise, 34.
Espion, Peut seul retenir une phrase de M, de L... 196,
Esprit. En France, tout le monde paroît avoir de l'esprit.
34. — Il y a des sottises bien habillées. 3 5, Il y a entre
l'homme d'esprit méchant et l'homme d'esprit bon la différence
d'un assassin à un homme qui fait bien des armes. 3 5. —
C'est la plaisanterie qui doit faire justice de tous les travers
des hommes et de la société. 3 5. — On n'imagine pas combien
il faut d'esprit pour n'être jamais ridicule, 37. — Un sot
qui a un moment d'esprit étonne et scandalise. 37, — L'es-
prit est souvent au cœur ce que la bibliothèque d'un châ-
teau est à la personne du maître. 37. — Sentir fait penser.
37. — Réponse d'un homme d'esprit persiflé par deux mauvais
plaisans. 37.
Étonnement. Un homme peu facile à étonner. 200.
Fat. Qu'est-ce qu'un fat sans fatuité? 07.
Femmes. Il n'y a plus que deux états pour elles : femme
de qualité ou fille. 38. — Les femmes d'un état mitoyen...
sont les plus malheureuses, 38. — Moyen de se faire une
idée de l'amour-propre des femmes dans leur jeunesse, 38.
— Les faveurs des femmes. 38. — Malheur des jeunes
femmes. 38-39. — ^^ société réduit les femmes à rien. 39.
— Ce dont les femmes sont le moins susceptibles, c'est l'at-
tachement. 39. — Pourquoi M™° de,., a été rejoindre son
amant en Angleterre. 39. — Pourquoi un homme a quitté
les filles d'opéra. 40, — Le temps a fait succéder le pi-
quant du scandale au piquant du mystère. 40. — Dans
toutes les espèces animales, la dégénérescence commence
par les femelles. 40. • — Qu'est-ce que c'est qu'une maî-
tresse? 40, — Qu'est-ce que c'est qu'une laide impérieuse
et qui veut plaire? 40. — La femme supérieure à son sexe,
ou de son sexe, ou hors et au-dessous de son sexe, 41. —
Il y a dans le cerveau des femmes une case de moins et
dans leur cœur une fibre de plus que chez les hommes. 41 .
286 TABLE ANALYTIQ^UE
— Réponse d'une jeune Angloise qu'on veut dissuader
d'épouser un homme trop inférieur à elle. 41. — Un ma-
nège de femme laide. 41. — Pourquoi telle femme s'est
rendue malheureuse et s'est déshonorée pour la vie. 42. —
Pourquoi les femmes affichent les hommes. 42. — Il est
plaisant que le mot connaître une femme veuille dire cou-
cher avec elle. 42. — Les femmes font avec les hommes
une guerre oià ceux-ci ont un grand avantage. 43. — Telle
trouve à se vendre qui ne trouveroit pas à se donner. 43.
— On est toujours dans le cas de leur pardonner un prédé-
cesseur ou un successeur. 43. — Le commerce des hommes
avec les femmes est un commerce guerrier. 43. — Ce qu'il
faut pour qu'une liaison d'homme à femme soit vraiment
intéressante. 43. — Ce qui rend le commerce des femmes
piquant. 43. — Les femmes donnent précisément ce qu'on
croit recevoir. 44. — L'indécence, le défaut de pudeur,
sont absurdes dans tout système. 44. — Remarque sur
l'Écriture. 44. — On seroit trop malheureux près des fem-
mes d'avoir de la mémoire, 44. — Pourquoi la nature a
donné aux hommes un goût indestructible pour les femmes.
44-45. — Celui qui n'a pas vu beaucoup de filles ne con-
noît pas les femmes. 45. — Ne donnent à l'amitié que ce
qu'elles empruntent à l'amour. 45, — Une femme ne sup-
pose jamais la vertu d'une autre. 45. — Quelque mal qu'un
homme puisse penser des femmes, il n'y a pas de femme qui
n'en pense plus que lui, 45. — Le mariage, les liaisons de
femmes, mettent les hommes au niveau de ceux qui n'ap-
prochoient pas d'eux. 45. — Une femme n'est que ce qu'elle
paroît être. 46. — Presque toutes les femmes, soit de Ver-
sailles, soit de Paris, ne sont autre chose que des bourgeoises
de qualité. 175. — Une femme qui réussit à tout ce qu'elle
veut entreprendre. 190. — Un homme revenu des femmes.
195. — Voir et étudier une femme. 199.
FÉNELON. Avoit-il besoin du foible aiguillon de l'ambition
académique pour remplir la destinée de son génie? i 3 5.
Fléchier. Avoit-il besoin du foible aiguillon de l'ambition
académique pour remplir la destinée de son génie? i3 5.
FoNCEMAGNE (M. de). Est d'avis que l'opinion qui con-
DES MATIERES 287
teste au roi le pouvoir législatif est fausse et dangereuse.
157.
FoNTENELLE. Se repentit dans ses dernières années de ne
s'être pas marié. 52.
La Fontaine (Jean de). Quand il est mauvais, c'est
qu'il est négligé; quand La Motte l'est, c'est qu'il est re-
cherché, 123. — Pourquoi il ne fut admis qu'à soixante-
trois ans, après la mort de Colbert, à l'Académie françoise.
134.
La Fontaine (Éloge de). Qui a remporté le prix de l'Aca-
démie de Marseille en 1774. 221. — A fait lui-même sans
le savoir son éloge, 221. — Evitant de discuter ce qui doit
être tenté, et de tenter l'analyse de la naïveté, l'auteur
s'applique à montrer le charme de sa morale, la finesse de
son goût, et l'accord singulier de l'un et de l'autre avec la
simplicité de ses mœurs. 222-223. — Histoire de l'apologue
en raccourci. 22 3. — Montaigne seul avoit essayé de
rendre la morale aimable. 224. — A adopté l'idée de Quin-
tilien que la fable est destinée à l'instruction, 225, —
Prend sa philosophie dans le sentiment universel, 225, —
Fait de son livre une ample comédie à cent acteurs divers,
226. — Ses personnages doivent être considérés comme
des personnages dramatiques. 226. — Molière est frappé
de son génie d'observation. 227. — Rapports entre leurs
personnages. 227. — Parallèle entre le génie et les procédés
de chacun d'eux. 228-229. — Facilité insinuante de sa
morale; sa sagesse est naturelle comme lui-même. 2 3o. —
Chez lui la vertu n'a rien d'affligeant ni de pénible. 2 3o.
— C'est par la nature qu'il combat les maximes outrées de
la philosophie. 23 i. — N'est point le poète de l'héroïsme,
mais de la vie commune, de la raison vulgaire. 23 1-2 32. —
N'affecte ni mépris pour l'espèce humaine, ni austérité, ni
dureté misanthropique. Il rit, mais ne hait point. 2 3 2. —
L'auteur des Fables en lui obtient la grâce de l'auteur des
Contes. 23 3. — Son erreur à ce sujet prit sa source
dans l'extrême simplicité de son caractère, 234. — Donna
dans ses Contes le modèle de la narration badine. 234. —
Est supérieur à ses devanciers, et, parmi ses successeurs, qui
288 TABLE ANALYTIQ^UE
pourroit-on lui comparer? 2 3 5. — Son art charmant de
s'entretenir avec son lecteur. 2 36. — Le mérite du style et
l'art de la composition l'ont élevé à un haut degré. 2 36.
— Conserve au milieu des grands écrivains le surnom d'ini-
mitable. 237. — A opéré une révolution dans les idées re-
çues, 237. - Style étonnant. 237. — Nul auteur n'a
mieux possédé cette souplesse de l'âme et de l'imagination
qui suit tous les mouvemens de son sujet. 2 38. — Sans
insister sur les beautés de l'oeuvre de La Fontaine, il y a lieu
d'indiquer les sources principales d'où le poëte les a fait
naître. 240. — Étonnante aptitude à se rendre présente
l'action qu'il montre. 240. — Art de savoir d'un mot vous
placer dans un grand ordre de choses. 240. — Le Loup
près du Lion malade ; la dispute du Lapin et de la Belette.
241. — Ce qui rend sa lecture si attachante, même pour
les esprits les plus élevés. 242. — C'est du dialogue, c'est
des actions, c'est des passions des animaux, que sortent les
leçons qu'il donne. 243. — La Fontaine doit beaucoup à
la nature, mais il ne néglige point l'art. 244. — Comment
ne pas apercevoir ses progrès et ses études dans la marche
même de son esprit? 244. — S'enflamme à la lecture d'une
ode de Malherbe. 245. — Parut faire rétrograder la langue ;
mais elle ne s'enrichissoit pas moins dans ses mains que dans
celles des plus grands écrivains du temps. 245. — Nul
auteur n'a mieux senti le besoin de rendre son âme visible.
246. — Discussion de la critique, qui lui refuse le titre de
peintre. 246. — La Motte seul a osé lutter avec lui. 248.
— Tous les reproches qu'on peut lui faire n'ont pas affoibli
le charme. 249-250. — Il a essayé de se peindre en partie
dans son roman de Psyché, où il représente la variété de ses
goûts sous le nom de Polyphile. 2 52. — Fond de bien-
veillance générale qui l'intéresse à tous les êtres vivans. 2 5 2.
— Il étend cette sensibilité jusqu'aux plantes. 253. — Cet
homme, qu'on a cru inconnu à lui-même, étudioit sans cesse
le goût du public. 2 5 3. — Sa philosophie, si admirable
dans le développement du cœur humain , ne s'éleva point
jusqu'aux généralités qui forment les systèmes. 254. — Il
laisse indécises les questions épineuses, et prononce rarement
DES MATIÈRES 289
sur les problèmes dont la solution n'est point dans le cœur
et dans un fond de raison universelle. 254. — Cette incer-
titude de principes passa quelquefois dans sa conduite. 2 5 5.
— Sa querelle avec Furetière et avec LuUi. 2 5 5. — Il
connut et sentit les passions, et en devint même l'apologiste.
2 5 5. — Il se laissa guider sans crainte à des penchans qui
l'égarèrent quelquefois, sans le conduire au précipice. 2 56.
— Ce goût pour les femmes lui dicta ses Contes. 257. —
Son roman de Psyché. 257. — Trois femmes furent ses
bienfaitrices. 2 58. — La gloire fut une de ses passions les
plus constantes, et elle ne fut pas malheureuse. 2 58. — Il
a voulu réclamer contre les portraits qu'on s'est permis de
faire de sa personne. 259. — Illustres amitiés qui le con-
solèrent de l'oubli de la cour. 259. — Par une singularité
frappante, il vécut négligé, mourut pauvre; pourquoi? 260.
— Son mérite n'étoit pas d'un genre à toucher vivement
Louis XIV. 260. — Malgré cet abandon du maître, La
Fontaine fut heureux. 261. — Ses jours parurent couler
négligemment comme ses vers. 261. — Malgré son goût
pour la campagne et la solitude, il se trouvoit bien partout.
262. — Il inspira toujours l'intérêt qu'on accorde involon-
tairement à l'enfance. 262. — Il aimoit : c'étoit sa recon-
noissance. 263. — Sa fidélité à Fouquet. 263. — Qui
avoit mieux reçu que lui le don d'être ami? 264. — Son
fameux mot : « J'y allois. » 264. — Malgré ses défauts, ob-
servés même dans son Éloge, il sera toujours le plus relu de
tous les auteurs, et l'intérêt qu'inspirent ses ouvrages s'éten-
dra toujours sur sa personne. 265. — Surnommé le bon,
comme Virgile , il conservera aussi le surnom d'inimitable.
266.
Fortune. Il y a une sorte de plaisir attaché au courage qui
se met au-dessus de la fortune. 46. — Est souvent comme les
femmes riches et dépensières. 46. — Quel est le plus riche,
quel est le plus pauvre des hommes? 46. — Comment on
fait fortune. 46-47. — On croit à tort que l'art de plaire
est un grand moyen de faire fortune. 47. — Comparaison
appliquée aux richesses. 47. — La fortune et le costume
qui l'entoure font de la vie une représentation. 47. — L'in-
Chamfort. I, 37
290 TABLE ANALYTIQUE
térêt d'argent est la grande épreuve des petits caractères. 47.
— La pauvreté met le crime au rabais, 47. — L'homme
riche, mais dépendant, est aux ordres d'un autre homme ou
de plusieurs. 48. — Il n'est pas vrai que les grandes for-
tunes supposent toujours de l'esprit. 48. — Qu'il fasse
fortune ! 48. — L'homme né riche ne doit pas connoître
aussi bien que le pauvre la nature, le cœur humain et la so-
ciété. 48. — Il avoit par grandeur d'âme fait quelques pas
vers la fortune. 48-49. — Changement d'opinion du monde
sur Dorilas révélé riche. io3. — Manière différente de
faire fortune de l'honnête homme et du fripon. 107.
François (Le). Le caractère naturel du François est com-
posé des qualités du singe et du chien couchant. 170. — ■
Chose remarquable que la multitude des étiquettes, l'esprit
pédantesque et la gravité des corps et des compagnies chez
les François. 175.
France. La vraie Turquie d'Europe, c'étoit la France. 173.
— Le mérite et la réputation n'y donnent aucun droit aux
places. 174. — On y laisse en repos ceux qui mettent le
feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin. 175. — Il
n'y a plus de public ni de nation. 176. — Les sottises pu-
bliques y affligent Chamfort quand il songe à un petit
nombre d'étrangers. 176. — Pays où il est utile de mon-
trer ses vices, dangereux de montrer ses vertus. 175. —
Statistique économique de la France en deux chiffres. 178.
Frédéric II, roi de Prusse. Son entretien avec d'Arget sur
l'étiquette du roi de France. 20 3.
Frères. La concorde des frères est si rare que la Fable ne
cite que deux frères amis. 49.
Fripons. Les fripons ont toujours un peu besoin de leur
honneur. 49.
Galanterie. Notre temps a fait succéder le piquant du
scandale au piquant du mystère. 40. — Qu'est-ce que c'est
qu'une maîtresse? 40. — Une âme fière et honnête dédaigne
la galanterie. 42.
GÉNÉROSITÉ. N'est que la pitié des âmes nobles. 49. —
Il faut être juste avant d'être généreux. 49.
Gloire. La gloire importune comme le bruit. 26. — Le
DES MATIERES 29I
même raisonnement puéril est employé pour exciter les en-
fans et les hommes à l'amour de la gloire. 26. — Etrange
vertu que l'amour de la gloire! 26. — La gloire met sou-
vent un honnête homme aux mêmes épreuves que la fortune.
26. — L'honneur vaut mieux que la gloire. 27. — Plu-
sieurs gens de lettres croient aimer la gloire et n'aiment
que la vanité. 122.
Gouvernement. On gouverne les hommes avec la tête
181. — Définition du gouvernement despotique. 187.
Gracchus (Tibérius). On peut dire qu'il n'y eut plus de
gouvernement civil à Rome après sa mort. 172.
Grands (Les). Mettent quelquefois de l'intérêt à s'atta-
cher des hommes de mérite; mais ils en exigent un avilis-
sement préliminaire. i65, — Les actions utiles, quand on
n'a pas la faveur de la cour, ne sont que des péchés splen-
dides. i65. — Les grands, les hommes en place, sont in-
sensibles à la vertu. 166.
GuiBERT (M. de). Trouve aux Invalides six cents préten-
dus soldats non blessés. 175.
Habileté. Ce qu'elle est à la ruse. 49.
Helvétius. Est des moralistes qui n'ont vu la nature hu-
maine que du côté odieux ou ridicule. 2. — Son mépris
pour l'Académie. 148.
HÉRITAGE. Héritière et héritage. 198.
Histoire. Presque toute l'histoire n'est qu'une suite
d'horreurs. 170. — Si Tacite eût écrit l'histoire de nos
meilleurs rois, il y a peu de règnes qui ne nous inspirassent
la même horreur que celui de Tibère. 172. — Il n'y a
d'histoire digne d'attention que celle des peuples libres
173.
Hommes. Comment ils se montrent dans les grandes cho-
ses et dans les petites. 4.
Honnête homme. Et assez honnête homme. 207. — On
n'est pas pendu pour être malhonnête. 208.
Honneur. Ce qu'il est dans notre siècle. 5o. — Vivant
avec les autres, l'homme a besoin d'honneur. 86.
Humilier. Celui que nul ne peut humilier. 192,
Hypothèse Désagréable 209.
292 TABLE ANAI.YTIQ^UE
Illusions. Il y a des hommes à qui les illusions sur les
choses qui les intéressent sont aussi nécessaires que la
vie. 5. — L'honnête homme détrompé de toutes les illu-
sions est l'homme par excellence. 75-76.
Ingratitude. Il est sage de faire le bien pour soi. 212.
Invalides. Au moment ou M. de Guibert y fut nommé
gouverneur, il y trouva six cents prétendus soldats non
blessés. 175.
Jonhson. Auteur du meilleur Dictionnaire anglais. 137.
LÉGALITÉ. Il est plus facile de légaliser que de légitimer
certaines choses. 5 i .
Le Sage. N'a jamais prétendu à l'honneur académique.
i35.
Liberté. L'esclave meurt dans l'atmosphère de la liberté.
181.
Locke. Qu'est-ce qui a fait sa gloire? 75.
Lucien. Est des moralistes qui n'ont vu la nature hu-
maine que du côté odieux ou ridicule. 2.
Mabillon. Dit que la principale occupation de l'Acadé-
mie des belles-lettres doit être la gloire du roi. 157.
Mably (De). Son mépris pour l'Académie. 143.
Magistrats. Comment ils connoissent la cour et les in-
térêts du moment. 100. — Chargés de veiller sur l'ordre
public, finissent par avoir une opinion horrible de la so-
ciété. 186. — Mot naïf d'un juge. 188.
Malebranche, L'ambition académique lui fut toujours
étrangère. i3 5,
Malesherbes (m. de). Son mot à M. de La Reynière,
son beau-frère. 54.
Mandeville (De). Est des moralistes qui n'ont vu la nature
humaine que du côté odieux ou ridicule. 2, et Notes, p. 267-
268.
Mariage. Le mariage, les liaisons de femmes, mettent cer-
tains hommes au niveau de ceux qui n'approchoient pas
d'eux. 45. — Ce que l'état de mari a de fâcheux. 5i.
— Le divorce couche souvent toutes les nuits entre deux
époux. 5 1 . — L'homme le plus honnête doit être ou un
mari ou un sigisbé. 5i. La pire des mésalliances. 5i. —
DES MATIÈRES 298
Une des meilleures raisons qu'on puisse avoir de ne se ma-
rier jamais. 5 i . — Le mariage et le célibat ont tous deux
des inconvéniens. 5 2. — En mariage, pour être heureux,
il faut s'aimer. 5 2. — L'hymen vient après l'amour, comme
la fumée après la flamme. 5 2. — Le mot le plus raisonna-
ble qui ait été dit sur la question. 52. — En fait de ma-
riage, il n'y a d'intéressant que ce qui est fou. 5 2. — On
marie les femmes avant qu'elles soient rien et qu'elles puis-
sent rien être. 5 2. — Chez les grands, est une indécence
convenue. 53. — Ce qui caractérise un siècle infâme, c'est
le ridicule de la joie d'un mariage disproportionné. 5 3. —
Mot d'un mari connu pour avoir fermé les yeux sur les dé-
sordres de sa femme. 53. — Mot d'un mari et mot d'un
amant. 5 3. — Mot d'une jolie femme à son mari maus-
sade. 54. — Texte du prédicateur au mariage de d'Aubi-
gné. 54. — Mot de M™<^ de L..., qui ne voudroit pas pren-
dre pour amant un homme capable de l'épouser. 54. —
Mot de M. de Malesherbes à M. de La Reynière, son beau-
frère. 54. — Le mariage ouvre votre âme aux petites pas-
sions de votre femme. 5 5. — M... disoit que c'est un état
trop parfait pour l'imperfection de l'homme. 5 5. — Recom-
mandation de M°i° de fourq... à sa demoiselle de compa-
gnie. 5 5. — Mot de M. d'Osmond, jouant trois jours après
la mort de sa femme. 5 5. — Mot de Diderot sur la femme
et la maîtresse. 5 5. — Entretien syllogistique sur le mariage.
190. — Comment ils doivent être assortis. 192. — Une
femme qui veut être épousée. «93. — Un célibataire qui
est comme marié. 199. — Pourquoi Clitandre ne se marie
pas. 200. — Type de mari sans préjugés. 203-204. —
Autre type. 20 5. — Un nœud trop fort pour l'intrigue.
211. — Un mari qui n'est pas fait comme un autre homme.
211.
Martinière (La). Auteur d'un Dictionnaire de Géographie
en 10 vol. m-fol. 1 38.
Massillon. Avoit-il besoin du foible aiguillon de l'ambi-
tion académique pour remplir la destinée de son génie?
i35.
Maximes. « Les maximes, les axiomes, sont, ainsi que les
294 TABLE ANALYTIQUE
abrégés, l'ouvrage des gens d'esprit qui ont travaillé à l'u-
sage des esprits médiocres ou paresseux. » i. — De l'usage
différent qu'en fait l'homme supérieur. 2. — De l'utilité des
maximes générales dans la conduite de la vie. 2,
MÉCHANS. Pourquoi ils font quelquefois de bonnes ac-
tions. 4.
MÉDECINS. Les médecins sont des quinze-vingts, comparés
aux aveugles ordinaires. 56. — Réflexion sur la manière
dont on en use envers les malades dans les hôpitaux. 56.
— La menace du rhume négligé. 56. — Mot d'un méde-
cin. 56. — Histoire d'un cautère. 56-57. — ^^^ ^^^^
mourant. 57.
MÉDISANCE. Un médisant peu dangereux. 194. — Médi-
sant pour se conformer au bruit public. 195. ^ On médit
souvent de gens qu'on ne connoît pas. 201. — On com-
mence par croire ce que disent des gens qui ne le croient
pas. 207.
MÉLANCOLIE. Il y a une mélancolie qui tient à la gran-
deur de l'esprit. 126.
Messe du roi (Questions d'un provincial à la). 162.
MÉTAPHORE. Toute métaphore fondée sur l'analogie doit
être également juste dans le sens renversé. 116.
Ministres. Si les singes avoient le talent des perroquets,
on en feroit volontiers des ministres. 87. — Les aborder
d'un air triste plutôt que d'un air riant. 167. — Un mi-
nistre n'a point de principes. 168. — Ne sont que des gens
d'affaires. 173. — En faisant faire des fautes et des sottises
à leurs maîtres , ne font souvent que s'affermir dans leur
place. 174. — Restent placés après cent mauvaises opéra-
tions, et sont chassés pour une seule bonne. 174. - — Ont
amené la destruction de l'autorité royale. 187. — Joueurs
qui montrent leurs cartes, mais ne partagent point les pro-
fits de la partie. 191 .
Mirabeau. Rapport sur les Académies. Ouvrage de Cham-
fort que Mirabeau devoit lire à l'Assemblée nationale en
1791. I 28.
Misanthrope. Objections à un misanthrope. 191. — Un
DES MATIÈRES 295
qui prendra son parti. 194. — Réponse d'un misanthrope
sur le bien qui se fait tous les jours. 210.
Mixte. Au moral et au physique, tout est mixte. 4.
Mode. Impôt que l'industrie du pauvre met sur la vanité
du riche. 5 7. — Exemple de l'empire de la mode. 57.
Modestie. Il y a une modestie d'un mauvais genre, fon-
dée sur l'ignorance. 57-58.
Mœurs. Rapport entre les mœurs anciennes et les nôtres.
58. — On a ôté des mauvaises mœurs tout ce qui choque
le bon goût. 58. — De nos jours, si on pouvoit mettre en-
semble les plaisirs, les sentimens ou les idées de la vie en-
tière, et les réunir dans l'espace de vingt-quatre heures, on le
feroit. 91-92. — Les mauvaises mœurs et la mauvaise com-
pagnie, choses très-différentes. 189.
Molière. Put-il être excité par l'ambition d'entrer à
l'Académie françoise? 134. — Est frappé du génie d'ob-
servation de La Fontaine. 227. — Rapports entre plusieurs
personnages de Molière et d'autres de La Fontaine. 227.
— Parallèle entre les deux grands hommes. 228-229.
Monde. Le monde physique paroît l'ouvrage d'un être
puissant et bon ; le monde moral paroit être le produit d'un
diable devenu fou. 4.
Montaigne. Est des moralistes qui n'ont vu la nature
humaine que du côté odieux ou ridicule. 2. — Quand il a
dit, à propos de la grandeur : « Puisque nous ne pouvons
y atteindre, vengeons-nous à en médire », il a dit une
chose plaisante, souvent vraie, mais scandaleuse. 10. —
Est le premier qui, avant La Fontaine, ait essayé de rendre
la morale aimable, 224.
MoNTESPAN (M™<^ de). C'est une idée d'elle qui donne
lieu à la principale attribution de l'Académie des inscriptions
et belles-lettres, i 56.
Montesquieu. Qu'est-ce qui a fait sa gloire? 75. —
Après s'être moqué de l'Académie, il aspire à en être. 142.
Monsieur (Inconvénient de dire) à quelqu'un qui veut
être appelé Monseigneur. 208.
Morale. Jouis et fais jouir : voilà toute la morale. 58.
— Pour les âmes vraiment honnêtes, les commandemens de
196
TABLE ANALYTIQ^UE
Dieu ont été mis dans la devise de Thélème. 58. — Quel
est cet instinct moral qui apprend à l'homme inculte que la
récompense des bonnes actions est dans le cœur de celui
qui les a faites. 69.
Moralistes. Il y a deux classes de moralistes et de poli-
tiques; lesquelles. 2. — Ont trop multiplié les maximes. 78.
— Les stoïciens sont des espèces d'inspirés. 79.
MoRÉRi. Son Dictionnaire, lî-].
Mortalité. Il meurt tous les jours, sur notre globe, plus
de cent mille hommes. 60.
Morts. Il faut vivre non avec les vivans, mais avec les
morts. 196.
Motte (M. de La). Quand il est mauvais, c'est qu'il est
recherché. i2 3. — Ose seul lutter avec La Fontaine. 248.
Nature. Ceux qui l'aiment sont accusés d'être roma-
nesques. 60, — Paroît se servir des hommes pour ses des-
seins, sans se soucier des instrumens qu'elle emploie. 60.
— Crie: « Sois indépendant' » 60-61, — Ce qu'elle semble
avoir voulu en faisant naître à la fois les passions et la
raison. 68. — A voulu que les illusions fussent pour les
sages comme pour les fous. 73. — La société a ajouté aux
malheurs de la nature. 86.
Nicole. L'ambition académique lui fut toujours étran-
gère, i 3 5.
Noblesse héréditaire. Ce préjugé vivace est une preuve
de la parfaite inutilité de tous les livres de morale, de ser-
mons, etc. 3. — Comment les nobles rappellent leurs an-
cêtres. 161. — Malgré les banqueroutes de Louis XV et
de M. de Guéménée, on n'en jure pas moins : « Foi de gen-
tilhomme ! » 161. — Euphémisme d'un prône de campagne.
162, — Mot de M. de L... sur le serment : Foi de gentil-
homme! i63. — Ce que les bourgeois font de leurs filles.
i63. — Parvenir... malgré le désavantage d'être sans aïeux,
c'est gagner ou remettre une partie d'échecs, ayant donné
la tour à son adversaire. i63. — Quel est l'homme le plus
étranger à ceux qui l'environnent? Un homme sans or et
sans parchemin. 164. — Le titre le plus respectable de la
noblesse françoise. 171. — Absurdité de la nécessité d'être
DES MATIERES 297
gentilhomme pour être capitaine de vaisseau. 171. — L'im-
possibilité d'arriver aux grandes places, à moins que d'être
gentilhomme, est une des absurdités les plus funestes dans
presque tous les pays, 172. — La nature ne consulte pas
Chérin. 172. — Mot d'un philosophe sur l'antichambre du
roi et l'Œil-de-bœuf, 177. — Exemples et formules des
inégalités sociales. 177-178. — Comment la noblesse est
un intermédiaire entre le roi et le peuple, i 78.
Notes et Variantes. 267 à 270.
Olonne (Duchesse d'). Mot d'un de ses amans qui la
trouvoit en coquetterie avec son mari. i5.
Opinion. Intérêt qu'offre l'examen des idées qui déter-
minent telle ou telle opinion publique. 61. — Pourquoi
elle est la reine du monde. 61. — Souvent une opinion qui
a paru absurde dans la première jeunesse le paroît moins
plus tard. 61. — Est une juridiction que l'honnête homme
ne doit jamais reconnoître ni décliner. 61. — Celui qui est
juste entre notre ennemi et nous nous paroît être plus voi-
sin de notre ennemi. 62. — Il y a à parier que toute con-
vention reçue est une sottise. 62. — A qui ressemblent
ceux qui rapportent tout à l'opinion? 62. — Changemens
de l'opinion. 62. — Le public ne peut guère s'élever qu'à
des idées basses. 63. — II n'y a point de corps qui puisse
être plus méprisable que le public. 63. — H y a des siècles
oij l'opinion publique est la plus mauvaise des opinions. 63.
— Pour avoir une idée juste des choses, il faut prendre les
mots dans la signification opposée à celle qu'on leur donne
dans le monde. 63. — Toute opinion, quelque ridicule
qu'elle soit, peut emporter la pluralité des suffrages. 63. —
Qu'est le public de ce moment-ci? 64. — Les idées du pu-
blic ne sauroient manquer d'être presque toujours viles et
basses. 64. — Les conquérans passeront toujours pour les
premiers des hommes. 64.
Orateur. Ce qu'un orateur éloquent, mais dénué de lo-
gique, est à un orateur philosophe. 119. — On n'est point
un homme d'esprit pour avoir beaucoup d'idées. 119. —
Tort qu'on a de se fâcher contre les gens de lettres qui se
retirent du monde. 119. — Qu'est-ce qu'on sait le mieux?
38
298 TABLE ANALYTIQUE
120. — Les gens de lettres, surtout les poëtes, sont comme
les paons. 120. — Les succès produisent les succès. 120.
— Il y a des livres que l'homme qui a le plus d'esprit ne
sauroit faire sans un carrosse de remise. 120.
OsMOND (M. d'). Son mot pour s'excuser de jouer trois
jours après la mort de sa femme. 5 5.
Pamphili (Le nonce). Entretien avec son secrétaire. 206-
207.
Pardon. On espère quelquefois n'être pas pardonné. 212.
Paresseux. Trouve toujours qu'il est trop tôt. 196.
Paris. Les vieillards, dans les capitales, sont plus cor-
rompus que les jeunes gens. 65. — Singulier pays. 6 5. —
Ville de plaisir où les quatre cinquièmes des habitans meu-
rent de chagrin. 65. On pourroit lui appliquer la définition
de l'enfer par sainte Thérèse. 65. — Quand on pense à
l'influence de Paris, on se console en pensant qu'il pouvoit
en arriver pis. 66. — Réflexion qu'il faut faire pour se
consoler des abus de ces étonnantes réunions d'hommes. 66.
— Ce qu'on ne vous diroit pas à Paris. 66. — Voleurs
affiliés à la police. 66-67. — Chaque honnête homme con-
tribue à y faire vivre les espions de police. 67.
Paroles. A qui ressemblent ceux qui ne donnent que
îeur parole pour garant d'une assertion qui reçoit sa force
de ses preuves. 4.
Pascal. L'ambition académique lui fut toujours étran-
gère. i3 5.
Passions. La fable de Tantale peut servir d'emblème à
toutes les passions. 67. — Toutes les passions sont exagé-
ratrices. 67. — Les passions font vivre l'homme; la sagesse
le fait seulement durer. 67. — Quelquefois on hait le pres-
tige qui nous a trompés. 68. — La nature, en faisant
naître à la fois la raison et les passions, semble avoir voulu,
par le second présent, aider l'homme à s'étourdir sur le mal
qu'elle lui a fait par le premier. 68. — C'est après l'âge
des passions que les grands hommes ont produit leurs chefs-
d'œuvre, 68. — Être fou et s'en douter est être plus près
de la sagesse que le passionné qui se croit sage. 68. —
Notre raison nous rend quelquefois aussi malheureux que
DES MATIERES 299
nos passions. 71. — A qui ressemble le philosophe qui veut
éteindre ses passions. 73. — L'homme, dans l'état actuel
de la société, paroît plus corrompu par sa raison que par
ses passions. 85.
Patru. Célèbre avocat. Sa jolie fable d'Apollon, i 3 i .
Pauvreté. Met le crime au rabais. 48. — L'homme
pauvre, mais indépendant, n'est qu'aux ordres de la néces-
sité. 48. — L'homme pauvre connoît mieux que le riche la
nature, le cœur humain et la société. 48.
Pauvres. Sont les nègres de l'Europe. 181.
Paysan françois. Comparaison de son état avec celui d'un
citoyen de l'Etat de Virginie. 179.
Pensée. Console de tout et remédie à tout. 5.
Perse. Raison que les Spartiates donnoient de leur servi-
tude. 78.
Peuple. Tout ce qui sort de la classe du peuple s'arme
■contre lui pour l'opprimer. 181. — Diminuez les maux du
peuple, vous diminuez sa férocité. 182.
Philosophes. Reconnoissent quatre vertus principales,
dont ils font dériver toutes les autres. 58-59. — En lisant
Bacon, on cesse presque d'admirer les grands hommes qui
lui ont succédé. 69. — Les enfans naïfs sont quelquefois
■des philosophes aimables. 70. — Peu de personnes peuvent
aimer un philosophe. 70. ■ — Personne ne s'intéresse à la for-
tune d'un philosophe; pourquoi. 70-71. — La raison
simple peut suffire à faire un philosophe. 71. — Qu'est-ce
qu'un philosophe? 71-72. — Il faut avoir honte d'être phi-
losophe plus qu'on ne le peut. 72. — Sauvages et philo-
sophes. 72. — Il faut appliquer la raison aux philosophes.
72-73. — A qui ressemble le philosophe qui veut éteindre
ses passions. 73. — La nature a voulu que les illusions
fussent pour les sages comme pour les fous. 73. — Quand
on veut devenir philosophe , il ne faut pas se rebuter des
premières découvertes qu'on fait dans la connoissance des
hommes. 73. — La crainte des hommes est le commence-
ment de la sagesse. 73. — On voit un petit nombre
d'hommes sages, parvenus à quarante ans, et très-éclairés,
qui ne sont ni corrompus, ni malheureux. 74. — Plus on
3oO TABLE ANai.YT1Q^UE
juge, moins on aime. 74. — L'homme sans principes est
ordinairement sans caractère. 74. — Si le rêve des philo-
sophes qui croient au perfectionnement de la société s'ac-
complit, que dira la postérité de voir qu'il a fallu tant
d'efforts pour arriver à des résultats si simples? 76. — Ce
qui est admirable chez les anciens philosophes. 76-77. —
11 est dangereux pour un philosophe attaché à un grand de
montrer tout son désintéressement. 77. — Un philosophe
regarde ce qu'on appelle un état dans le monde comme les
Tartares regardent les villes. 77. — Pourquoi la manière de
juger du philosophe ne plaît à personne. 77. — Les stoï-
ciens, espèce d'inspirés. 79. — La vie contemplative est
souvent misérable, 79. — L'homme peut aspirer à la vertu,
mais non à la vérité. 79. — Le jansénisme des chrétiens,
c'est le stoïcisme des païens. 79. — Manière plaisante de
prouver que les philosophes sont les plus mauvais citoyens
du monde. 79. — Réponse d'un misanthrope philosophe.
80. — Colère naïve d'un docteur en Sorbonne. 80. — II
en est des philosophes comme des moines. 81. — La phi-
losophie comparée à la médecine. 81. — On peut dire des
métaphysiciens ce que Scaliger disoit des Basques. 81. —
Le philosophe qui fait tout pour la vanité a-t-il le droit de
mépriser le courtisan qui fait tout pour l'intérêt? 81. — •
Beaucoup de philosophie mène à estimer l'érudition. 82.
— Le philosophe sous l'ancien et sous le nouveau régime.
184.
Pierre le Grand. On croit communément qu'il se réveilla
un jour avec l'idée de tout créer en Russie : c'est une er-
reur. 182.
Plaisanterie. C'est la plaisanterie qui doit faire justice
de tous les travers des hommes et de la société. 3 5. —
Règle à adopter pour la plaisanterie : quand le plaisanté se
fâche, le plaisant a tort. 36, — Celui qui ne sait point
recourir à propos à la plaisanterie se trouve placé entre la
nécessité d'être faux ou d'être pédant. 36. — La plus per-
due des journées est celle où on n'a pas ri. 37. — Du
bois ajouté à un acier pointu fait un dard ; deux plumes
ajoutées à ce bois font une flèche. 37.
DES MATIERES 3oi
Plantin , célèbre imprimeur. Réflexion qu'inspire son
tombeau à Anvers. 128.
Poète. A toujours sur lui.., par hasard, son dernier ou-
vrage. 195.
Police. Chaque honnête homme contribue à faire vivre
les espions de police. 186. — Comment se défîeroit-on, à
vingt ans, d'un espion de police qui a le cordon rouge? 186.
Pope. On s'afflige en songeant que Pope, jugé non par
la haine, mais par l'équité, seroit atteint et convaincu d'ac-
tions très-condamnables. II 3.
Princes. Les gens qui les élèvent; à qui ils ressemblent.
163-164. — A qui ressemblent les gens qui croient aimer
un prince dont ils viennent d'être bien traités. 164. — Ce
qu'on est tenté de penser en les voyant faire de leur propre
mouvement certaines choses honnêtes. 167. — L'expérience
les corrompt. 167. — Quand ils sortent de leurs misérables
étiquettes, ce n'est jamais en faveur d'un homme de mé-
rite. 167-168. — Que penser de l'humanité quand on con-
sidère que le produit du travail et des lumières de quarante
siècles a été de livrer trois cents millions d'hommes à une
trentaine de despotes, dont chacun est gouverné par trois
ou quatre scélérats? 169-170. — On fait des livres sur les
intérêts des princes, jamais sur les intérêts des peuples, 173.
Proverbes. Citation de proverbes italiens, françois et
turcs. 68-69.
Providence. Selon le sceptique et le dévot. 69. — Ce
que saint Augustin dit pour justifier la Providence. 69.
Public. Le public est gouverné comme il raisonne. 176.
Puissance spirituelle. Sa définition par M... 188.
Question. Pourquoi ne donnez-vous plus rien au public?
Réponse de Chamfort à cette question. 2i5 à 217. —
Autre question : Si dans la société un homme doit ou peut
laisser prendre sur lui des droits qui souvent humilient l'a-
mour-propre, 218 à 220.
QuiNAULT. N'avoit pas besoin de la perspective acadé-
mique pour faire des opéras dont le roi payoit si bien les
prologues. i3 5.
302 TABLE ANALYTIQUE
QuiNTiLiEN. Regardoit le genre de la fable comme con-
sacré à l'instruction de l'ignorance. 2 2 5.
Racine (Jean). Est-ce pour entrer à l'Académie françoise
qu'il fit ses chefs-d'œuvre? i3 3. — Dans quelles conditions
il fut admis. 134. — Pourquoi il a daigné apporter à
l'Académie les lauriers du théâtre. iSç. — Ce grand tra-
gique, qu'on a appelé depuis le poète des femmes, ne put
obtenir le suffrage des femmes les plus célèbres de son
siècle. 2 58.
Raison. Le premier des dons de la nature est cette force
de raison qui vous élève au-dessus de vos propres passions
et de vos foiblesses. 59. — On fausse sa raison comme son
estomac. 60. — Ce que semble avoir voulu la nature en
faisant naître à la fois la raison et les passions. 68. — La
simple raison peut suffire à faire un philosophe. 71. — Notre
raison nous rend quelquefois aussi malheureux que nos pas-
sions. 71. — II faut appliquer la raison aux philosophes.
72. — Est un mal nécessaire. 76. — L'homme, dans
l'état actuel de la société, paroît plus corrompu par sa rai-
son que par ses passions. 85.
Raynal (Abbé). Son mépris pour l'Académie. 143.
RÉCONCILIATION avec une femme. Ce qui la rend impos-
sible. 190.
Reconnoissance. Il y aune sorte de reconnoissance basse.
18.
Recueils de vers ou de bons mots. A quoi ressemblent
ceux qui les font. 3.
RÉPUTATION. A quoi elle sert et ce qu'elle rapporte. 197.
Révolution. Les hommes les plus extraordinaires et qui
ont fait des révolutions ont été secondés par les circonstances
les plus favorables et par l'esprit de leur temps. 182.
Reynière (m. de La). Mot que lui dit M. de Males-
herbes, son beau-frère. 54.
Richelieu (Le cardinal de). Veut influer sur la société
de l'Académie françoise à son début. 129.
Richelieu (Duc de). Fait faire par le poëte Roy son dis-
cours de réception à l'Académie françoise, et l'avoue par
persiflage. 112.
DES MATIÈRES 3o3
Rochefoucauld (La). Est des moralistes qui n'ont vu la
nature humaine que du côté odieux ou ridicule. 2. — Ne
pensa pas plus à l'Académie en écrivant ses Maximes que
La Bruyère en composant ses Caractères. i3 5.
RoHAN (Mot orgueilleusement naïf d'une duchesse de).
162.
Roi de Naples. Son aveu à l'empereur sur le peu de eu -
sine qu'il sait... 20 3.
Romanesque. Il y a peu d'hommes à grand caractère qui
n'aient quelque chose de romanesque dans la tête ou dans
le cœur. 82.
Rousseau (J. J.). On s'afflige en pensant que Rousseau,
jugé non par la haine, mais par l'équité, seroit atteint et
convaincu d'actions très-condamnables. 11 3. — Son mé-
pris pour l'Académie. 143. — Il ne faut pas s'étonner de
son goût pour la retraite. 78.
RoY (Le poëte). Fait le discours de réception du duc de
Richelieu à l'Académie françoise. 112.
Sagesse. Le commencement de la sagesse, c'est la crainte
des hommes. 73. — Dans le sage même il y a plus de fo-
lie que de sagesse. 74. — Le sage décrit une ligne circu-
laire dont l'extrémité le ramène à lui. 78. — Les gens
sages qui font une sottise. 196.
Saint- Pierre (L'abbé de). Effacé de la liste de l'Aca-
démie par une lâcheté gratuite. i5 2.
Scaliger. Ce qu'il disoit des Basques peut s'appliquer aux
métaphysiciens. 81.
SciPioN Nasica. Apprit aux Romains que la force seule
donneroit des lois dans le Forum. 172.
Secret. Les lois du secret et du dépôt sont les mêmes.
60.
Secousse (M. de). Est d'avis que l'opinion qui conteste
au roi le pouvoir législatif est fausse et dangereuse. 157.
SÉNÈQUE. Son mot à l'un de ses fils. 72.
Sensible. Comment avez-vous fait pour n'être plus sen-
sible? 189.
Shaftesbury et quelques autres n'ont vu la nature hu-
maine que du beau côté et dans ses perfections. 2.
3o4 TABLE ANALYTIQ^UE
Silence. Explication d'un silence. 201.
Société. Le genre humain est devenu plus mauvais par la
société. 82. — Dans le monde, surtout un monde choisi,
tout est art, science, calcul. 82-83. — La société n'est pas
le développement de la nature, mais sa décomposition et sa
refonte entière. 83-84. — La société, ce qu'on appelle le
monde, n'est que la lutte de mille petits intérêts opposés.
84. — Jamais le monde n'est connu par les livres; pour-
quoi. 84-85. — On trouve même dans la mauvaise com-
pagnie du temps de Louis XIV quelque chose qui manque
à la bonne d'aujourd'hui. 85. — Il en est de la civilisation
comme de la cuisine. 85. — L'homme, dans l'état actuel
de la société, paroît plus corrompu par sa raison que
par ses passions. 85. — Pour être heureux dans le monde,
il y a des côtés de son âme qu'il faut entièrement paralyser.
86. — Ceux qui vivent dans le monde ne le connoissent
pas. 86. — Les hommes deviennent petits en se rassem-
blant. 86. — La société a ajouté aux malheurs de la na-
ture, 86. — Vivant avec les autres, l'homme a besoin
d'honneur. 86. — Les gens du monde se croient en so-
ciété parce qu'ils sont attroupés. 87. — Deux grandes
classes de la société. 87. — On donne des repas de dix
louis ou de vingt à des gens auxquels on ne donneroit pas
un écu. 88. — Que trouve un jeune homme en entrant dans
le monde? 88. — Tout homme qui va beaucoup dans le
monde atteste qu'il est peu sensible. 89. — Heraclite fini-
roit par mourir de rire en voyant ce qui se passe dans le
monde. 89. — Le monde et la société ressemblent à une
bibliothèque. 89. — Avoir des liaisons considérables, ou
même illustres, ne peut plus être un mérite pour personne,
90. — Deux espèces d'hommes non aimables. 90. — L'élo-
quence de société. 90. — Mal que fait l'ambition de pas-
ser pour très-aimable. 90-91. — Des qualités trop supé-
rieures rendent un homme moins propre à la société. 91.
— La société, le monde, pièce misérable. 91. — Quand
on veut plaire dans le monde, il faut se résoudre à se laisser
apprendre beaucoup de choses qu'on sait, 92. — Il faut
dans le monde parer sa modestie de sa fierté. 92. — Ab-
DES MATIERES
3oS
surdité qu'il y a à dire d'un homme : « Il n'aime pas la
société. » 92. — Un homme de raison droite, de sens moral
exquis, pourroit-il vivre avec quelqu'un? 92. — Il n'y a
personne qui ait plus d'ennemis dans le monde qu'un homme
droit, fier et sensible. 92-93. — Le monde endurcit le
cœur à la plupart des hommes. 98. — La société d'une
personne sans esprit, mais capable de sentir l'esprit, seroit
encore très-recherchée. 93. — En voyant ou en éprouvant
les peines attachées aux sentimens extrêmes, on est tenté de
croire que la dissipation et la frivolité ne sont pas de si
grandes sottises. 93. — Preuve que la société est une com-
position factice. 94. — Il est impossible de vivre dans le
monde sans jouer la comédie. 94. — Raisonnement bien
étrange qu'on fait quelquefois dans le monde. 94. — Il
faut que , même dans les combinaisons factices du système
social, il y ait des hommes qui opposent la nature à la so-
ciété. 95. — Pourquoi on croit le sourd malheureux en
société. 95. — La meilleure philosophie relativement au
monde. 95. — Ce qu'on y sacrifie sans cesse. 95. — Pour-
quoi le malhonnête homme, et même le sot, réussissent
presque toujours dans le monde mieux que l'honnête homme
et l'homme d'esprit. 96. — Idées reçues dans le monde
sur le décorum pour le prêtre. 96. — Quel homme est le
plus rare. 96-97. — Mot d'un philosophe sur son amour
de la retraite. 97. — Ce qu'il faudroit vouloir corriger.
97. — Le mot du fiacre aux courtisanes dans le Moulin de
3uvelle. — En apprenant à connoître les maux de la société,
on méprise la vie. 97. — Il en est de la valeur des hommes
comme de celle des diamans. 97. — Misérable condition
des hommes qui les pousse à rechercher tantôt la nature
et tantôt la société. 98. — Quand on veut éviter d'être
charlatan, il faut fuir les tréteaux. 98. — Il y a telle pré-
tention qu'il suffit de ne pas reconnoître pour qu'elle soit
anéantie. 98. — A quel point chaque état de la société
corrompt les hommes. 98. — Il y a dans le monde bien
peu de choses sur lesquelles un honnête homme puisse re-
poser agréablement sa pensée. 99. — Ce qui gouverne le
monde, 99. — Qu'est-ce que la société, quand la raisoa
Chamfort. I. 89
3o6 TABLE ANALYTIQ^UE
n'en forme pas les nœuds? 99. — L'édifice métaphysique
de la société considéré comme un édifice matériel. 99-100
— On ne peut vivre dans la société après l'âge des pas-
sions. 99. — Ce qui se dit dans les cercles, les salons, est
faux ou insuffisant. 101. — Exemple de l'influence qu'exerce
sur notre âme une idée morale contrastant avec des objets
physiques et matériels. loi. — La société, bois rempli de
voleurs. 102. — Les gens du monde et de la cour donnent
aux hommes et aux choses une valeur conventionnelle. 102.
— Le monde estime ceux qui n'en font pas de cas. 102. —
Que voit-on dans le monde? 102. — Changement d'opi-
nion du monde sur Dorilas, quand il apprend qu'il est
riche. io3. — Sain que les conventions sociales ont pris
d'écarter le mérite de toutes les places où il pourroit être
utile à la société. 104. — Qui est-ce qui n'a que des liai-
sons entièrement honorables? 104. — Quand on a pris le
parti de ne voir que ceux qui sont capables de traiter avec
vous aux termes de la morale, de la vertu, de la raison,
de la vérité, il arrive qu'on vit à peu près solitaire. io5.
— Double réflexion qui permet d'apprécier presque tous les
discours qui se tiennent dans le monde. 10 5. — Beaucoup
de gens croient qu'il vaut mieux être banqueroutier que de
n'être rien. io5. — On est plus heureux dans la solitude
que dans le monde. io5. — Les pensées d'un solitaire,
homme de sens, seroient bien peu de chose si elles ne va-
loient pas ce qui se dit et se fait dans le monde. 106. —
Un homme qui s'obstine à ne ployer sous le poids d'aucutîfe
des conventions absurdes ou malhonnêtes de la société finit
par rester sans appui. 106. — Il faut ne placer le fond de
sa vie habituelle qu'avec ceux qui peuvent sentir ce que
nous valons, 106. — Les hommes sont si pervers que le
seul espoir et même le seul désir de les corriger est une
absurdité. 106-107. — Dialogue entre deux misanthropes.
107. — Mot d'un vieillard détrompé. 107. — Objection
contre l'état social en faveur de l'état sauvage. 169. — Le
malheur de l'humanité considérée dans l'état social. 169. —
Vices énormes de la société. 177. — Objet que semblent
avoir la plupart des institutions sociales. 178. — Il faut
DES MATIÈRES Soy
recommencer la société humaine, i 8 i . — L'embarras d'une
société qui se réorganise doit paroître l'excès du désordre.
184. — La nature, qui a formé les hommes pour la so-
ciété, leur a donné tout le bon sens nécessaire pour former
une société raisonnable. 186.
SocRATE. Fut le premier philosophe de son siècle. 77.
Sottise. Craint l'esprit. 5.
Sots. Quand ils sortent de place, ils conservent une mor-
gue ou une importance ridicules. 87. — C'est un grand
malheur que de ne pas se faire à la toute-puissance des sois-
89.
Spartiates. Raison qu'ils donnoient de la servitude des
Perses. 78.
Suicide. Les rois et les prêtres, en proscrivant la doctrine
du suicide, ont voulu assurer la durée de notre esclavage.
173.
Synonyme. Honnête et lucratif. içS.
Swift. Est des moralistes qui n'ont vu la nature humaine
que du côté odieux ou ridicule. 2. — On s'afflige en son-
geant que Swift, jugé non par la haine, mais par l'équité,
seroit atteint et convaincu d'actions très-condamnables. 11 3.
Tacite. Ce qui contribue à l'effet de Tacite, c'est Tite-
Live. 173.
Testament. Pourquoi les hommes sont-ils si sots qu'après
eux ils laissent aller leurs biens à ceux qui rient de leur
mort? 107. — Scène testamentaire. 197.
Théâtre. Ce qui distingue le bon et le mauvais poëte.
107. — Le théâtre tragique met trop d'importance à la vie
et à la mort. 1 08.
Théologiens. Toujours fidèles au projet d'aveugler les
hommes, supposent gratuitement que la grande majorité des
hommes est condamnée à la stupidité. i8 5.
TiTE-LivE. Ce qui contribue à l'effet de Tacite, c'est
Tite-Live. 173,
Trésor (Le) royal. S'appeloit autrefois l'épargne. On 2
rougi de ce nom. i 70-1 71.
Trublet (L'abbé). Sa réponse à la question : Combien
de temps 11 mettoit à faire un livre. 12 5.
3o8 TABLE ANALYTIQ^UE DES MATIÈRES
TscHOUDY (Le Baron de). Conversation au sortir de son
opéra. 20 5.
TuRGOT. Un homme qui ne l'a pas vu depuis sa disgrâce ;
pourquoi. 202.
Usage. Les coutumes les plus absurdes, les étiquettes les
plus ridicules, sont sous la protection de ce mot : C'est
l'usage. 108.
Valet (Entretien entre un maître et son). 208.
Vanité. Se donne elle-même pour ce qu'elle est, 108.
— Ce seroit être très-avancé dans l'étude de la morale que
de savoir distinguer tout ce qui différencie l'orgueil et la
vérité. 108-109, — C'est souvent la vanité qui a engagé
l'homme à montrer toute l'énergie de son âme, 109. — Il
faut retrancher tous les jours des besoins de son amour-
propre. 109. — La fausse modestie. 109. — Il y a des
hommes qui ont besoin de primer à tout prix. 109.
Vertu. Comme la santé, n'est pas le souverain bien. 1 10.
— Il y a des hommes dont la vertu brille plus dans la con-
dition privée qu'elle ne le feroit dans une fonction publique.
iio. — Burrhus n'est vertueux qu'en opposition avec Nar-
cisse, iio.
ViLLARS (M. de). Entend trois messes un jour de Noël,
162.
Ville (L'abbé de La). Sa réponse à un homme qui hési-
toit à entrer dans la carrière politique. 187.
Voltaire. D'Alembert est son courtisan par intérêt de
vanité. 81. — On s'afflige en songeant que Voltaire, jugé
non par la haine , mais par l'équité , seroit atteint et con-
vaincu d'actions très-condamnables. 11 3. — Propose à
l'Académie un nouveau plan pour son Dictionnaire. Ses
critiques âpres et sévères. i36. — Après s'être moqué de
l'Académie, il aspire à en être. 142, — Reproche à d'Alem-
bert de s'être laissé couper les ailes, 143.
Vouloir. Il ne faut pas vouloir être plus qu'on ne peut. 5,
Vices épidémiques. Certains défauts en préservent. 4.
Vice. Hait la vertu. 5.
TABLE
DU TOME PREMIER
Pages
Notice sur Chamfort et ses ouvrages. .... v
Le suicide et la mort de Chamfort, par Ginguené. xl
Maximes et Pensées morales i
Maximes et Pensées littéraires i i i
Des Académies. Ouvrage que Mirabeau devoit lire à
l'Assemblée nationale, sous le nom de Rapport sur
les Académies, en 1791 128
Maximes et Pensées politiojjes 161
Petits Dialogues philosophiques 189
Questions et Réponses 2 1 5
Éloge de La Fontaine. Discours qui a remporté le
prix de l'Académie de Marseille en 1774. . . 221
Notes et Variantes 267
Table analytique des matières • 271
IMPRIME PAR D. JOUAUST
POUR LA
NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE CLASSIQUE
Paris, 1892
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